Arlington Park de Rachel Cusk

Arlington Park de Rachel Cusk
( Arlington Park)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Cuné, le 12 septembre 2007 (Inscrite le 16 février 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 925ème position).
Visites : 4 211  (depuis Novembre 2007)

Plongée ethnologique

« J’observe le langage des enfants, leur manière de traduire ce qu’ils ont à dire par des formules qu’ils ont attrapées au vol. Tel qui s’en va s’exclame qu’il s’évade. Mais s’évader d’où ? De la prison, répond-il quand il veut dire de la contrainte. Tel autre cherche à dire qu'oser mal écrire est un signe d’indépendance, sans voir que le mépris du bien écrire est conduit par des forts-en-gueule qui ont peur de perdre leur autorité en révélant leur ignorance. Un troisième qui a tout et ne sait ce qu’il pourrait demander encore, et qui se balance d’un pied sur l’autre comme s’il était devant le Mur des lamentations, cherche à dissimuler dans un buisson de mots la première de toutes les questions : qui suis-je ? Mais en quoi ces enfants-là sont-ils différents des adultes dont aucun n’a vraiment quitté l’enfance ? »
C’est Hubert Nyssen qui écrit ça, dans ses carnets (consultables sur le net), et en le lisant j’avais été frappée par la justesse du propos, par la pertinence et la simplicité. Les trois cent pages de Rachel Cusk en sont une déclinaison par l’exemple, selon mon interprétation.

De toute évidence, il y a quelque chose dans son roman, il y a un souffle personnel, une écriture et une maitrise. En évoquant le quotidien le plus banal d’une petite banlieue anglaise, plutôt chic, ce sont aussi toutes les interrogations existentielles primales qui se bousculent, et au passage forcément on pioche chez l’un ou l’autre des personnages quelques traits personnels. Mais il y a aussi des fossés, de gros trous au bord desquels l’auteure se penche un instant, fugace, se redressant aussitôt en reprenant ses travellings larges ; ce qui fait qu’on est en permanence dans une situation un peu bancale, jamais complètement dans le vif du sujet, mais bien incapable pour autant de ne pas continuer.
Vingt-quatre heures dans la vie de quelques femmes, donc, sensibles, mères, épouses, banlieusardes, au foyer ou presque, insatisfaites, toutes.

Amanda, qui a tout, qui va bien, et qui se demande, au fond, qui elle est, dans tout ça : « Ils avaient conclu – tout bien considéré – que Western Gardens était la première – ou la moins imparfaite – des adresses d’Arlington Park ; Amanda avait donc été surprise de découvrir que la réalité de cette adresse ne pouvait être contenue dans la conception qu’elle en avait, quelque savante qu’elle fût. Depuis qu’elle avait emménagé, un sentiment de fadeur s’était furtivement et progressivement glissé en elle, comme si, de se rendre manifeste, l’objet de son désir lui avait échappé. Dans le somptueux emballage de leur nouveau foyer hautement prisé, ardemment recherché et entièrement remis à neuf, Amanda se sentait bizarrement nue. Elle se mit à soupçonner quelque inadéquation entre elle et James, un manque de consistance qui rendait redondante toute la connaissance de ce qu’elle possédait – ou du moins la renvoyait à son aride précision.
Elle pensait parfois que c’étaient des gens comme les Fearnley qui provoquaient en elle cette impression d’infériorité. »

Amanda, encore, quand son fils, encore à la crèche, réalise que sa mère va mourir un jour et qu’il sera alors trop tard pour lui parler :
« Il posa la tête contre ses cuisses puis il prit ses jambes dans ses bras et les serra. […]
« Je t’aime, maman, dit-il dans sa jupe.
- Idiot ». Elle pressa ses épaules.
- « Maintenant je te dirai toujours des choses. Pour quand tu seras morte.
- Ce n’est pas très gentil de parler de la mort des gens, Eddie. »

Mais aussi Juliet (« Pas question ! cracha Sara. Aucune chance. Je n’aurai jamais d’enfants. Je vivrai seule. Et je ne me marierai jamais jamais. Le mariage est l’autre nom de la haine. » Eh bien, voilà, pensa Juliet. »), Maisie, Solly, Stéphanie, Christine, et les autres, et leurs maris.
Une sorte de plongée ethnologique dans un monde un peu désespérant, dans lequel souvent on la bonne volonté mais on se cogne aux murs, et on recommence, et on recommence.

Sortie du roman, lu en prenant tout mon temps et en revenant beaucoup sur ce que j’avais déjà lu, je suis partagée. Je n’ai pas « aimé » ni souvent même adhéré, mais j’ai été franchement intéressée, et même comme fascinée. Roman indéniablement original, surtout sur un thème rebattu.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

La vie domestique

7 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 10 novembre 2013

J'avais trouvé ce roman assez réussi, parce que justement, on s'y ennuie, et à certains moments , on étouffe..
Agréable à lire, c'est autre chose..

