La foire aux serpents de Harry Crews

La foire aux serpents de Harry Crews
( A feast of snakes)

Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers

Critiqué par Grass, le 19 janvier 2008 (montréal, Inscrit le 29 août 2004, 46 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 284ème position).
Visites : 4 570 

Tout un village qui suinte le whiskey

Je suis en train de développer une très étrange relation avec Harry Crews. Ceci n’est que le troisième roman de cet auteur que je lis, et il y a déjà longtemps qu’il figure au palmarès de mes auteurs favoris. Il m’a déjà donné, en deux romans, tout ce que j’avais de besoin pour laisser un auteur prendre cette place.

Ainsi en est-il au stade d’auteur-réconfort. Du genre qu’on se rappelle tout à coup qu’il y a longtemps qu’on l’a lu, cet auteur, et qu’on se fait un petit plaisir assuré, du bonbon. Mais si Harry Crews était un bonbon, c’en est définitivement un du genre que l’on mange en cachette et qu’on se brosse quatre fois les dents avant de retourner voir sa mère. Harry Crews version bonbon gâterait vos dents autant que celles de la pauvre Elfie que l’on retrouve dans ce roman.

C’est qu’Harry Crews n’est pas ce qu’il y a de plus sain. Mais pas antipathique pour autant. Juste à voir sa gueule d’ancien boxeur, ces sourcils comme des auvents sur ses yeux et ces impressionnantes rides de front qui évoquent étrangement un champs à labourer, on est pris d’abord d’un geste de surprise, voir de recul. Puis finalement, on se rend compte qu’il n’a absolument pas l’air méchant. Seulement dur. Durci d’une enfance passée dans les confins de la Géorgie, d’une vie adulte dans les Marines, dans la guerre de Korée, durci par la perte de son unique enfant noyé, de ses trois divorces avec la même femme. Et pourtant me persiste cette impression que de tomber sur une place libre à ses côtés au bar serait une chance à ne pas manquer.

Et il en va exactement de même pour ses romans. Crews nous sert à tous les coups une galerie de personnages invraisemblables. Je dis invraisemblables, mais c’est seulement parce que le lecteur espère que ce genre de personne n’existe pas pour vrai. C’est le mieux qu’on puisse se dire. Mais l’auteur ne doit pas TOUT inventer, il doit bien y avoir du vrai à quelque part, et c’est ça qui fait frissonner. Alors que ces personnages pourraient, sous de nombreuses autres plumes, être caricaturés, ils prennent vie avec Crews sous un regard tout à fait lucide, peut-être pour certains un peu trop franc. Il nous les présente ainsi, sans fard, comme si tout était normal, puis, peu à peu, tout ça se met à mal aller. Et si Crews décide que ça se met à mal aller, ça peut mal aller loin.

Mais voilà, c’est aussi qu’Harry Crews est DRÔLE. Très drôle, même, pour peu que l’on apprécie l’humour déplacé, cynique et malsain. D’où la relation étrange mentionnée plus haut. Toujours ce sentiment qu’on ne devrait peut-être pas rire. Peut-être même arrêter de lire. Mais le lecteur continuera, un peu pervers.

La Foire aux Serpents tourne autour de Joe Lon Mackey, un jeune adulte déjà vieux à l’éducation défaillante. Il s’occupe de la boutique d’alcool du village de Mystic, en Géorgie. Sa femme, Elfie, a déjà été belle, mais les deux enfants qu’ils ont eu lui a laissé le corps tout flasque, en plus de ses dents gâtées qui répugnent Joe Lon. Néanmoins, Elfie est l’épouse parfaite, soumise, sans sautes d’humeur, s’occupe des marmots, fait à manger, et tout ça donne envie à Joe Lon de hurler. Comment a-t-il fait pour en arriver là quand, plus jeune, il se tapait Berenice, la maître cheerleader des Crotales de Mystic. Souple, débauchée et alcoolique comme lui, il en fut amoureux et l’est toujours. Cependant, elle a quitté Mystic pour l’université. Et voilà qu’elle ramène Shep, un nouveau petit copain, champion de son équipe de débats.

