La chambre de Mariana de Aharon Appelfeld

La chambre de Mariana de Aharon Appelfeld
( Pirhe ha'afela)

Catégorie(s) : Littérature => Moyen Orient

Critiqué par CC.RIDER, le 11 avril 2010 (Inscrit le 31 octobre 2005, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 864ème position).
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Un nouveau "Journal d'Anne Frank"

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans le ghetto juif d'une petite ville d'Ukraine, la mère d'Hugo, pharmacienne généreuse et très aimée des habitants, confie son fils à Mariana, une ancienne camarade de classe qui travaille maintenant dans une maison close. Les Allemands traquent les juifs pour les envoyer dans des camps de concentration. Ceux-ci se cachent et dissimulent leurs enfants comme ils peuvent souvent en les confiant à des amis ou à des proches, ceux qu'on appellera plus tard « Les Justes ». Hugo devra donc vivre dans un réduit sans fenêtre et sans chauffage pendant que Mariana recevra ses clients. Il ne pourra accéder à la chambre que quand Mariana sera seule. Toute l'existence de l'enfant est donc suspendue aux bruits qu'il entend, aux scènes qu'il devine à travers la cloison. Dans la peur et l'angoisse, il fait la découverte des massacres en train de se perpétrer ainsi que celle des mystères du sexe tarifé. Un jour, la Wehrmacht reflue et l'Armée rouge arrive. Panique dans le bordel, il faut fuir car il est à craindre que les Russes passent par les armes les prostituées coupables d'avoir couché avec des Allemands...
Partiellement inspiré de la vie de l'auteur qui a vu sa mère tuée, s'est retrouvé à l'âge de dix ans déporté en compagnie de son père, et qui a réussi à s'évader et à survivre dans la forêt avec des marginaux, des voleurs et des prostituées. « J'étais blond et je pouvais facilement passer pour un petit ukrainien... » dira-t-il. Un livre très émouvant qui fait penser au célébrissime « Journal d'Anne Frank », sur le même thème de la réclusion mais dans un contexte un peu différent. Hugo a beaucoup d'imagination, il se réfugie dans le rêve et l'onirisme. Il est capable de faire apparaître ses parents qui lui manquent tant, ainsi que ses amis ou les gens de sa famille. Le style d'Appelfeld agréable à lire ajoute encore à la qualité de ce livre remarquable surtout en raison de la personnalité exceptionnelle de Mariana, la putain au grand coeur.

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La chambre des vertiges

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 2 novembre 2021

Né en 1932 à Czernowitz en Bucovine (Ukraine) et mort en 2018 en Israël, Aharon Appelfeld puisa souvent dans sa propre histoire pour l’écriture de ses romans. En effet, ce qu’il avait vécu pendant la guerre, alors qu’il était un enfant, le marqua à jamais et il y avait de quoi ! Quand éclata la guerre, il fut, dans un premier temps, transféré dans un ghetto avec sa famille. Puis, alors que sa mère avait été tuée, il fut déporté avec son père et, à l’automne 1942, il parvint à s’évader, alors qu’il n’avait que dix ans, du camp de Transnistrie. Il se cacha ensuite dans la forêt où il fut recueilli par des marginaux, des voleurs et des prostituées. Ajoutons qu’à cause de sa chevelure blonde, il put facilement passer pour un petit Ukrainien, dissimulant ainsi sa judéité pour mieux assurer sa sécurité.
Dans La Chambre de Mariana, publié en 2006, l’on retrouve précisément certains de ces éléments. C’est d’un garçon, ayant onze ans au début du récit et prénommé Hugo, dont il est question. Sa mère, au moment de fuir le ghetto afin d’essayer d’échapper à la déportation, préfère se séparer de son fils en le confiant à une femme dont elle fut l’amie durant son enfance, Mariana, persuadée que cette dernière pourra le protéger bien mieux qu’elle-même. Mariana ne se fait pas prier, elle accueille l’enfant, d’autant plus qu’il se trouve dans un recoin de sa chambre un réduit, certes glacial mais discret, où elle pourra facilement le soustraire aux regards inquisiteurs. Or, il se trouve que Mariana travaille dans une maison close où l’on reçoit, d’ailleurs, un nombre important de soldats allemands !
Ce thème de l’enfant recueilli par une prostituée, Aharon Appelfeld l’a exploré dans d’autres de ses romans, mais peut-être jamais avec autant d’intensité que dans ce livre. Dans son réduit ou dans la chambre, lorsque Mariana l’y reçoit, Hugo fait l’expérience de sentiments totalement ambivalents. D’une part, il y a la peur car, comme on le lui affirme plus d’une fois, les Allemands sont décidés à retrouver tous les Juifs et à les déporter dans des camps. D’autre part, il y a les longues heures de solitude et d’ennui, durant lesquels Hugo s’évade par le rêve, songeant à ses parents et à son oncle Sigmund, homme promis à un bel avenir mais qui sombra dans l’alcoolisme avant d’être pris dans une rafle. Enfin, il y a l’éveil à la sensualité car, bien sûr, la présence de Mariana ne peut le laisser indifférent. Quand elle reçoit des clients, l’enfant, caché dans son réduit, n’en entend pas moins les bruits, les discussions, souvent les disputes. Car Mariana n’est pas du genre à laisser faire aux hommes tout ce qu’ils veulent. En vérité, elle est malheureuse et, elle aussi, comme l’oncle Sigmund, trouve un exutoire dans l’alcool. Mais avec Hugo, chaque fois qu’elle le peut, elle fait preuve d’une tendresse et d’un dévouement sans limites, le recevant volontiers dans son lit, chaque fois que c’est possible, et lui accordant même des moments de très grande intimité.
Mariana, trop insoumise, ayant été congédiée par la tenancière de la maison close, Hugo est confiée, par celle-ci, pendant un temps, aux bons soins de Nacha, une autre prostituée, mais beaucoup plus distante. Néanmoins, c’est bien Mariana que Hugo retrouve, pour finir, à l’heure de la défaite des Allemands. Mais ce qui, pour les uns, procure la joie, pour d’autres, procure une autre forme de détresse. Arrivent les soldats russes, bien décidés à ne pas faire de cadeaux à celles et ceux qui se sont montrés accueillants pour les Allemands, entre autres les prostituées. Pour Hugo et Mariana, commence un temps d’errance dans la forêt, dans l’espoir de pouvoir se cacher et survivre. Cette tentative de fuite, c’est aussi l’occasion d’échanges et de confidences : Mariana, pressentant que sa vie s’achèvera bientôt, se livre à Hugo dans toute sa vérité, voulant lui laisser en héritage ce qu’il y a de meilleur chez elle. « Prends de Mariana ce qu’il y a en elle, et jette l’écorce », dit-elle en substance à l’enfant. Car, et c’est tout le paradoxe d’une femme qui ne manque pas de complexité, si elle a suscité chez Hugo l’éveil de sa sensualité, elle l’a aussi guidé sur un chemin de spiritualité. L’un et l’autre. À la fin du roman, la voyant en rêve, Hugo l’entend dire à son sujet : «… je l’ai armé d’une grande foi. » Elle qui n’était pas juive a conduit l’enfant sur un chemin de redécouverte de la foi. C’est une des grandes impressions que laisse ce superbe roman quand on en termine la lecture : Mariana, la prostituée rebelle, était un être de lumière.

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  Disparition de Aharon Appelfeld 2 Patman 5 janvier 2018 @ 01:53

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