Une histoire des haines d'écrivains de Anne Boquel, Étienne Kern

Une histoire des haines d'écrivains de Anne Boquel, Étienne Kern

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Numanuma, le 17 février 2009 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 346ème position).
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Il a les jambes du paon mais il n'en a pas la queue

Il semble que les écrivains adorent s’en balancer des vertes et des pas mûres à la tronche. Jusque là, rien de bien extraordinaire, tout le monde a des raisons d’insulter tout le monde ; la différence est que les écrivains le font avec un talent et une verve qui font défaut au vulgaire péquin, soit vous et moi. Enfin, surtout vous en fait… ! Humour !
En fait, il semble nécessaire, pour bien entrer en littérature, d’avoir un ou plusieurs ennemis. Cet ouvrage très dynamique rédigé par deux jeunes agrégés de lettres (25 ans, ça laisse songeur), Anne Boquel et Etienne Kern, passe en revue une période qui va de Chateaubriand à Proust et se creuse une voie dans les travées de la petite histoire des grands écrivains.
J’ai eu l’impression qu’avoir des ennemis était bien plus important qu’avoir des amis ou des admirateurs. En effet, qu’attendre de ses partisans sinon un soutien sans faille ? A l’inverse, un opposant, c’est l’occasion idéale de polémiquer, de guerroyer de mots, de faire des phrases qui, parfois, passent à la postérité. Et si en plus il y a un duel à l’épée à la clef, c’est la renommée assurée au point que ces petites guerres que se livrent les auteurs devient indépendante de la production purement littéraire. Rares en effet sont les ennemis d’hier devenus copains de verbe ; la haine littéraire semble être une affliction éternelle.
C’est tout le sens de cette question de Balzac à Eugène Sue : « Avez-vous des ennemis ? » Sue lui répondra : « Les ennemis ? Oh ! très bien, parfaits et en quantités. »
Boquel et Kern s’entendent comme larrons en foire pour nous raconter les piques et les insultes plus ou moins imagées que s’échangent allégrement les auteurs. Cependant, certains semblent véritablement voués à jouer les premiers rôles en la matière. Ainsi en est-il de Victor Hugo et de Sainte Beuve (Sainte-Bave), pour de simples histoires de coucherie, ou des frères Goncourt, toujours persuadés que leurs collègues de plume leur volent leurs sujets de roman. Ceci dit, ils ne seront pas en reste grâce à leur Journal, chroniques de la vie littéraire de leur temps qui leur permettra de tirer à vue sur leur ancien camarade Zola, entre autre.
Bref, c’est un règlement de comptes permanent qui rythme la vie littéraire et mondaine. Ce ne sont pas toujours les personnes qui sont visées mais aussi les courants littéraires qui les portent ; repensez à la bataille d’Hernani ! D’autres fois, ce sont les œuvres qui font débat : les Fleurs du Mal de Baudelaire ou Madame Bovary de Flaubert auront droit à de beaux procès richement commentés. Cependant, ce sont surtout les querelles amoureuses qui donnent lieue aux plus belles joutes verbales. Tout y passe avec plus ou moins de raffinement, tel Flaubert à propos de Musset alors qu’ils courtisent tous les deux Louise Collet : « Ah ! voila bien mes couillons de l’école de Lamartine ! Tas de canailles dans vergogne ni entrailles. Leur poésie est une bavachure d’eau sucrée. Sacré nom de Dieu, j’écume ! ». Flaubert n’a jamais fait dans la demi-mesure ; en fait, ici, c’est autant son rival que le style auquel il appartient qu’il déchire à belles dents.
Ce n’est rien de dire que je conseille vivement la lecture de ces 300 pages qui passent beaucoup trop vite et qui me semblent être le pendant idéal du Dictionnaire des Idées Reçues de Flaubert. En effet, à mon sens les deux textes sont assez semblables dans leur évocation amusée des ridicules d’une époque et ils le sont, ridicules, nos Hugo, Zola, Balzac, Stendhal et autres, ban et arrière-ban des lettres françaises, dans leur concours de bons mots, tout drapés qu’ils sont dans leur cape du Juste attaqué par l’Infâme, juste avant d’échanger les rôles…