Puis il y a son père, Joe Lon aussi, que l’on appelle Big Joe. Sourdingue et alcoolique, Big Joe entraîne des Pit-Bulls pour le combat et vit avec sa fille, Beeder, devenue sénile suite au suicide de sa mère. Elle écoute la télé à haut volume toute la journée dans sa chambre qui empeste ce que l’on retrouve dans son pot de chambre, et des fois sur sa tête ou sur les murs. Leur bonne est la jeune Lottie Mae, une noire qui a été séquestrée par le shériff Buddy Matlow, ancien footballeur vedette et maintenant clopinant avec une jambe de bois. Buddy enferme systématiquement toute femme qui lui résiste, sans que rien de tout ça ne soit un secret pour personne au village. Lottie Mae fait partie du lot, seulement, Buddy l’aime. Peut-être pour ça qu’il lui donne le choix entre sa queue ou un serpent.

Plein d’autres personnages peuplent ce roman qui prend place la fin de semaine de la douzième édition de la Foire aux Serpents de Mystic. Une quantité impressionnante de chasseurs de serpents prennent place sur le terrain de camping. Une grande chasse est prévue, une compétition de combats de chiens, en plus de l’élection de Miss Crotale 1975. Et bien sûr, ça va se mettre à aller mal Harry Crews-Style, avec toute une bande de durs à cuire qui transpirent le whiskey et se mettent en rogne pour un rien. Et Joe Lon au milieu de tout ça, qui se dit qu’il devrait faire quelque chose pour s’en sortir. Mais quoi?

La Foire aux Serpents est le huitième roman de Harry Crews, et le troisième que je lis. Moins entraînant que Body ou La Malédiction du Gitan, ce roman est cependant le plus noir des trois. Une longue descente vers le pire, malgré une fin moins puissante que les autres romans. Probablement pas la meilleure introduction à cet auteur.

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Les éditions

  • La foire aux serpents [Texte imprimé] Harry Crews trad. de l'américain par Nicolas Richard
    de Crews, Harry Richard, Nicolas (Traducteur)
    Gallimard / Collection Série noire.
    ISBN : 9782070493586 ; 6,98 € ; 30/07/1998 ; 206 p. ; Poche
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"Quoi foutre ce soir ?"

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 24 novembre 2008

A Mystic, bled pourri dans le trou du fion de la Géorgie, là où vivent plus de crotales que de bouseux, les glorieuses idoles des Crotales, le club de foot, préparent la fête des serpents qui draine chaque année une foule de plus en plus nombreuse et de plus en plus déjantée.

Cette journée d’attente oppressante se noie dans un flot d’alcool en compagnie des majorettes du club et d’un couple tout aussi déjanté. Alors, l’alcool exacerbe une violence latente que ni le foot, ni la chasse aux serpents, ni les combats de chiens, ni toutes les rixes possibles ne suffisent à canaliser pour l’empêcher de dégénérer en baises brutales où la violence imposée aux femmes devient monnaie courante comme les sévices imposés aux nègres et autres métèques. Un exutoire à toute cette tension qui se voudrait virile mais qui n’est que bestiale.

Et, quand la fête commence, la situation dérape, les événements s’enchaînent et échappent aux protagonistes. Les comptes se règlent, les coups pleuvent de plus belle et les victimes habituelles pourraient profiter de la situation pour régler quelques dettes anciennes et trouver, là, l’occasion d’une vengeance à la mesure de toute cette cruauté gratuite.
Un bon vieux livre de cette bonne vieille « Série noire », bien ficelé, glauque à souhait avec une certaine complaisance dans la violence et la beuverie que même un Irlandais ne supporterait pas. Mais aussi, un regard aiguisé sur cette Amérique des tréfonds où la populace, à peine plus humaine que les crotales et les pit-bulls, s’ennuie à mourir et ne s’affirme que par la violence à l’endroit des plus faibles, les femmes, les nègres, les métèques, …

C’est aussi un livre sur la frustration de ceux qui ne peuvent pas quitter ce trou paumé où leurs espoirs sont enfouis. « Dire que lui avait passé cette période de sa vie à fourguer du Whisky aux nègres et à regarder les dents d’Elfie tomber. » Cette frustration qui conduit au désespoir et même pour certains à la folie. « On pourrait par exemple perdre la boule à croire qu’un jour les choses seraient différentes. »

Un Crews que j’ai trouvé plus noir que dans « Car » il y a une décennie déjà et qui fait penser à l’Amérique de « La filière émeraude » de Michael Collins, d’« Un enfant de Dieu » de Cormac Mc Carthy, de « La sagesse dans le sang » de Flannery O’Connor, de « Save me, Joe Louis » de Madison Smartt Bell, de « Little » de David Treuer, et de tant d’autres … à croire qu’elle existe en aussi sinistre !

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