Ce groupe de femmes, étudiées ( c'est le mot, elles sont décrites avec une précision d'entomologiste!) par Rachel Cusk dans un intervalle de temps donné sont toutes différentes, mais leur point commun, c'est leur impossibilité à agir. Certaines en sont conscientes, d'autres pas.
Piégées, coincées. En cage dans leur Arlington Park ! Une vie rangée, programmée, et un horizon identique.


Christine n'avait jamais cru bon de faire le tri alors que tout lui semblait du pareil au même; mais maintenant, elle se demandait si ce n'était pas exactement cela qui vous maintenait à votre place, cette acceptation des choses, de sorte que vous tourniez continuellement en rond et n'arriviez jamais nulle part. Si vous acceptiez les choses, où aller quand elles devenaient insupportables? A qui le dire? Il fallait de la place pour le changement-il fallait de la place pour l'imprévu!

-On aurait dit que la fin du monde allait arriver, observa Christine d'un ton morose.
- Parfois je me dis que c'est déjà fait, dit Maisie, avec une sorte de dignité hésitante. Du moins notre petit bout à nous..


Alors, il y a les révoltes. A leur niveau. L'oubli de la tarte au citron et le poulet trop cuit pour le dîner de 8 ( sujet de discussion, les permis de construire...) parce que le mari n'a pas aidé, et la mère de famille nombreuse qui projette furieusement les boîtes-repas de ses enfants sur le mur de la cuisine en hurlant qu'ils lui gâchent la vie . Et qui calme son exaspération en regardant les miettes et les croûtes de sandwich retomber en lent crépitement sur le plan de travail.

Que du bonheur ordinaire, Arlington Park:)

Récemment adapté par Isabelle Czajka sous le titre La vie domestique

Déçue...

3 étoiles

Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 68 ans) - 6 juillet 2008

J’avais lu, ailleurs que sur CL, une excellente critique de ce livre, la quatrième de couverture compare l’auteur à Virginia Woolf et Nathalie Sarraute… mais…
Pour la plupart des livres, il y a un moment où on « accroche », où on rentre dans le livre. Il y faut parfois une centaine de pages, mais celui-là , non, rien à faire.
Le style m’a déplu dès les premières pages et je ne crois pas que la traduction en soit la cause.
J’ai régulièrement dû faire des retours en arrière pour ne pas trop confondre les personnages : « Voyons, Maisie, c’est laquelle, déjà ? »
Si le but de l’auteur est de faire ressentir l’ennui dans la vie de ces femmes et leur interchangeabilité, c’est effectivement à mon avis réussi, mais ça ne me semble pas suffisant pour justifier la lecture de ce livre.

Enfants, solitude et désolation

6 étoiles

Critique de Maylany (, Inscrite le 11 novembre 2007, 43 ans) - 28 décembre 2007

La fluidité de l'écriture allant, on prend plaisir à découvrir des tranches de vie de ces femmes habitant le quartier d'Arlington Park.

Même si certains personnages sont parfois moins attachants que d'autres, beaucoup de personnes (les mères de famille surtout) pourront certainement s'identifier à certaines d'entre elles.

On arrive rapidement à se demander pourquoi ces femmes ne sont pas épanouies et à constater leurs points communs : enfants, maris peu attentifs, vie professionnelle peu aboutie, etc.

On m'avait parlé de ce roman comme d'un "Desperate Housewives" couché sur papier ; il est vrai que certains éléments peuvent parfois y faire penser mais il en manque l'extraordinaire humour et la profusion d'évènements inattendus car au final, Arlington Park est un livre assez "tranquille" où il ne se passe pas grand chose.

une bonne surprise

8 étoiles

Critique de Livrophage (Pessoulens, Inscrite le 28 février 2007, 63 ans) - 3 décembre 2007

C'est tout à fait par hasard que j'ai emprunté ce livre à la bibliotheque , quelle bonne surprise de tomber enfin sur un livre écrit divinement juste! il met en mot certaines de nos interrogations les plus intimes, c'est néanmoins un livre très feminin et je pense que c'est plutôt des lectrices mères de familles qui comme moi en tireront une jouissance intellectuelle jubilatoire.

Intéressant

8 étoiles

Critique de Mirza (, Inscrite le 19 octobre 2007, 43 ans) - 22 octobre 2007

J'ai trouvé ce roman intéressant, bien vu, il y a effectivement une vision ethnologique de ces femmes vivant dans une banlieue anglaise, mais aussi psychologique puisqu'on rentre dans l'intimité, le mental de ces femmes.
J'avais lu beaucoup de critiques avant, généralement très bonnes, qui m'ont donné envie de le lire, et au final j'étais un peu déçue, je m'attendais à quelque chose de plus.
Il est très bien écrit, très intéressant mais au fil des pages j'ai commencé à m'ennuyer, j'attendais qu'il se passe un événement, que ça bouge et puis rien !
En comparaison avec la série TV Desperates Housewives, il n'y a pas de rebondissements. Après si on part du principe qu'on peut s'identifier aux personnages du livre, alors oui le livre paraît réel et la série TV non.
Donc ne vous attendez pas à de l'action !
C'est un livre que je conseillerai de lire malgré ce bémol.

Forums: Arlington Park

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Arlington Park".