L'Océan à ses genoux

Claude Sarraute se raconte dans ce livre d’entretiens avec la complicité de Laurent Ruquier qui évoque dans une tendre préface « son rire inimitable et contagieux, sa joie de vivre qu’elle donnait à partager, son absence totale de tabous » mais aussi sa fragilité, sa dignité et son « angoisse de la solitude à la nuit tombée ».
Ce livre m’a surpris car il ne s’inscrit pas dans la veine habituelle de ces célébrités, plus ou moins grandes, qui se complaisent à raconter leur vie, plus ou moins intéressante, à un professionnel de l’écriture, plus ou moins inspiré, qui tente de remettre tout ça en forme avant de laisser le pseudo auteur faire la promotion médiatique de ce qui n’est qu’un produit qu’on jette après l’avoir, plus ou moins, consommé.
J’ai trouvé dans ces souvenirs une spontanéité, une gaieté, certes parfois un peu nostalgique, une authenticité qui rendent la lecture de ce livre agréable et la conteuse attachante.
Et puis quelle vie ! Fille d’un grand écrivain français qui fuyait le succès et avec qui elle eut des relations souvent compliquées ; juive à l’époque de l’étoile jaune, cette brûlure d’infamie et d’extermination ; petite fille d’un avocat qui s’est suicidé « pour éviter d’avoir à faire un faux serment sur l’honneur à ces saloperies, à ces nazis de merde » ; amoureuse hors de toute convention et avec beaucoup de franchise – une de ses plus belles passions sera plus tard un allemand- ; journaliste au « Monde » ce quotidien de référence dont elle fera, à sa manière et à sa place, éclater le corset de componction et de donneur de leçons ; femme de Jean-François Revel qui compte parmi les intellectuels importants de la seconde moitié du vingtième siècle, elle découvrira, sans en être dupe, la vanité du vedettariat que lui valent ses prestations à la radio et à la télévision. Elle raconte tout ça avec beaucoup de vivacité, de drôlerie, sans s’embarrasser du qu’en dira-t-on et déchirant au passage quelques icônes intellectuelles ou médiatiques. Les portraits que Laurent Ruquier lui fait dresser sur sa bande sont, eux, plus convenus, « d’un parisianisme éphémère » comme disait Cendrars et sans grand intérêt. En revanche il faut lire les pages émouvantes mais jamais larmoyantes où elle évoque le temps qui a passé, la vieillesse qui est « commencer à renoncer », la hantise de devoir dîner seule, la volonté de vouloir rester digne et de ne pas tenter à tout prix de paraître ce qu’elle n’est plus, cette tristesse de n’avoir jamais été vraiment reconnue, toujours invitée en tant que « Madame Jean-François Revel » avant d’être aujourd’hui présentée comme sa « veuve », ce tiraillement entre ce qu’elle aimait vraiment et les goûts que ses parents, son mari et ses patrons au journal auraient voulu qu’elle ait.
Quand elle était jeune, sa mère, Nathalie Sarraute, employait une expression russe pour lui dire que « l’océan m’arrivait aux genoux ». Certes ce n’est plus tout à fait vrai mais, de sa maison de Bretagne, elle peut continuer à se laisser bercer par la houle d’un océan qui ne l’a pas engloutie. .

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  Avant que t'oublies tout ! [Texte imprimé], Claude Sarraute et Laurent Ruquier

  de Ruquier, Laurent Sarraute, Claude
  Plon
  ISBN : 9782259208284 ; 1,50 € ; 19/11/2009 ; 258 p. ; Broché

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