Les obsessions du voyageur de Georges Simenon

Les obsessions du voyageur de Georges Simenon

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Jlc, le 10 février 2009 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 864ème position).
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Un autre paradoxe de Simenon

Si Georges Simenon a beaucoup voyagé, il n’a jamais été considéré comme un écrivain voyageur. Peu de ses romans ont été nourris de ses bourlingues, à l’exception notable du « Coup de lune ». S’il y a chez lui un besoin de partir, une fuite en quelque sorte –« Partir !..Etre n’importe où mais être ailleurs.. »- il redécouvre à chaque fois la déception de l’arrivée –« c’est inouï ce que tous les pays se ressemblent ». Faut-il y voir les séquelles de son enfance entre un père sédentaire et tranquille et une mère toujours insatisfaite à chercher l’ailleurs.

C’est ainsi que Benoît Denis, qui a édité Simenon dans la Pléiade, présente « Les obsessions du voyageur », paru dans la collection « Voyager avec… » que parrainent un célèbre malletier et un magazine littéraire. Couverture colorée, beau papier, photos bien choisies, gamme éclectique d’écrivains que l’on accompagne de Virginia Woolf à Proust, Maïakovski ou Joseph Roth entre autres. Le principe est de présenter des textes d’un auteur sur ses voyages commentés par un autre écrivain. Le choix des textes, des photographies (remarquables, elles ont été prises par Simenon), l’intelligence des commentaires de Denis en font un très bon livre.

Si Simenon a peu utilisé ses voyages pour ses romans, il est un autre Simenon, le reporter qui va parcourir le monde particulièrement de 1930 à 1935, se faisant financer par des journaux auxquels il réserve ses articles. Angoissé par la crise de 1929 et la montée des périls, il va essayer de comprendre les mouvements du monde en observateur engagé et perspicace. A l’aise partout, aussi bien avec les mariniers des canaux du Nord que dans les palaces, il veut tout voir ce qui ne va pas parfois sans conflit notamment avec ses guides russes quand il visite l’URSS où il comprend vite qu’on veut lui cacher l’envers du décor. En revanche il est très discret sur les dictatures allemande et italienne. Il entrevoie la fin des aventuriers, au sens noble du terme, et le début du tourisme où régneront faux et pacotilles pour vacanciers naïfs. Il ne croit pas du tout les mensonges de la propagande coloniale, dénonce les tares du colonialisme, non sans une certaine ambiguïté raciale et comprend que la décolonisation est inéluctable. Il se sent des « affinités tragiques » avec les migrants qui errent de port en port et annonce en quelque sorte ce qui se passe aujourd’hui, par exemple dans l’île de Lampedusa, prison maritime pour migrants abandonnés.

Les textes sont presque exclusivement choisis parmi les nombreux articles publiés dans les journaux de l’époque. On retrouve le style Simenon, clair, rapide, précis, économe, sans effet pour mieux faire ressortir le tragique sans pathos. Car si le romancier est souvent pétri d’empathie envers ses personnages, le reporter sait garder ses distances pour mieux rechercher l’homme tel qu’il est vraiment, « l’homme nu ». C’est pourquoi il affirmait avoir moins voyagé dans l’espace (tous les pays se ressemblent) que dans le temps, à la recherche de cet « homme nu ». L’auteur se met aussi en scène, de façon parfois cocasse, au détour d’anecdotes, toujours révélatrices mais sans en tirer de morale. Il livre les faits d’une façon brute voire brutale. Ces textes sont empreints de grisaille, même dans des pays de soleil, de périls, de marchandages sordides, de repères qui s’estompent. On ne peut oublier l’histoire de ces juifs de Pologne ou de cette femme qui garde dans ses bras son bébé mort pour continuer à mendier. « Ailleurs on l’aurait peut-être mise en prison. A Guayaquil, on a compris. »
Des textes oubliés et réunis, des commentaires synthétiques, pertinents et explicites révèlent un autre Simenon, souvent déçu et anxieux jusqu’à sa découverte, lui l’antiaméricain des années trente, de l’Amérique du Nord des années quarante où il perçoit « une confiance illimitée dans les destinés de l’homme, dans les destinés de l’Américain » La suite n’appartient plus au monde des voyages mais aux chagrins de la vieillesse et au pessimisme devant le spectacle d’un monde de chaos que Georges Simenon, immobile, détaché et désespéré, va observer depuis sa petite maison de Lausanne.


PS : Faites bien attention à la pagination de l’exemplaire que vous pourriez avoir entre les mains : mon livre a une double pagination des pages 159 à 166 et 183 à 190 alors qu’y manquent les pages 166 à 183 que je n’ai donc pas lues mais je doute qu’elles puissent changer mon opinion.

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Tour du monde en 155 jours

9 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 72 ans) - 4 août 2015

Benoit Denis, maître de conférences à l’université de Liège et directeur du Centre d’Etudes Georges-Simenon, nous propose dans cet ouvrage des extraits de reportages de Simenon. « Lorsqu’il achève à la mi-mai 1935 son « tour du monde en 155 jours », Simenon clôture également la période de ses grands voyages. Les articles qu’il donnera par la suite seront, pour l’essentiel, des resucées des reportages antérieurs, à l’exception de ceux qui, en 1945-1946, accompagneront sa découverte de l’Amérique et son installation sur le continent. »


Extraits :


- Voici déjà deux mois que je me promène à travers la République de l’Equateur avec des incursions au Venezuela, en Colombie, au Pérou et à Panama. Les romans de mon enfance et les meilleurs géographies m’ont appris que les régions que je traverse sont, par excellence, le domaine des serpents géants appelés anacondas, des Indiens coupeurs de têtes, des caïmans, des pumas, d’un quantité effarantes de mouches, d’un arbre qu’il suffit de toucher pour devenir aveugle, des scorpions, des Indiennes qui s’attachent à un Blanc pour la vie en leur faisant boire à son insu un suc de plantes mystérieuses, des vampires et de je ne sais combien d’autres personnalités du plus bel exotisme.
Eh bien, romans et géographies n’ont pas menti. Dans toutes les boutiques on vend comme des bibelots d’étagères des têtes humaines réduites à la grosseur d’un poing ; j’ai rencontré des Français qui ont bu le fameux filtre d’amour et qui, ayant épousé des Indiennes, ont déjà six ou huit enfants de toutes les couleurs, et mes malles sont pleines de jeunes crocodiles empaillés. Seulement, c’est sans intérêt et on ne s’aperçoit même pas que cela existe.



- J’ai déjà parlé d’un vieux Blanc décivilisé qui a sa case dans tous les villages. Il m’a dit : « - Nos nègres, ici, ne savent pas compter. Ils ignorent leur âge. Ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’il peut y avoir à cent kilomètres de chez eux. Mais ils savent mieux que moi ce qui s’est passé il y a trente ans, il y a cinquante ans. Croyez-moi : ils tiennent un compte courant, transmis de génération en génération, de tous les coups de fusils ou de chicotte reçus, et de bien autre choses encore que j’aime mieux ne pas vous raconter. Demain ou après-demain … »
Et notre interlocuteur, qui n’a jamais pu digérer que des jeunes anémiques sortis des écoles viennent avec leurs bouquins et leurs bagages brevetés pour administrer le pays, de conclure : « Oui ! L’Afrique nous dit merde et c’est bien fait «.

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