Le Guetteur de Vladimir Nabokov

Le Guetteur de Vladimir Nabokov
(the Eye (trad de Sogliadatai (Соглядатай)))

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Ravenbac, le 30 juin 2012 (Reims, Inscrit le 12 novembre 2010, 58 ans)
La note : 10 étoiles
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Miroir

Le narrateur a une vingtaine d’années quand, suite à la révolution bolchévique, il débarque pour la première fois à Berlin. Pour survivre il devient précepteur dans une famille russe où on lui confie deux jeunes garçons turbulents.
Le narrateur, dont on ignore le patronyme, est un homme solitaire. Cela ne l’empêche pas de rencontrer Mathilde : « Je pense que je dus la trouver assez plaisante, cette plantureuse personne d’humeur impavide, au regard de Junon, dont la grande bouche se ratatinait en cul-de-poule qu’elle prenait pour un bouton de rose chaque fois qu’elle tirait un miroir de son réticule pour se poudrer le visage. »
Mais elle devient vite assommante : « Elle n’avait qu’un seul sujet de conversation : son mari. »
Le narrateur, dans le récit de sa courte vie, se révèle peu à peu au lecteur. « Le sommet de la jouissance amoureuse n’était pour moi qu’un monticule blême dominant une perspective implacable. » « […] Même pendant mon sommeil, je ne cessais de m’observer, butant sur l’absurdité de mon existence, […] enviant le sort de tous ces simples […] qui croient à leurs petites occupations et s’y adonnent avec enthousiasme. »
Un jour alors qu’il fait cours à ses deux élèves un homme sonne à la porte et se fait sévèrement rosser par l’inconnu : « En cet instant précis, tout un pan de ma vie s’est écroulé, sans un bruit, comme dans un film muet. »
Dans un mouvement qui dépasse l’entendement, il retourne à son ancienne adresse, dans son ancienne chambre, avec l’intention de se suicider. « Un petit bonhomme vulgaire, lamentable et tremblotant, coiffé d’un chapeau melon, se tenait au milieu de ma chambre, occupé (Dieu sait pourquoi) à se frotter les mains. C’est du moins ce que je vis en me regardant dans la glace. » Le narrateur pointe l’arme vers lui et appuie sur la détente. Fin du premier acte.
Nous retrouvons notre héros quelque temps plus tard dans un cercle d’émigrés russes (il faut entendre « héros » dans son sens moderne c’est-à-dire une personne qui tient le rôle principal, car notre histrion est loin de faire preuve de grand courage). Il y rencontre de nouveaux personnages, notamment Vania. « Je remarquai aussitôt Vania et aussitôt mon cœur battit plus vite […]. » « Vania avait un charme si ensorcelant que les larmes vous en montaient aux yeux […]. Son visage duveteux, son regard flou et ses douces lèvres sans fard que le froid gerçait et gonflait légèrement, dont la teinte s’estompait vers les bords, se dissolvant en un rose fiévreux qui appelait le baume d’un baiser frôleur, ses robes courtes aux teintes lumineuses : ses gros genoux qu’elle tenait joints, abominablement serrés l’un contre l’autre […] – oui, le moindre détail de sa personne vous mettait au supplice, avait je ne sais quoi d’irrémédiable […]. »
Mais la curiosité du narrateur se tourne vers Smourov : « Je dois dire qu’il me fit, au cour de ces premières soirées, une assez bonne impression. »
Lors d’une soirée, Smourov raconte une intrépide aventure qui lui ait arrivée quelques années plutôt à Yalta, bravant tous les dangers face à l’armée rouge. « Quant à Vania – non, plus aucun doute n’était possible, après cela, elle ne pouvait que tomber amoureuse de Smourov. »
Mais qui est vraiment Smourov ? Nul ne le sait vraiment car il est un relativement nouveau venu dans le petit cercle. Et notre héros n’aura de cesse, plongé entre fascination et jalousie, que de mettre à jour le véritable Smourov. Le roman est conté sur « le mode des histoires policières », même si le lecteur devine assez vite qui se cache derrière Smourov. Mais qu’importe, ce qui compte ce n’est pas le mystère mais l’agencement.
Et grâce à un regard singulier, à une construction habile et à une écriture souple et colorée toujours pleine d’inventivité, Nabokov nous concocte un petit roman (150 pages) plein de charme.

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