Ecrivains de Antoine Volodine

Ecrivains de Antoine Volodine

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 25 octobre 2010 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 889ème position).
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Autre chose existe...

Les écrivains post-exotiques ont quelque chose à dire. Ils ont vécu la fin de notre monde et la guerre éternelle de tous contre tous, cette dernière lutte des classes, familière au monde de Volodine. Ils en sont sortis meurtris et perdants, fous pour certains d’entre eux, éternellement malades, horriblement défigurés pour d’autres. Pour d’autres, encore, la guerre est terminée, mais ils n’en sont pas sortis, et ils continuent de défendre leur cause dans leur geôle ou depuis un au-delà post-mortem dans lequel tout continue pourtant.

Les écrivains post-exotiques souffrent. Ils ont mal physiquement et songent sérieusement au suicide ; ils ont honte dans leur nudité que de profondes ténèbres dissimulent mal ; ils émettent un cri rendu atone par les murs d’une cellule exiguë ; ils sont sur le point d’être brûlés ou tués par des fous qui les prennent pour des traîtres ; ils ne savent pas d’où ils viennent et réalisent qu’ils sont nés quand d’autres mourraient, qu’ils sont mort-nés.

Les écrivains post-exotiques ont échoué. Tous ont perdu leur combat, aucun n’a été entendu, un seul a achevé son œuvre, mais nul ne le sait ; certains ont dit ce qu’ils avaient à dire, mais nul ne les écoutait ; l’un de ces écrivains n’a même jamais écrit ; tous ont été déçus et on leur a menti.

Dans ce « roman », sobrement intitulé Ecrivains, Volodine rend un hommage aux siens, à lui-même, à Lutz Bassman et Manuela Draeger, et aux autres. On peut s’interroger sur le terme qui accompagne cet ouvrage – « roman » – là où « recueil » aurait pu paraître plus approprié. Sur la forme, on se trouve bien face à une succession de textes courts, qui ne manquent pas de rappeler Borgès, tant pour la construction que pour les thèmes abordés ou la dimension intellectuelle et l’ambition tant de l’œuvre elle-même que de celles, fictives (et pourtant…), qu’elle décrit. Pour autant, ce livre, c'est bien plus que des bouts épars et mis côte à côte dans une succession aléatoire jusqu’à atteindre un nombre de pages suffisant pour justifier une publication. Cette œuvre est un tout. Ce « roman » ou ce recueil pourrait d’ailleurs aussi bien être un traité ou une douzième leçon sur le post-exotisme tant ses acteurs ou ses protagonistes, ses activistes, sont les membres-mêmes du mouvement qui présentent au fil du texte leur démarche artistique et philosophique, la cause qu’ils défendent et ce pour quoi, envers et contre tout, ils écrivent et témoignent du futur de notre monde.

Qu’il soit « roman », recueil ou traité, ou quelque dénomination qu’on lui attribue, empruntée ou non à la terminologie post-exotique, cet ouvrage est capital et presque indispensable pour qui souhaiterait pénétrer ces méandres dans lesquels nous mènent Volodine ou ses hétéronymes, livre après livre. Tout cet univers fascinant nous est ici conté, tous ses mystères et ses ténèbres, son malheur et son (dés)espoir, toute sa philosophie et son intelligence. Ecrivains n’est peut-être pas la plus belle pièce du puzzle post-exotique, mais elle lui est, comme à nous, indispensable.

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Les éditions

  • Écrivains [Texte imprimé], roman Antoine Volodine
    de Volodine, Antoine
    Seuil / Fiction & Cie
    ISBN : 9782021022407 ; 3,29 € ; 02/09/2010 ; 185 p. ; Broché
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Les livres liés

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Le post-exotisme en sept portraits

9 étoiles

Critique de Guigomas (Valenciennes, Inscrit le 1 juillet 2005, 54 ans) - 11 octobre 2013

Volodine a sur CL un petit fan-club tellement enthousiaste que, bien que rebuté au début par les noms à coucher dehors de ses avatars, sceptique ensuite devant le concept spatio-temporel de post-exotisme, suspicieux enfin (par principe de réaction) face à un écrivain à qui certains de mes contemporains tressent des lauriers, j’ai fini par me laisser tenter.

Merci petit fan-club enthousiaste, car Ecrivains est un livre qui marque et donne envie de lire d’autres auteurs post-exotiques.

Il y a incontestablement du Borgès dans ces portraits, dans cette manière d’analyser l’œuvre d’auteurs inconnus de tous, dans l’élaboration d’un univers rendu tangible par des constantes (les steppes de Russie ou d’Asie, les centres d’internement battus par les vents) et par les témoignages des écrivains.

Ces écrivains post-exotiques ont tout perdu. Ils ont lutté pour extraire 5 milliards de gueux de leur gueuserie, assassiné des assassins, tué les maîtres et les chiens des maîtres. Cela leur a valu la prison, l’internement, la folie et la mort. Mais ils avaient quelque chose à dire, un message que Volodine recueille et transmet.

Ecrivains est, à mon avis de lecteur qui n’a lu que ce livre de Volodine, une porte d’entrée tout à fait accessible à l’univers post-exotique.

Ils restent efficaces, même à l'agonie!

9 étoiles

Critique de Donatien (vilvorde, Inscrit le 14 août 2004, 81 ans) - 2 novembre 2010

Comme l'excellent camarade Stavroguine l'a relaté, ces six écrivains- combattants en sont au bilan de leur lutte contre les "assassins" après la défaite de la REVOLUTION.
La plupart sont à l'agonie ou souffrent de maladies dégénérescentes .
Certains préfèrent tenter le suicide, d'autres se réfugient dans leur enfance durant l'interrogatoire qui leur sera fatal.

Comme dans "COMANCER", où le va-et-vient entre l'interrogatoire-mortel et l'école primaire de l'enfance secoure. Volodine y utilise la situation de l'interrogatoire parce que dit-il "C'est un moment où l'activité du lecteur augmente, il perd sa neutralité de témoin abstrait et réagit..... Il se rapproche du livre!

Linda Woo s'évade par "transport chamanique" alors qu'elle pleure dans sa cellule. L'auteur intervient pour dire qu'il l'aime et pleure avec elle!

Maria-trois-cent-treize court dans le noir, après sa mort, mais '"il y a un peu de lumière, et même s'il n'y a aucune lumière il y a l'image d'un lieu, d'une situation , et seule l'image compte.
L'image parle d'une voix sourde. Elle dit des choses de façon continue, dès le début et sans verbe.".
Elle cite quelques images sans paroles ou presque, qui font entendre leur voix sourde : "La barque qui s'éloigne sur une mer vide encombrée de cadavres, à la fin de la LA HONTE d'Ingmar Bergman".
"Le vieil homme cancéreux qui chante sur une balançoire, dans VIVRE d' Akira Kurosawa".
Elles portent des souvenirs d'images,des souvenirs de corps. Ultimes refuges.

Les vrais artistes sont ceux qui inquiètent, qui troublent!
But atteint Monsieur Volodine.

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