Le désespéré de Léon Bloy

Le désespéré de Léon Bloy

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Martin1, le 29 août 2014 (Chavagnes-en-Paillers (Vendée), Inscrit le 2 mars 2011, - ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 680ème position).
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Roman autobiographique d'un polémiste, 1887

Résumé : Caïn Marchenoir est un exécrable misanthrope, pamphlétaire de génie, conspué par tous les journaux de la capitale, la plupart du temps indigent contraint à la mendicité. Mais c'est aussi un fervent chrétien qui recherche une forme stoïque et authentique de sainteté à travers l'amour platonique qu'il entretient avec une pécheresse convertie.

Mon avis : Largement autobiographique, Le Désespéré nous permet de mieux comprendre les origines de la verve et du mal-être des auteurs réactionnaires. Bloy aborde à tour de rôle les deux aspects de son existence : la vie mystique de Marchenoir, en extase devant la religion de ses aïeux, conquis par les vertus chrétiennes, béat d'admiration devant le silence méditatif des moines chartreux, et sa vie littéraire qui se résume sous un mot : polémiques.
On connaît sa qualité d'expression, son vocabulaire intarissable, son agressivité, son pessimisme dédaigneux... il parle, il accuse, il invective, il ironise, il condamne, jusqu'à ce qu'on ne puisse plus le supporter. Cet individu n'appartient pas à son époque, ce qui en fait un écrivain incompris de ses contemporains. Il s'est fait chevalier des lettres non par orgueil mais parce que c'est en lui. C'est le Désespéré du monde tombé en déliquescence, le Désespéré d'une France qui renie les valeurs sur lesquelles elle a été bâtie. Ses mots doivent être à la mesure de son désespoir quant à l'avenir du genre humain.
En dehors de ses vertes semonces, Léon Bloy partage des réflexions diverses, austères, sur la philosophie chrétienne. Il fait montre d'une sévérité inénarrable envers les mauvais chrétiens. Qui sont-ils ? Les mondains, les bourgeois grippe-sous, les paroissiens raisonnables-tout-de-même, ceux qui professent leur foi moderne et gênée de laïcards, ceux qui craignent d'en « faire trop » pour le Sauveur, qui ont la sainte horreur du ridicule – et de la sainteté.
Léon Bloy n'est pas connu pour sa subtilité. Il est vrai, entier, rigoureux, bouillant, prêt à mourir pour la cause. Il entend crouler l'Eglise ? Il se précipite sous les colonnes au péril de sa vie. Bien sûr, il manque de justesse : il a tort de jeter la poésie de Hugo à la poubelle. Mais on ne peut lui contester sa rectitude et son génie. C'est fidèle à lui-même qu'il balance aux enfers de Hadès tout ce qu'il déteste : l'athéisme, la médiocrité intellectuelle, la dépravation, les comédiens, les chrétiens de gauche, Marat, Gambetta, Hugo, Bossuet, les prêtres jouisseurs, les stupides romans dévots, le jansénisme et les Dieu-n'en-demande-pas-tant,. Oui, il ne reste plus grand monde... car Bloy préfère la misanthropie à l'incohérence. Il vomit toute cette nomenclature sans distinction de foi, de style ou de talent.
Le chrétien que je suis pourrait émettre quelques réserves : l'enseignement chrétien relatif à l'amour et au pardon, par exemple. Mais je n'en demande pas trop à Bloy, peut-être qu'il est là pour condamner et que d'autres viendront pour pardonner, chacun sa place. Le mince reliquat qui trouve grâce à ses yeux, c'est sans doute l'essentiel de la foi.
Donc, en définitive, un roman assez riche malgré sa lenteur et sa lourdeur. Sa richesse tient dans le personnage de Caïn Marchenoir mais aussi dans la terrible mortification de Véronique, qui dévoile sans honte les visages les plus incompréhensibles de la sainteté : là-dessus, il y aurait de quoi écrire des pages et des pages. D'autres sujets sont abordés : la pauvreté, la communion des saints, et un beau texte sur « la France des vaincus » à la fin. J'ai bien aimé cette lecture car je partage en grande partie le point de vue de l'auteur, même si je ne saurais le dire aussi crûment. Je pense que le cas de la France s'est aggravé, et que cet aruspice de malheur, grâce à dieu, n'est plus là, il n'aurait sans doute pas survécu à notre époque irrespirable !
Pour finir, des citations :
Au sujet de son projet de roman, "la symbolique de l'Histoire" : « De cette forêt [l'Histoire] allait sortir une symbolique inconnue qui allait devenir son langage pour parler à Dieu. »

Le clergé saint fait le peuple vertueux.
Le clergé vertueux fait le peuple honnête.
Le clergé honnête fait le peuple impie.