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Les éditions

  • Une histoire des haines d'écrivains [Texte imprimé], de Chateaubriand à Proust Anne Boquel, Étienne Kern
    de Boquel, Anne Kern, Étienne
    Flammarion
    ISBN : 9782081216532 ; 19,30 € ; 19/01/2009 ; 336 p. ; Broché
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Quand les écrivains se font des coups bas

8 étoiles

Critique de Killeur.extreme (Genève, Inscrit le 17 février 2003, 42 ans) - 11 octobre 2010

Ma lecture de ce livre, essai sur les haines entre ces grands écrivains, remonte déjà à un an minimum, mais j'ai gardé un bon souvenir de lecture.

Déjà l'essai est instructif car si dans les dossier des "Classiques" on lit quelque fois les jugements critiques des écrivains face à une oeuvre d'un de leur concurrent, "Les misérables" a été critiqué négativement par tous les concurrents de Victor Hugo, et la critique en général, de Alexandre Dumas (qui, lui, regrette, s'excuse presque, de ne pas aimer le livre) à Emile Zola en passant par Flaubert, alors que le livre est un véritable succès populaire. Cet essai montre vraiment les relations conflictuelles entre les écrivains en profondeur et on apprend vraiment quelque chose, déjà un écrivain a plus d'ennemi que d'amis et il se peut que certains amis deviennent des ennemis (l'inverse est vrai aussi, mais plus rare) et aucun écrivain n'est épargné, de Balzac à Zola en passant par Proust.

On y découvre aussi des passages drôles sur certaines mesquineries d'écrivains, les phrases assassines, les jalousies, bref je ne me souviens pas de tout.

Ce qui fait la force de cet essai, c'est que les auteurs ont réussi à mélanger instruction et divertissement en sélectionnant les anecdotes les plus insolites, c'est un livre à lire, pour mieux connaître la part obscure des écrivains avec humour et sans renier leur génie, je dirais même que cet essai les rend plus humains en ébranlant un peu leur mythe.

Aimez-vous les uns les autres...

7 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans) - 26 novembre 2009

Quelles raisons avaient donc les écrivains et poètes français du dix-neuvième siècle de s’entredéchirer et de se haïr ? Pourquoi Hugo détestait-il Sainte-Beuve ? Quel différend divisait Eugène Sue et Balzac ? Quels étaient les motifs de querelle entre Baudelaire et Théodore de Banville ? Charles Cros en voulait à Anatole France pour quelle raison ?

Ce livre nous éclaire sur les querelles qui divisaient les hommes de lettres de cette époque. Parmi les motifs de discorde, il y avait bien entendu les femmes. Plusieurs épouses d’écrivains célèbres avaient des amants non moins célèbres dans le domaine des lettres. Maris et amants se côtoyaient régulièrement et fréquentaient les mêmes salons. Évidemment tout finissait toujours par se savoir et il y avait souvent de bonnes âmes charitables promptes à informer les maris des égarements de leurs épouses. L’exemple de Hugo et Sainte-Beuve est assez éloquent. Ensuite vient le vol d’idées et les accusations de plagiat. Ici, nous retrouvons un exemple pertinent dans le conflit entre Sainte-Beuve et Balzac. Pour son livre « Le lys dans la vallée », Balzac aurait plagié le livre de Sainte-Beuve « Volupté ».

Beaucoup d’autres domaines de la vie des intellectuels sont sources de conflits, le genre littéraire entre autres. Les romanciers sont méprisés et le roman est considéré comme un genre littéraire inférieur au théâtre. Ensuite, l’argent… Certains écrivains ont la chance de jouir d’une fortune personnelle héritée de leur famille comme Eugène Sue alors que d’autres sont ruinés et vivent dans la misère comme le poète Lamartine. Zola suscite bien des ragots et des jalousies étant parti de rien et ayant fait fortune avec ses romans qui obtenaient toujours un immense succès auprès du lectorat populaire. Maupassant était un parvenu alors que Flaubert était rentier. On se gaussait des malchanceux et des moins bien nantis d’une façon tout à fait cruelle et méchante.

