La somnolence de Jean-Pierre Martinet

La somnolence de Jean-Pierre Martinet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sissi, le 2 novembre 2011 (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans)
La note : 6 étoiles
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Soliloque d'une vieille égarée...

Maria Krühl, soixante-seize ans, fille du grand pasteur Krühl, dont elle est si fière et sous l’emprise duquel elle reste résolument enferrée, vit seule avec sa bouteille de whisky, ses délires et sa haine des hommes.
Ayant chassé, sous un prétexte fallacieux, la dernière personne qui la maintenait un minimum reliée au monde réel – Maryvonne , la femme de ménage – elle reste désespérément seule, avec ses rituels (des fruits confits qu’elle étale sur son lit de manière immuable), ses phobies ( elle est obsédée et terrorisée par des fillettes aux cheveux rouges qui chantent dans son matelas) et sa hantise d’un monde qu’elle contemple, dépitée, depuis sa fenêtre, avant que des évènements précipités ne la contraignent à sortir de sa tanière et à affronter le réel.
Enfin…le réel s’il en est, car Maria Krühl ne vit que dans un monde fait de folie, d’hallucinations et de rencontres malfaisantes.
Tout au long du livre, elle s’adresse à un homme qui a vécu avec elle sans l’aimer et qu’elle rend responsable de sa décrépitude, le soupçonnant fortement d’être à la tête de « l’Organisation », un mouvement dont l’objectif est de conspirer contre elle pour mieux la détruire.
Honte, humiliation, dégoût, voilà ce qu’a été et ce qu’est la vie de Maria Krühl, (fille du grand pasteur Krühl, ne l'oublions pas), qui a passé une bonne partie de son existence à l’asile, et qui est à présent engoncée dans un corps malveillant et dans un monde hostile où la paranoïa pousse à toutes les extrémités.
La somnolence, cette torpeur nébuleuse qui l'anime souvent, ne l'empêche pas de faire preuve de hargne et d'une détermination parfois sans failles (des regains de vie?).

Le soliloque donne un rythme effréné à la lecture, où l’on sent presque les reprises de respiration de celle qui crache sa haine et ses terreurs de manière virulente, en s’adressant très souvent directement à son interlocuteur fantôme et en écorchant les noms lorsque l’ivresse devient trop importante (comme la Mamane de « Jérôme »).
Toutefois, l’embarquement dans ce psychisme tourmenté se fait difficilement, et on ne fait qu’alterner entre des passages franchement réussis (notamment lorsque Maria sort et doit affronter le monde interlope de la nuit) et d’autres qui le sont décidément beaucoup moins (la rencontre avec l’homme au complet vert, entre autres).
Martinet ne parvient pas à faire, comme c’est le cas dans « Jérôme », une œuvre où tout s’enchaîne à la perfection (ou presque) de bout en bout.
Le crescendo dans la folie de Maria est un peu grossier et si l’on est littéralement happé par moments, on ressort souvent du livre pour ne redevenir qu’un lecteur/spectateur un peu sceptique et peu convaincu.

Comme l’explique Julia Cluriel dans la préface : « Que « la somnolence » ait été la genèse de « Jérôme », son chef-d’œuvre, cela ne semble pas faire de doute. Outre leurs contenus similaires – soliloques d’êtres esseulés dont les errances à travers une ville indécise mènent à des rencontres hallucinées – une même énergie les tend l’un l’autre, qui selon toute apparence s’abreuve à une terreur commune. »
On pourrait rajouter bien d’autres choses dans la similarité, et en cela on peut effectivement affirmer qu’il s’agit ici en quelque sorte d’un brouillon de ce que sera « Jérôme » trois ans plus tard.
Mais comme toute première ébauche, « La somnolence » n’a ni la profondeur ni l’envergure de son divin successeur, lui parfaitement abouti.
Oui, il s’agit bien d’un coup d’essai avant le coup de maître.
Qui le sait sera fatalement indulgent.
Qui l’ignore le sera fatalement beaucoup moins.

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