La philosophie de Lao Zhang de Lao She

La philosophie de Lao Zhang de Lao She
( Lao Zhang de zhe xue)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Stavroguine, le 27 décembre 2009 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 5 étoiles
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Pétard mouillé

Le Lao Zhang de Lao She est un personnage en tout point repoussant : il est avare, sale, méchant, hypocrite, lubrique, manipulateur, profiteur et sûrement encore bien d’autres qualificatifs peu flatteurs. A vrai dire, à côté de lui, l’Harpagon de Molière aurait presque le cœur sur la main, et c’est un des problèmes qui jalonnent l’abracadabrante histoire que nous conte Lao She. Harpagon, en effet, est un personnage de théâtre volontairement grotesque, tandis que l’auteur, ici, semble constamment hésiter entre la farce et une critique sociale plus frontale, entre la caricature et le réalisme, ne sachant trop sur quel pied danser et donnant parfois l’impression qu’il mène sa barque au petit bonheur la chance. Pour le lecteur, cela se traduit par le sentiment pas toujours agréable d’avoir pris place dans une embarcation pour le moins bancale.
On nous bringuebale ainsi dans la Chine du début de siècle au milieu d’une histoire cousue de fil blanc et d’invraisemblances où un professeur d’école usurier à ses heures, crasseux et mesquin, fait des courbettes devant un inspecteur d’académie avant d’insulter ses élèves et d’exiger de leurs pères qu’ils remboursent leurs dettes en lui vendant leurs filles. Il va bien sûr sans dire que les filles en question vivent les prémices d’une histoire d’amour avec deux élèves du Vieux Zhang qui n’ont pas accepté sa « philosophie ». La trame est assez classique et se déroulera sans réelle surprise jusqu’à un final attendu si ce n’est réellement heureux.
A cette histoire pour le moins convenue, se superpose une critique sociale pamphlétaire mais, là aussi, assez mal construite, bien qu’elle ne soit pas pour autant tout à fait inefficace car Lao She nous fait très bien ressentir le poids des traditions dans cette Chine qui s’ouvre au monde et réclame déjà sa liberté. La condition des femmes est au centre des débats : elles n’ont pas voix au chapitre et ne sont guère plus qu’un moyen de paiement, destinées à tomber entre les mains de vieillards lubriques qui ne peuvent plus s’afficher avec une femme fanée – et maltraitée. Ce que dénonce Lao She, c’est finalement plus encore l’acceptation de ce système par ses victimes que le système lui-même : ainsi, la tante de Li Jing, la fille promise à Lao Zhang en dépit du dégoût qu’il inspire à tous, fait tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser le mariage, estimant que c’est le devoir des enfants de faire ce qu’il y a de mieux pour leurs parents (comme éponger leurs dettes) et qu’il est parfaitement normal qu’une jeune fille pleure à son mariage alors qu’elle est sur le point d’embrasser la carrière d’esclave d’un mari mesquin et laid. Se désengager serait même déshonorant. Cette résignation passive atteint même les prétendants des filles eux-mêmes. Ainsi, les deux jeunes hommes ne s’opposeront à Lao Zhang qu’en pensée, incapables qu’ils sont de passer à l’action même quand leurs amis et leurs parents débiteurs du vieux scélérat eux-mêmes les y incitent, quelles que soient les conséquences pour eux. Lao She semble dénoncer cette acceptation de la vie et de la tradition comme s’il s’agissait d’une fatalité et s’interroge sur le rôle de la victime dans sa persécution, y consentant presque par sa passivité.
Cette œuvre aborde donc des questions qui méritent d’être posées et le désir de l’auteur de mettre un bon coup de pied au cul de cette génération bridée est palpable ; la forme n’en demeure pas moins perfectible et largement brouillonne. La critique sociale est honnête et on peut voir un réel désir de provoquer une réaction, une volonté de changer les choses débordant d’un espoir naïf – c’est une œuvre de jeunesse, la première d’un auteur qui semble vouloir crier que le destin de cette jeunesse est entre ses mains et qu’il lui appartient de le changer. Chose étrange, la réaction préconisée n’est pas la lutte mais la fuite. C’est troublant, mais rappelons simplement que Lao She écrit ce texte lors de son arrivée à Londres, ce n’est sûrement pas sans rapport mais cela nuit un peu à la force – relative – du message : si votre situation ne vous convient pas, ne vous battez pas pour l’améliorer, partez ! Pas tout à fait sûr que ce soit le meilleur moyen de faire changer les choses et évoluer les mentalités…
C’est finalement à l’image de l’œuvre dans son entièreté : honnête et pleine de bonnes intentions mais maladroite et à la portée réduite. Les motifs d’exaspération semblent se bousculer chez un Lao She qui se disperse donc et hésite sur la voie sur laquelle il doit s’engager et la forme narrative à adopter. Au final, il ne nous sert qu’une soupe tiédasse à la place d’un bouillon pimenté et ne reste plus qu’une histoire convenue en forme d’ambition avortée.

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