La renommée des uns et des autres suscitait également bien des jalousies et des règlements de compte littéraires. Les écrivains vieillissants étaient raillés et traités avec dureté par leurs pairs. Il y avait aussi la course à l’Académie française. Beaucoup d’auteurs méritants se voyaient refuser l’honneur de faire partie des immortels, ayant des ennemis jurés parmi les académiciens. L’engagement politique des uns et des autres n’était pas pour arranger les choses. Victor Hugo en fait l’expérience pour avoir voulu défendre les libertés du peuple de même que Zola pour l’affaire Dreyfus. Les excentricités et les comportements extravagants de certains leur valent d’être rejetés par le milieu littéraire. Verlaine est reconnu pour sa violence et Rimbaud est considéré comme un fou dangereux. Ceux qui dérogeaient aux convenances essuyaient des attaques virulentes.

Enfin, le livre passe en revue tous les motifs de division et de haine déchirant le milieu littéraire. Je n’ai pas tellement aimé les histoires d’adultères et de liaisons clandestines que je trouve sans grand intérêt mais j’ai trouvé passionnants les conflits au sujet des genres littéraires et aussi de l’entrée à l’Académie et tout ce qu’il fallait faire pour y arriver. Les écrivains ne sont pas présentés sous leur meilleur jour. Les bassesses et mesquineries de certaines célébrités sont parfois assez étonnantes. Les coups bas abondent et on règle ses comptes à coups d’articles de journaux diffamatoires et calomnieux. Les amitiés volent en éclats parfois temporairement mais souvent définitivement. On se réjouit des échecs et des insuccès de ses rivaux et on applaudit à la mort de ceux qu’on déteste. On se moque des manies et des tares physiques, on enfonce le clou, on se déchire à belles dents et parfois, des duels viennent mettre un terme aux conflits et laver les honneurs bafoués. Les lecteurs qui aiment les potins et les ragots seront comblés… C’est une lecture assez ardue car il y a tellement de monde dans ce livre et tellement d’anecdotes que souvent, on s’y perd. C’est assez décousu mais fort instructif. J’ai appris des faits étonnants sur les caractères et la vie de nombreux écrivains.

C'est long comme critique éclair mais je croyais que le livre n'avait pas déjà été critiqué donc je la laisse telle quelle car je n'ai pas le goût de recommencer.

« On parlait de cabales, d’intrigues ténébreusement ourdies, de guet-apens presque, pour assassiner la pièce et en finir d’un seul coup avec la nouvelle École. Les haines littéraires sont encore plus féroces que les haines politiques, car elles font vibrer les fibres les plus chatouilleuses de l’amour-propre et le triomphe de l’adversaire vous proclame imbécile. » (Théophile Gautier)

« Il suffisait de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu’il ne s’agissait pas là d’une représentation ordinaire ; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, — ce n’est pas trop dire — étaient en présence, se haïssaient cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la bataille, et prêts à fondre l’un sur l’autre. » (Théophile Gautier)

Du rififi chez les ecrivains

8 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 16 août 2009

A mi-chemin entre les potins de la commère et le Lagarde et Michard, une petite promenade érudite, sans être pédante, dans les salons parisiens mais aussi dans les bureaux, et les alcôves des hommes de lettres célèbres du 19 e siècle .

Rivalités, réglements de comptes se lisent avec délectation et démythifient ceux dont l’ écriture est généreuse, mais le comportement souvent bien mesquin . On observe le microcosme des « people » de l’époque, on se plaît à plonger dans les coulisses de la production littéraire, et on se dit que à trop admirer leurs écrits on oublie que ces auteurs ne sont que des hommes à l’égo surdimensionné , souvent mus par la haine de celui qui pourrait faire de l’ombre à leur notoriété . Une phrase de Barbey d’Aurevilly- qui s’y connaissait en matière de rivalité - citée par les auteurs, me semble bien représenter la force de ce sentiment «La haine est une fière Muse, quand on l’a vraiment dans le cœur » .

On attend maintenant avec impatience une histoire des haines d’écrivains du 20e siècle

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