Les saisons de Maurice Pons

Les saisons de Maurice Pons

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Feint, le 20 mars 2008 (Inscrit le 21 mars 2006, 60 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 288ème position).
Visites : 5 984 

Un crâne de mouton

L’écrivain est un être simple et naïf qui arrive les mains nues avec l’espoir fou de laisser aux hommes le témoignage universel de sa souffrance, lesquels seraient dès lors en mesure de dépasser les leurs – espoir vain puisqu’il est aussi incapable de les comprendre qu’ils sont de le comprendre, appartenant qu’ils sont à des mondes étrangers ; tout au plus saura-t-il leur rendre plus vive la conscience de leur misère, et attirer sur lui leur rancœur.
Ce serait somme toute une façon – bien pauvre – de résumer les Saisons de Maurice Pons. Bien pauvre car à la lecture, ce livre merveilleux, étonnant à chaque page, est bien autre chose encore que cette expression de l’impossible écriture. Dans un paysage montagneux et rural qui, de (très) loin, n’est pas sans évoquer certains textes de Giono, s’en vient sous une pluie sans fin un voyageur solitaire et disgracié, au physique ovin, qui débarquant dans le village perdu d’une vallée encaissée s’y installe, croyant pouvoir y réaliser son rêve fou : devenir écrivain. Dès son arrivée, il se heurte à l’hostilité et à l’incompréhension des villageois, et ce heurt prend d’abord la forme prémonitoire d’un crâne de mouton qu’on lui lance d’un grenier, et contre lequel Siméon blesse son orteil dans un geste de rage impuissante. C’est le début d’une longue dégradation physique au royaume de Sa Majesté Pourriture, ce pays aux saisons interminables, où la pluie pendant des mois tombe nuit et jour, avant d’enfin céder la place au « gel bleu » qui fait tomber les choucas et durcir les globes oculaires, tandis que les habitants se chauffent en s’attachant au ventre quelque bestiole à sang chaud.
Le contraste entre l’idéalisme naïf et innocent de Siméon, sa vulnérabilité, et le caractère immonde de son nouvel entourage – la mesquinerie de la veuve Ham, l’impudeur de Clara Dogde, la gouaille trop mûre de la petite Louana, la méchanceté gratuite du douanier Esclados, la science sauvage et souriante du Croll, tout cela parmi les montagnes de fumier –, donne lieu à la lecture intermittente, trop rare peut-être, du journal ineffable de Siméon qui, tout confit de bonté vaine, donne de la vie du village une description délicieusement décalée. A chaque page le lecteur s’émerveille de l’imaginaire de l’auteur, qui enrichit la description du village et l’histoire de Siméon d’événements inouïs, souvent proches de l’insoutenable, heureusement contrebalancés par une sorte d’humour consécutif à l’étrangeté.
Quand je pense que je n’avais jamais entendu parler de ce livre (paru en 1965), ni de cet auteur, j’ai tendance à me dire que cette histoire d’un homme qui se veut écrivain sans vraiment pouvoir écrire, l’histoire de cet homme qui n’a aucune chance de se faire entendre un jour, c’est bien une histoire, sinon l’histoire, de la littérature.

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attention chef d'oeuvre

10 étoiles

Critique de Canow (, Inscrit le 14 août 2007, 67 ans) - 24 octobre 2014

Merveilleusement bien écrit.
J'envie ceux qui ne l'ont pas encore lu. Ils auront le plaisir de découvrir une pépite.
Conte allégorique, rempli de détails très réels et d'imaginaire fou.
On y décrit la condition humaine et ses inévitables limites.
On y décrit la différence, la cruauté, au détour de nombreux traits d'humour...
Le "héros" qui n'en est pas un est comme un cheveu sur la soupe, laid et décalé... il est le plus conscient et le plus humain...
Les autres le suivront pour tenter de sortir du cadre.
J'ai beaucoup aimé.

Quand vous imprègnent les saisons

10 étoiles

Critique de Magdalili (Bordeaux, Inscrite le 24 décembre 2005, 39 ans) - 1 mai 2009

Sous ses allures d'idiot malchanceux, de niais maudit, Siméon chemine-t-il vers la déraison ou défend-il un idéalisme avéré ?

C'est au Royaume de la Pourriture, peuplé de personnages grossiers et grotesques, qui nous semblent tous avoir des doigts en pelures de patates et des nez en forme d'oignons équarris, que le héros se réfugie. C'est dans ce haut-lieu de l'eau et de la lentille qu'il trouve abri, après un passé de souffrances dans un désert qui le hante et le dessèche. Mais bien vite, rencontrant toute une série d'embûches et miné par l'aigreur de ne pas voir son orgueil ciré avec complaisance par les habitants du village, Siméon répudie cet endroit de frustes qu'il venait nouvellement d'adopter. Cet endroit qui l'empêche d'écrire - lui qui se présume écrivain.

Un anti-héros dans un anti-Paradis que Maurice Pons fait valdinguer dans les affres et les tumultes d'une scène façonnée à même la glaise, peinte à la suie. C'est à la fois délicieux de crudité et dégoûtant de cruauté.

On espère tout le long que le gâchis, la décomposition d'un homme tentant de faire éclater aux yeux de tous ses idées et idéaux seront stoppés net par une heureuse apparition, un miracle de lumière...

Un livre faisant réfléchir sur la condition humaine et "écrivaine", qui n'a pas pris une ride depuis sa première publication en 1965 tant il sait faire résonner dans notre imaginaire des carillons calibrés avec justesse.

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