Le Marchand de Lodz de Adolf Rudnicki

Le Marchand de Lodz de Adolf Rudnicki
(Kupiec Lodzki)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Jlc, le 16 février 2011 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 10 étoiles
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Aux frontières de l'impossible

« Le marchand de Lodz » est le recueil de trois récits sur les ghettos en Pologne pendant la seconde guerre mondiale. C’est une autre facette de l’extermination des Juifs par les nazis, éclairée par le talent d’un écrivain. Ces récits sont atroces et la littérature ne les dénature pas, elle les signifie.

Le marchand de Lodz est un Juif sexagénaire, Rumkowski, que les Allemands choisissent en avril 1940 pour administrer le ghetto de la ville. Ce personnage va prendre son rôle très au sérieux, non pour défendre ses coreligionnaires, mais pour satisfaire en tous points les ordres « les plus ignobles » des nazis. Surnommé l’Empereur, « ce réprouvé chef des réprouvés » va se comporter comme un tyranneau copiant le style du grand tyran. Une fois pourtant, quand on lui demande de mettre sur pied un bordel de 180 jeunes filles polonaises à l’usage des officiers et soldats allemands, il dit non. Ce mégalomane est plus complexe qu’il n’y paraît. « Ce devait être un homme pudique, correct, avant tout correct » avance Rudnicki. Néanmoins il va singer ses maîtres avec une facilité qui les ravit tout en les épouvantant d’une telle maestria. Rumkowski va déployer son sens de l’organisation, son énergie formidable sans vraiment s’interroger sur son avilissement. Adepte du système nazi fondé sur le mépris, celui des valets plus que celui des maîtres, Rumkowski le ressent « pour ceux auxquels il a soi-disant consacré sa vie ». Il croit satisfaire son maître allemand en voulant transformer le ghetto en « une immense fabrique où des ouvriers travaillent comme des forçats en échange de quelques rutabagas ». Mais ce ne sera jamais suffisant. Lui qui a livré des dizaines de milliers de personnes sera arrêté, affublé par son geôlier du titre dérisoire et ironique de « Roi des juifs », puis envoyé à Auschwitz « dans une voiture-salon accrochée à un wagon de marchandises. »

Le second récit rend hommage à Ostap Ortwin, intellectuel influent d’origine juive qui disparut dans des conditions non élucidées mais que Rudnicki imagine peut-être. Ce texte est très beau et bien sûr abominable tant la vie qui y est décrite est insoutenable de souffrance, de honte, de mépris, de faim, de misère et de désespérance. Rudnicki en donne quelques exemples : on dit que les femmes brûlent moins bien que les hommes dans les chambres à gaz ; on raconte l’histoire de cette femme qui avec ses trois enfants va chercher du secours au service social de la communauté juive et à qui on répond qu’on ne peut rien pour elle. Alors que dois-je faire réplique-t-elle ? Vous jeter du quatrième étage ; ou encore « l’ennemi aimait la propreté ; il en avait donc fait des êtres immondes » en guenilles et sales. Malgré tout, restent la dignité et la sérénité, telles celles d’Ostap Ortwin qui revient dans l’appartement qu’il aimait tant, au crépuscule dominical, chantant une vieille mélodie juive en attendant son bourreau.

Le dernier récit, l’histoire d’Emanuel qui voit sa famille disparaître sous ses yeux, est aussi un récit de la vie au ghetto avec ce passage que je ne peux ne pas citer : Dans la cour d’un hôtel dont on vient d’arrêter des clients « le chauffeur (des nazis) mit et arrêta le contact, essaya son moteur comme un violoniste son instrument avant un concert. Au bout d’un moment il le laissa tourner. La mitraillette commença à crépiter. »
Bien d'autres thèmes sont abordés : Est-on toujours condamnés aux siens ? La vie peut-elle renaître après?

Ces récits sont parfaitement contés avec beaucoup de maîtrise et sans manichéisme. Le talent littéraire, une fois encore, donne à ces pages une authenticité, une émotion qu’aucun rapport d’une commission internationale ne pourra jamais rendre. C’est bien là le pouvoir de la littérature qui sait ici dire « l’élasticité de la frontière de l’impossible », qu’elle soit celle de l’abjection ou celle du renouveau quand on découvre qu’on peut réapprendre à chanter et à rire.

J’espère qu’on ne m’en voudra pas d’avoir dit la fin de deux de ces récits mais elles ont une telle signification que les masquer aurait altéré ce que je voulais dire. Et puis « Le marchand de Lodz » n’est pas un roman policier. C’est un livre admirable qui dit l’indicible.

PS : pour mieux connaître Adolf Rudnicki on peut se reporter à Wikipedia

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