L'eau mate de Bernard Manciet

L'eau mate de Bernard Manciet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 30 mai 2012 (Inscrit le 22 décembre 2011, 51 ans)
La note : 7 étoiles
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Un texte très court, mais dense, sur une errance hors du monde, jusqu'à l'effacement de soi

Cette œuvre se présente comme une suite de 28 textes très courts (moins d’une page), qui décrivent à petites touches l’errance du narrateur dans un marais, où il s’enfonce et se perd. Il ne s’agit ni d’un roman ni d’une longue nouvelle mais la mise en page (impression du texte sur les pages impaires uniquement) a permis à l’éditeur (L’escampette) de présenter le livre comme une œuvre en soi, vendue 10 euros, alors qu’il eût sans doute été davantage « honnête », vue la durée de lecture de l’ouvrage, de présenter l’œuvre comme une simple plaquette de proses poétiques ou de l’inclure dans un recueil. Je sais bien qu’en littérature, la quantité n’est pas un critère quand on a la qualité mais il n’y a pas de raison pour « gonfler » artificiellement, à la fois l’épaisseur du livre et son prix… Cela dit, cette mise en page a le mérite de l'élégance !

Le texte en lui-même, même s'il se lit rapidement, est dense et distille un climat d'étrangeté. Le narrateur a quitté la société des hommes pour se perdre dans un marais, sous l’impulsion d’une sorte de musique intérieure qui le guide. Il marche, jour et nuit, dans une errance contemplative et se laisse peu à peu engloutir jusqu’à devenir une sorte d’être végétal, qui appartient au marais. Je recopie un extrait représentatif, dans le texte nr.8 : " Je finissais par respirer comme les rejets de tilleul, par foisonner comme les froissements des roseaux. Ma peau me berçait d'une odeur de foin, jusqu'à m'incommoder ".

Dans les descriptions (arbres, plantes, mares d'eau stagnante, etc.), la narration va progressivement passer du « je » au « nous », pour accentuer ce sentiment d'assimilation. Les textes sont très descriptifs et il n’y a, dans le récit, quasiment aucune tension dramatique. Le corps et ses sensations, sans être absents, sont évoqués comme des réalités secondaires. On est donc très loin, alors que le thème s’y apparente, de « La vase » d’Eugène Ionesco (nouvelle admirable dans le recueil également admirable intitulé « La photo du colonel ») ou de certaines parties de « Malone meurt » de Beckett, où l’enlisement du corps dans l’humidité épaisse et gluante des marécages est admirablement restituée. Ici, c’est la lente transformation mentale du narrateur qui constitue le cœur du texte, fait de phrases courtes dont la prose est très maîtrisée, parfois jusqu’à la froideur. Il y a, sous jacente à l'errance poétique et au détachement, une volonté avouée de disparition et d'effacement.

Il se peut que le texte ne soit pas totalement abouti. En effet, il s’agit d’une œuvre posthume retrouvée dans les cartons de l’auteur, disparu récemment, et que j’ai découvert à l’occasion de cette lecture.

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