Interventions politiques 1961 - 2001 de Pierre Bourdieu

Interventions politiques 1961 - 2001 de Pierre Bourdieu

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Scientifiques

Critiqué par Elya, le 12 août 2013 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 9 étoiles
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Concilier des actions politiques, scientifiques, artistiques

Ce livre édité chez Agone n’est pas à proprement parler un essai rédigé par Bourdieu mais plutôt un recueil de certaines de ses interventions, orales ou écrites. Ces textes ont été scrupuleusement sélectionnés afin de se questionner et de donner des bribes de réponse sur une problématique (qui n’en est pas une, justement) bien particulière, à savoir celle de l’engagement des intellectuels dans la politique.
Sans cette synthèse, il aurait été difficile d’avoir accès à tous ces documents, pour la plupart issus de conférences européennes, de journaux et de revues de sciences sociales, datés des années 60 aux années 2000.
Si le sujet central est bien les liens qu’il devrait exister entre les sciences sociales et la politique, celui s’exprime au travers de différents évènements et thématiques : guerre d’Algérie, réformes de l’éducation (réalisées ou avortées), enquêtes d’opinions, grèves nationales, journalisme… et particulièrement, l’indépendance des intellectuels, que Bourdieu définit ainsi:

« L’intellectuel est un personnage bi-dimensionnel : il n’existe et ne subsiste que pour autant que, d’une part, existe et subsiste un monde intellectuel autonome (c’est-à-dire indépendant des pouvoirs religieux, politiques, économiques, etc.) dont il respecte les lois spécifiques, et que, d’autre part, l’autorité spécifique qui s’élabore dans cet univers à la faveur de l’autonomie est engagée dans les luttes politiques. »

Notre société devrait pouvoir permettre à ces individus d’être le plus désintéressé (politiquement, économiquement, etc.) et indépendant possible. Mais être libéré de tout conflit d’intérêt, ce n’est pas être (ou ce ne devrait pas être) dans l’inaction, et ne regarder les faits politiques et sociétaux que de loin, d’un œil aguerri mais d’une bouche muette. Il est possible de soumettre l’actualité à l’analyse scientifique, mais cela nécessite une grande rigueur. On peut être scientifique et intervenir dans le débat public, sans pour autant émettre des propos politiquement corrects et vulgarisés à outrance ; voici que ce Bourdieu nous prouve.
Il n’hésite pas non plus à reconnaître ses échecs, notamment lors de sa participation à l’émission « Arrêt sur image », qui lui fait conclure qu’il est impossible de critiquer la télévision à la télévision.

Beaucoup de vocabulaire « bourdieusien » (« capital culturel », « violence symbolique », « champ », « think thanks », « doxosophe »…) jalonnent ces pages, mais les auteurs semblent avoir fait en sorte qu’il soit quasi-systématiquement explicité. Ce livre peut donc être lu même sans être familiarisé avec l’œuvre du sociologue ; il peut même en être une très bonne initiation, puisque ces documents sont relativement courts et accessibles. Ils recouvrent de nombreux sujets propices à un regard critique sur notre société, et particulièrement sur les discours dominants (des dominateurs, mais aussi des dominés, dont les médias sont de bons relayeurs). Voici un passage illustrant cela (extrait assez long, mais il est difficile de résumer les propos de Bourdieu sans les fausser):
« Le discours dominant sur le monde social doit sa cohérence pratique au fait qu’il est produit à partir d’un petit nombre de schèmes générateurs qui se laissent eux-mêmes ramener à la position entre le passé (dépassé) et l’avenir ou, en termes plus vagues et apparemment plus conceptuels, entre le traditionnel et le moderne.
Comme on le voit dans les usages qu’en font la conversation quotidienne ou la lutte politique, cette opposition qui, selon l’humeur idéologique, peut soutenir différemment la déploration du perdu ou l’exaltation du progrès, produit des problématiques intrinsèquement vicieuses
(…)le schème produit deux termes opposés et hiérarchisés, et du même coup la relation qui les unit, c’est-à-dire le processus d’évolution (ou d’involution) conduisant de l’un à l’autre (soit par exemple le petit, le grand et la croissance) »


Bourdieu, comme la sociologie, ont souvent été critiqués, notamment concernant leur « fatalisme » sous-jacent. Le sociologue s’en est toujours défendu, et ici aussi. Je n’ai pas encore pris connaissance de beaucoup de travaux de ses détracteurs, mais le seul reproche que je trouve à faire à Bourdieu pour l’instant, c’est son manque de références, surtout lorsqu’il s’agit d’études statistiques. Il est difficile de remonter à la source de certains chiffres, ce qui donne parfois l’impression de devoir croire l’intellectuel sur parole; fâcheux ressenti.

Quoi qu’il en soit, ce livre est un de ceux dont je ne souhaite pas me séparer, et dont je relirai sans doute fréquemment quelques chapitres, qui poussent à la réflexion sur des sujets divers et cruellement cruciaux.

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