Pelures d'oignon de Günter Grass

Pelures d'oignon de Günter Grass
( Beim Häuten der Zwiebel)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Bolcho, le 12 avril 2008 (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 75 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 855ème position).
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Beim Häuten der Zwiebel

Grass nous a raconté ses années d'apprentissage, nous entraînant jusqu'en 1956.
L'autobiographie est un exercice par définition immodeste mais il s’y livre avec mesure.

Il raconte sa vie bien sûr, et en ce sens il s'agit bien d'une autobiographie. Comme c'est celle d'un écrivain, on a pour le même prix la genèse de ses oeuvres qui d'une façon ou d'une autre s'appuient sur des épisodes qu'il a vécus. Mais c'est aussi, évidemment, une biographie de l'Allemagne et des Allemands, de tous ceux qui, "trop" jeunes avant la guerre, et donc manipulables, fragiles, se sont retrouvés trop vieux juste après et brutalement coupables.
Pas de pesants mea culpa ici, mais une mise en perspective dans laquelle nombre de ses contemporains se reconnaîtront sans doute.
"Il me fallut du temps pour comprendre par à-coups et m'avouer en hésitant que par ignorance, ou plutôt par ignorance volontaire, j'avais part à un crime que le temps n'a pas amoindri, qui ne veut pas se prescrire, dont je suis malade aujourd'hui encore".
Ce qui n'empêche pas la remarque sardonique qui suit (même page), où il décrit les disputes avec "les juifs du même âge que nous" (dans les camps de prisonniers) :
" Et ensuite nous riions de la même manière de ces Américains si curieux, comiques à vrai dire (...) que nous mettions dans l'embarras avec nos questions sur leur façon audiblement méprisante de traiter les 'niggers' ".


Mais ce bouquin parle de tout, des grandes et des petites choses. Je ne résiste pas à l’envie de vous recopier ce court épisode du mariage d'un collègue, de la beuverie à quatre et de ce lit partagé ensuite entre la mariée, le marié et les deux témoins : "Tout au plus la mariée a-t-elle probablement su, senti ou deviné ce qui s'est produit ou non pendant ce qui restait de la nuit : avec qui, avec qui à peine ou pas du tout, avec qui plusieurs fois.". Mignon, non ?

Il y a des perles d'intelligence dans une pluie de détails (et parfois d’ennui).

Grass nous parle de son parcours artistique (dessinateur, sculpteur, poète, romancier…) et du contexte de l’époque : "(...) c'est d'abord avec hésitation puis avec véhémence que j'ai pris parti pour Camus - mieux encore : comme je me méfiais de toute idéologie et que je n'étais adepte d'aucune foi, le roulage de rocher devint pour moi une discipline quotidienne."

Et un peu plus loin : "(...) je suis devenu ami du risque qu'il y a à résister en outsider à l'esprit du temps qui prévaut à chaque époque". Son affirmation concerne plus que les modes artistiques...

Je terminerai sur cette délicieuse note d’amour. Il part en camping avec sa future femme, Anna, qui, voulant rassurer ses parents, leur prétend que les mâts de la tente serviront de séparation :
"Et où que nous ayons dressé notre tente - sur la plage, sous des pins, entre des murs abandonnés -, nous nous rapprochions plus que ne l'autorisait la ligne de démarcation intellectuelle entre les deux mâts porteurs. Mais comme notre amour, aujourd'hui encore, n'appartient qu'à Anna et à moi et ne permet donc aucune abondance de mots descriptifs ou autrement précis, il n'est possible de rappeler que plusieurs taches rouges sang sur la toile, qu'aucune pluie ne put laver parce que, sans songer aux conséquences, nous avions campé sous un mûrier plein de fruits plus que mûrs."

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Les éditions

  • Pelures d'oignon [Texte imprimé] Günter Grass,... traduit de l'allemand par Claude Porcell
    de Grass, Günter Porcell, Claude (Traducteur)
    Seuil
    ISBN : 9782020933957 ; 23,10 € ; 11/10/2007 ; 464 p. ; Broché
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8 étoiles

Critique de Haiter (, Inscrit le 13 octobre 2009, 54 ans) - 14 décembre 2009

C’est l’histoire d’un garçon brillant, précocement doué, avec une forte sensibilité romantique. Grass sait, dés le départ, choisir son destin. Bien qu'il soit d’ascendance mixte, allemande et polonaise, il admire les nazis pour leurs idées de grandeur, de discipline et leur esthétisme.
Il collectionne les cartes de cigarettes représentant des chefs d'œuvre européens - rêvant un moment de porter l’uniforme et d’accomplir son service militaire, loin de sa mère aimante et d’un père effacé, loin de leur deux-pièces exigu, de sa Dantzig natale.
Après une période comme jeune conscrit, Grass se joint à une unité de Waffen SS, rassemblée à la hâte pour protéger l'écroulement du front de l'Est. Cette période de sa vie, cachée depuis des décennies et d'abord révélée dans ce livre, a tout naturellement éclipsé le reste l'ouvrage.

Grass passe les derniers mois de la guerre, souvent pris au piège, derrière les lignes russes. Il survit à plusieurs accidents (évités de justesse). À la fin du conflit, il se retrouve dans un camp de prisonniers de guerre américain, où il prend des leçons de gastronomie et discute de religion, de poésie et de métaphysique avec un jeune fervent catholique nommé Joseph (futur Benoit XVI) sic !

Après avoir été libéré du camp, il passe plusieurs années d'errance à travers un pays en ruines. Au début, il travaille sous terre dans une mine de charbon, avant de se faire embaucher comme tailleur de pierre. Un tremplin pour obtenir l'admission à l'école des beaux-arts. Devenu sculpteur, il voyagea à travers l’Europe et fit la rencontre de sa première épouse Anna, avec laquelle il s’installa à Paris dans les années 50, et où il commença à écrire le roman qui allait le rendre célèbre « le tambour ».

Pelures d’Oignon c’est une métaphore, ça permet de faire ressurgir à la surface le passé enfoui, souvent douloureux. Il est très facile pour les lecteurs qui ont grandi à l'abri de l'endoctrinement politique et les impératifs du conflit de la seconde guerre de porter un jugement moral. La guerre est injuste, elle crée des victimes des deux côtés. Peut-on reprocher à un gamin de 16 ans de s’être enrôlé dans les « jeunesses hitlériennes » ?

Ce qui est reproché à Grass – prix Nobel de littérature -, c’est d’avoir une sorte de mémoire sélective : une touche de victimisation avec des chicanes rhétoriques pour minimiser le passé sombre de l’histoire de l’Allemagne. C'est ainsi que chaque sentiment de culpabilité est équilibré par la comptabilité de sa propre terreur pendant les derniers mois de la guerre, la faim dans le camp de prisonniers, et son statut de réfugié, déplacé et semi-orphelin.

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