Ascension de Ludwig Hohl, Martin TomDieck (Dessin)
(Bergfahrt)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Stavroguine, le 16 juin 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 6 étoiles
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Gagner la montagne

Présenté comme le « chef-d’œuvre » de son auteur – pour autant que cela veuille réellement dire quelque chose dans le cas de Ludwig Hohl, Suisse allemand dont le reste de l’œuvre n’aura pas vraiment connu la postérité –, Ascension, petit roman ou longue nouvelle flirtant à plus d’un égard avec le récit, aura été remanié six fois entre 1915 et 1971 avant d’être finalement publié chez Gallimard en 1975, et enfin, dans la même traduction pourtant truffée de germanismes, récemment chez Attila, dans une très jolie édition : couverture en calque, papier épais et délicieusement satiné, dessins à l’encre de Chine d’un « spécialiste du noir et blanc » qui n’apportent pas grand-chose mais ont tout de même le mérite d’exister (ainsi que de multiplier la taille de chaque chapitre – et donc du livre – par deux)…

Avec un tel emballage et cet amoncellement de superlatifs, on serait presque en droit de s’attendre au pire ; on sera ravi de ne pas l’y trouver. Sans pour autant justifier son titre de « chef-d’œuvre » – ou alors seulement au sein de la bibliographie de Hohl – Ascension est un honnête récit d’alpinisme qui vous fera passer deux agréables heures de dépaysement. Le récit nous transporte dans les années 1920 au cours desquelles deux alpinistes, Ull et Johann, entreprennent la susnommée ascension d’un glacier alpin. Assez rapidement, le lecteur comprend que c’est plus Ull que Johann qui a pris l’initiative de cette aventure, que c’est plus Ull que Johann – qui rien qu’en marchant encore dans la vallée semble vouloir attaquer la montagne au lieu de se laisser porter par elle – le vrai alpiniste de l’histoire et que, par conséquent, Johann fera machine arrière au premier réel obstacle et laissera Ull entreprendre l’ascension en solitaire. Même si les traits de caractère des personnages sont suffisamment grossiers pour nous rendre Johann tout à fait antipathique (en plus d’être lâche, il est ronchon, n’écoute personne et n’en fait qu’à sa tête), on ne pourra pas vraiment dire que sa décision surprenne : après tout, Ull avouera qu’il ne l’a fait venir que pour avoir un poids pour le retenir en cas de chute en marchant en cordée ; ce n’est pas très flatteur, et personne n’aime à jouer les faire-valoir, surtout lorsqu’il s’agit de mettre sa vie en danger.

Ull est donc seul face au glacier et, à partir de là, le récit se change en une sorte de parabole sur l’abnégation et le dépassement de soi. Ne reculant pas devant un obstacle infranchissable, Ull entreprend la périlleuse ascension faisant fi de tout danger. Au gré de courts chapitres, le lecteur suit son ascension non sans plaisir, profitant de quelques belles pages de descriptions des sommets glacés et enneigés. Bien évidemment, le commun des mortels (dont fait partie votre humble serviteur) passera très certainement à côté d’une bonne partie de l’œuvre qui trouvera plus d’écho chez les frères alpinistes de l’auteur. En effet, l’ouvrage est parfois un peu trop technique lorsque l’auteur décrit les prises qui sont à sa portée et la manière dont il gère son ascension, et surtout sa descente, encore plus périlleuse – peut-être une image ? le retour vers une réalité au ras des pâquerettes après avoir côtoyé les sommets au prix de tant d’efforts ? On aurait préféré en savoir plus sur les états d’âmes du grimpeur face à tant de solitude et d’immensité, que le texte embrasse complètement sa dimension de fable et laisse de côté le récit parfois un peu trop technique auxquels les néophytes risquent de demeurer hermétiques. Si l’on imagine bien la prouesse qu’est en train d’accomplir Ull, à moins d’être de la partie, elle nous laissera largement indifférents. Restent cependant quelques belles scènes, marquantes aussi bien pour l’immensité de ce qu’elles évoquent que pour leur façon de faire cohabiter le surpassement de soi et le danger, telle cette nuit passée en pleine montagne où Ull luttera contre les sirènes d’un sommeil qui pourrait lui être fatal. Une fin en jus de boudin – et forçant encore le trait sur l’opposition entre Ull, qui sera gratifié d’une fin à sa mesure, et Johann, ridicule jusqu’au bout – achèvera de laisser le lecteur en proie à certain scepticisme.

Au final, on aurait sans doute bien plus apprécié Ascension sans cette mise en page pompeuse et ses qualificatifs usurpés, s’il nous avait été présenté pour ce qu’il est, c’est-à-dire un court récit de beaucoup moins de 192 pages, largement imparfait et parfois abscons pour les non-initiés, mais qui offre quelques beaux moments dont on aurait tort de se priver. C’eut été moins vendeur, sans doute, mais le lecteur aurait certainement pris plus de plaisir à jouir de ce petit texte sans prétention sans s’être senti obligé d’y trouver à tout prix quelque chose qui n’y existe pas.

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