Soudain l'été dernier de Tennessee Williams

Soudain l'été dernier de Tennessee Williams
(Suddenly Last Summer)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Madamedub, le 14 juin 2011 (Paris, Inscrite le 27 janvier 2011, 39 ans)
La note : 9 étoiles
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Soudain, l'été dernier

Une fois passée la disparition de l’inoubliable Elizabeth Taylor, il fallait bien se dire que puisqu’ « à tout malheur quelque chose est bon », l’hommage à la belle pouvait être une excellente excuse pour se replonger avec malice dans les méandres psychologiques de Tennessee Williams. On garderait alors, dans un coin de son esprit, l’image dramatique, sensuelle, la pose toujours affaiblie, mais jamais vaincue de celle qui incarna la Maggie de « La chatte sur un toit brûlant » ainsi que la Catherine de « Soudain l’été dernier ». Oui, à tout malheur quelque chose est bon.

Dans « Soudain l’été dernier », Catherine, cousine de Sebastian, assiste à la mort de ce dernier à la suite de circonstances suffisamment troubles pour que Madame Venable – mère de Sebastian – soit prête à tout pour empêcher la révélation de pratiques ayant conduit, directement ou indirectement, à la mort de son fils ; soyons concrets, c’est à une lobotomie qu’elle destine Catherine. Qu’importe si cette dernière dit la vérité, pour Madame Venable l’important est qu’ « après l’opération, qui osera encore la croire [Catherine] ? ». Tante 1 – Nièce 0.

Traversent tour à tour ce portrait – d’une lucidité torve – de l’esprit du Sud Américain les thématiques de l’homophobie, du « rang », du racisme, de la vénalité, une vision égoïste de l’hagiographie familiale dont l’amour aveugle – et qui veut bien être aveugle – justifie tout. Mais ce foisonnement de réflexions mériterait bien plus que cette courte et imparfaite « critique »... Foin de généralités donc, venons-en aux deux points qui ont frappé l’auteur de ces lignes à la lecture de l’œuvre :

Premièrement, Tennessee Williams joue admirablement avec l’ambivalence « dit/non dit ». En peignant cette microsociété inconsciente de la portée de ses jugements et de ses actes, Tennessee Williams slalome avec habileté entre les piquets de l’individuel et du collectif par la dualité « absence/présence du langage », « dit/non dit », « vulgarité/bienséance ». La famille Holly (celle de la mère de Catherine et de son benêt de frère, Georges) est caractérisée par l’incapacité de taire les choses, ce qui la rend au pire vulgaire, au mieux incontrôlable ; la famille Venable, elle, se caractérise par sa propension à les taire où à les enrober de manière à les rendre acceptables. Mais en réalité, les deux sont aussi méprisables, et font montre des mêmes bas instincts (argent), des mêmes caprices (qui se matérialisent par une boisson de drugstore pour l’un, par un daïquiri pour l’autre), des mêmes radotages : l’hagiographie de son fils par Madame Venable contrecarre les « radotages » de Catherine sur les circonstances troubles de la disparition de ce très cher Sebastian.

Quelle que soit la situation symbolique des deux « camps » (les Venable dominants, les Holly quémandeurs), leurs attitudes exhalent une pourriture moite à laquelle la chaleur suffocante de la jungle reconstituée qui sert de décor à la pièce sied à merveille. L’auteur siffle la fin de cette bataille entre le « dit » et le « non dit » sur un immonde match nul. Famille Venable, moins que zéro ; famille Holly, moins que zéro. Sauf Elizabeth Taylor… euh, Catherine pardon, qui tout s’étant fait voler ou briser sa pureté, physiquement et symboliquement, sublime le « dit » et brise les certitudes, quitte à apparaître inacceptable.
Deuxième thématique majeure, la question de l’irresponsabilité. Dans ce petit monde où tous sont complices, personne ne peut être innocent. La demie crise de conscience qui provoque la chute de Sebastian est d’autant plus violente qu’elle reste inconsciente, diffuse, qu’elle s’insinue en lui comme un poison sans qu’il en comprenne le sens, ou presque. Pour une fois qu’il ne bouge plus, qu’il n’est pas emmené vers l’ailleurs par sa mère, qu’il marine dans ses actes, il devient vulnérable, potentiellement perméable au mal-être, à la culpabilité, sans toutefois atteindre la prise de conscience (ce serait trop facile). Rester trop longtemps au même endroit a révélé à Sebastian la valeur inconséquente qu’il accordait véritablement à un monde qu’il prétendait aimer : le poète qui ne refusait jamais quoi que ce soit, qui n’imposait jamais quoi que ce soit au monde, finissait par se rendre compte qu’il avait toujours imposé ses désirs, quelle que soit la candeur qu’il leur prêtait.

Tennessee Williams décrit ici un microcosme du Sud sans véritable valeurs car sans repères de valeur : un jour de chaleur, étourdi par une musique assourdissante, l’esprit de Sebastian, inconscient ou inconsciemment, lui a inspiré que la valeur de ses actes était peut-être supérieure à zéro. Qu’il influait sur le monde. Qu’il était responsable. Qu’il n’était plus maintenu dans l’irresponsabilité par une mère castratrice et une existence fuyante. Qu’il devait répondre de ses actes. Non, qu’il préférait les fuir. Mais qu’il ne pouvait pas.

Et quel plus beau symbole que de voir cette leçon de vie émaner de la bouche d’une Elizabeth Tayl… Non ! D’une Catherine, qui, en fin de compte, d’une scène de bal à une scène de discussion dans un jardin, n’a jamais fait que demander une seule chose au monde : qu’il accepte ses responsabilités. Un appel cher à Tennessee Williams et qui traverse toute son œuvre, un appel qui ne peut que résonner d’autant plus fort aujourd’hui. Elizabeth/Catherine + Tennessee 2 – le reste du monde 0 ?

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