A lire !

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Les éditions

  • Le désespéré [Texte imprimé] Léon Bloy présentation, notes, documents, chronologie, bibliographie par Pierre Glaudes
    de Bloy, Léon Glaudes, Pierre (Editeur scientifique)
    Flammarion / G.F.
    ISBN : 9782080712561 ; 9,50 € ; 28/12/2007 ; 547 p. ; Poche
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Ardu, mais...

8 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 41 ans) - 6 mars 2015

Ardu, ce roman (qui semble être plus qu'à moitié autobiographique), mais il est aussi remarquable ! Il faut cependant s'accrocher, malgré qu'il soit constitué de courts chapitres (il y en à 70, réunis en 5 parties, pour un total de 350 pages environ ; les chapitres les plus longs doivent faire dans les 15 pages). "Le Désespéré" est truffé, caviardé de mots rares et compliqués (du genre 'anathème' pour le plus simple et courant d'entre eux), il y en à tellement que les premières pages sont difficiles à avaler. On peut aussi parler du problème majeur de ce roman de polémiste et de polémique (aussi bien l'auteur que son héros, ou plutôt antihéros, Caïn Marchenoir, sont pamphlétaires) : de bonne grosses dérives antisémites (troisième partie, quand Véronique va voir un vieux Juif ; quatrième partie, quand Marchenoir décrit les différents auteurs qui bossent au journal "Pilate" - "Gil-Blas", dans la réalité -, où il vient d'être engagé), qui ne passent vraiment pas. A l'époque, c'était, hélas, une mode, d'être antisémite (Drumont, Lorrain...).
Evidemment, ces dérives verbales et idéologiques antisémites sont inexcusables. Malgré cela, "Le Désespéré", claque gigantesque, reste un roman hallucinant. Difficile, mais vraiment marquant. A lire au moins une fois dans sa vie.

Pas de compromis!

8 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans) - 13 septembre 2014

Quelle virulence dans ce roman…Léon Bloy, qui se décrit avant tout comme un écrivain catholique, est surtout connu pour être un redoutable pamphlétaire, journaliste redouté, chroniqueur de la vie littéraire de son temps, écrivain malheureux qui ne connaîtra qu’un relatif succès à la fin de sa vie..
Dans ce roman, son premier, Bloy se met lui-même en scène en relatant des épisodes véridiques, bien que romancés, de son existence sans compromis ni compromissions. Le récit est émaillé de réflexions sur l’état de la société de dix-neuvième siècle finissant, sur le supposé déclin national, dépravation de la morale et des mœurs et avilissement du génie français…
C’est un tableau noir et sans espoir… comment un être entier, se refusant à rentrer dans le jeu mondain pour pouvoir subsister et parvenir à enfin faire accepter son talent peut-il évoluer dans ce milieu si éloigné de ses valeurs profondes ? Il ne le peut pas et finit par succomber dans la misères et les privations… lui restent l’amour de Dieu et de sa protégée, Véronique, l’ancienne putain devenue une sainte…
On sort de la lecture du Désespéré abasourdi de tant de violence, tant de ressentiment et on tend à devenir misanthrope en mettant en parallèle la société de Bloy-Marchenoir et la nôtre… combien de véritables amis possède-t-on ? combien de fois nous prend-il l’envie de conspuer cette société vile et corrompue ?

A tout dire, on se lasse un peu de ne rencontrer qu'amertume et désespérance; les rares moments de grâce sont largement couverts par les tombereaux d'immondices que Bloy-Marchenoir déverse sur ses adversaires... c'est d'ailleurs la plus grande faiblesse du livre... il a vieilli car ces adversaires sont la plupart inconnus et j'ai eu du mal à m'intéresser aux polémiques de l'époque (cela me rappelle d'ailleurs dans le genre le journal de Léon Daudet)... reste le talent de l'écriture, infini, qui rachète à lui seul cette faiblesse du roman. Bloy est sans doute un des plus grands stylistes de son époque.

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