Carnets du grand chemin de Julien Gracq

Carnets du grand chemin de Julien Gracq

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Radetsky, le 26 mars 2012 (Inscrit le 13 août 2009, 81 ans)
La note : 10 étoiles
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Les racines du ciel

Le ciel n'a pas de racines ? Mais alors le rêve non plus, et que dire de la littérature...? Julien Gracq, Grand Errant devant l'Eternel, déjoue l'impression fallacieuse d'enfermement à laquelle le Château d'Argol comme le Rivage des Syrtes semblaient voués. Il rejoint la cohorte des grands voyageurs, de Montaigne à Hugo, révélateurs de mondes perdus, oubliés, et d'une sensibilité dans l'ordre de la vie en passe de les rejoindre au magasin des choses mortes. Et le ciel est à la fois son témoin, son reflet, le prolongement de son errance, la non-limite du regard sans cesse attiré vers l'au-delà des horizons et des apparences. Gracq, homme concret, sait jouer des reflets du rêve et du ciel (celui des idées n'étant pas en reste) dans les portraits qu'il brosse de la réalité.
Il applique à la description de l'espace habité par un temps concret la méthode où excellent ses Lettrines dans l'ordre littéraire. Une autre coloration d'un lieu, d'un paysage humain ou minéral, quand bien même s'en trouverait-il réduit à une eau-forte, apparaît sous sa plume. Telle ville, tel chemin, tel rivage, telle lande, qui nous paraissaient familiers pour les avoir parcourus, deviennent autres, surprennent soudain par leur fraîcheur ou tel aspect qui nous demeurait étranger. La magie de l'oeuvre littéraire, miroir réciproque d'un auteur et de ses lecteurs, opère à tout instant.
On ne craindra pas le manque d'éclectisme : La Suède, la Provence, les routes du Cantal des Causses ou des Ardennes, les chemins allemands ou le souvenir de Courbet à Ornans, les arbres, la Slovénie ou la forteresse silencieuse du Morvan, l'austère grandeur des pierres glacées de l'Oisans, la bourrasque de la Hague... et tant d'autres.

Le ciel retrouve ses racines dans les reflets du réel où ce voyageur peu ordinaire le convoque, au gré de sa sensibilité, de ses souvenirs, de ses attentes. Ce pourrait être, avec le talent d'un peintre, une petite encyclopédie de l'honnête homme en route.

Là n'est cependant pas la totalité de l'oeuvre, tant s'en faut !
L'originalité de ces chroniques tient aussi dans le voyage intérieur, dans l'introspection devant un stimulus esthétique, dans l'acception toute personnelle que Gracq exprime quant à telle ou telle de ses fréquentations, littéraire, historique, philosophique, ou bien encore dans des verdicts acerbes et sans complaisance - dans la veine de La littérature à l'estomac - tant à l'égard de personnages, de goûts, de tics comportementaux, que d'oeuvres littéraires ou autres, dont son époque lui fournissait l'abondante matière (tel jugement de Tolstoï sur Napoléon, des considérations sur l'exotisme en littérature, Baudelaire, la vie et la mort du roman et de l'écrivain, etc. etc.) ; on est parfois à la limite de l'aphorisme, de la notule, mais aucune fausse note, rien de trop.
C'est une autre forme de voyage, dans les livres et dans les idées, qui n'en est pas moins passionnant à parcourir en compagnie de Julien Gracq et celui-ci ne se prive pas de dériver, de s'échapper vers l'inattendu, toujours avec finesse et un sens très sûr du trait ou de la nuance.
Ces carnets ? La métaphore du voyage total. Bonne route...!

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