Le pont sur la Drina de Ivo Andrić

Le pont sur la Drina de Ivo Andrić
( Na Drini ćuprija)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par FROISSART, le 26 mars 2006 (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 76 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 10 avis)
Cote pondérée : 8 étoiles (642ème position).
Visites : 9 719  (depuis Novembre 2007)

La lecture de Patryck Froissart

Titre : Le Pont sur la Drina
Auteur : Ivo Andric
Traduit su serbo-croate par Pascale Delpech
Editeur :Belfond
Livre de Poche 1994


Connaissez-vous Ivo Andric, prix Nobel de littérature 1961 ? Avez-vous lu Le Pont sur la Drina ? Si on m’avait posé ces deux questions deux jours avant la rédaction de cette analyse, j’aurais répondu négativement, sans aucune honte. Aujourd’hui je dis « oui », avec la satisfaction de celui qui a senti poindre en soi quelque lumière nouvelle, car je viens de terminer ce magnifique roman, dont la lecture m’a éclairé.
Le pont, construit sur la Drina par un vizir de l’empire ottoman (né petit paysan dans un hameau de la petite ville de Visegrad, enlevé à 10 ans par les Turcs et emmené à Istamboul, puis converti de force à l’islam), constitue à la fois une frontière et un lien entre la Bosnie et la Serbie, et entre un occident chrétien et un orient musulman dont les marges fluctuantes placent Visegrad, au hasard des guerres, tantôt dans un « camp », tantôt dans l’autre.
De son édification, vers le milieu du 16e siècle, jusqu’à sa destruction, lors de la 1ère guerre mondiale, le pont est, dans le roman, le lieu central, la scène, voire l’arène où tout se joue. On y joue, on y boit, on y fume, on y devient amoureux, on y meurt, on y tue, on y torture, on y exécute, on y massacre. Toute l’Histoire, de 400 ans, du village, de la région, puis du monde, se vit en condensé sur la kapia.
Les chrétiens et les musulmans (populations locales islamisées) vivent ensemble à Visegrad depuis toujours, se respectent, se méfient les uns des autres ou se haïssent et s’entretuent selon la tournure de l’Histoire, pris dans un jeu dramatique qu’ils ne maîtrisent pas, et dans lequel interviennent Turcs, Juifs séfarades puis Juifs ashkénazes, Tsiganes, Autrichiens…
Les maîtres de leurs pauvres destins apportent leur ordre et orientent leurs violences, et, rarement, quelques courtes périodes de paix et de stabilité.
Le lecteur suit la lente évolution des mentalités dans la succession des générations, où se font et se défont les coutumes, où se forgent, grandissent puis se dissolvent les souvenirs collectifs, les destins individuels, les humiliations, les peurs ou les fiertés et orgueils communautaires.
C’est un fourmillement de personnages, de types narratifs, de caractères, truculents, ou cruels, ou truands, ou faux, ou sages, évoluant dans une atmosphère souvent pesante, dans une dynamique pessimiste de l’histoire humaine.
Le pont, au milieu des tourbillons, reste impassible, et semble, aux yeux des habitants, être garant de la pérennité d’une destinée malgré tout commune, mais les dernières certitudes collectives s’effondrent lorsqu’il s’écroule sous les bombardements, au cours de cette guerre de 14-18 qui marque la fin de l’ancien monde : « quelque chose était détraqué dans cette ère nouvelle. » Le pont est détruit, et tout devient incompréhensible : « Qui donc saurait décrire et faire sentir ces frissons collectifs qui secouèrent soudain les masses… ? »

L’eau ne coulera pas toujours sous des ponts.

« Il y avait toujours eu et il y aurait toujours des nuits étoilées. »

Ivo Andric fait partie des sublimes.

Patryck Froissart, le 26 mars 2006

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Sur le pont on y danse, on y boit, on y meurt

8 étoiles

Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 50 ans) - 22 mai 2020

La Drina existe vraiment, le pont de Visegrad aussi… Autour de ce monument multi-séculaire, trait d’union entre l’orient et l’occident, entre Bosnie et Serbie, Ivo Andric nous entraine dans une chronique truculente, où la petite histoire de personnages hauts en couleur permet d’évoquer la grande Histoire dans cette région compliquée des Balkans. Les empires ottomans et autrichiens, musulmans contre chrétiens, se sont affrontés pendant des siècles, par-dessus la tête des populations locales, qui ont cohabité tant bien que mal en dépit des différences de religions, opposant une inertie têtue aux changements induits par la politique et la technique, pour essayer de vivre en paix et préserver leurs traditions. C’est plein de rebondissements, plein d’humanité (en dépit de scènes terribles), plein d’humour. Pas forcément facile à lire car la langue est dense et on peut se lasser de cette série de mini-nouvelles où aucune intrigue de fond ne vient soutenir l’attention.
Même si le roman s’achève en 1914, on ne peut s’empêcher de penser à la guerre de Yougoslavie dont on comprend bien mieux les origines et les ressorts maintenant que Ivo Andric nous a fait toucher du doigt les plaies toujours à vif de ce territoire. L’histoire du pont (toujours debout !) au XXème siècle reste à écrire…

Naissance et mort d'un pont.

8 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 7 septembre 2015

Paru en en 1945, prix Nobel en 1961 (date à laquelle il fut traduit du serbo-croate en français et édité chez Plon), Le pont sur la Drina est un livre particulièrement fouillé.
Construit par les Turcs au milieu du 16ème siècle, d'une longueur de presque 180 mètres, il devint le poumon de Visegrad, et les habitants le considèrent comme immuable et éternel.
La légende dit que les hommes apprirent des anges célestes comment on fait les ponts. C'est pourquoi leur construction représente, après celle d'une fontaine, la plus sacrée des oeuvres.
Entre musulmans, chrétiens, juifs, Serbes, Bosniaques, Turcs, Hongrois, Tsiganes et Autrichiens le tricot prend parfois des formes difficiles à suivre car la chronique se termine en 1914.

J'ai aussi eu l'impression de quelques passages plus difficiles, une chronologie un peu décousue (ou trop riche ?), mais assurément de grande qualité.

On n’y danse pas, on n’y danse pas …

10 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 4 août 2013

Si quelqu’un peut incarner le Yougoslave – en dehors de Tito bien sûr – c’est Ivo Andric. Né Croate … en Bosnie, il se déclare finalement Serbe et meurt à Belgrade ! Yougoslave, je vous dis, jusqu’au bout du stylo. Et qui se souvient qu’il fut le Prix Nobel de Littérature en 1961 ? Je vous le demande un peu, qui ?
Et à la lecture de ce « Pont sur la Drina » ce n’est absolument pas usurpé.
Ivo Andric choisit de nous raconter – enfin, d’essayer de nous raconter - l’inextricable écheveau du cœur des Balkans ; la Bosnie Herzégovine, encore aujourd’hui administrée de manière étrange même si l’on ne parle plus de Bosnie Herzégovine mais de Bosnie, simplement.
Comme c’est trop compliqué par le biais des hommes, c’est l’histoire d’un pont qui servira de fil conducteur, du XVème siècle jusqu’à la Guerre de 14 ; le pont de Visegrad. Ce pont c’est le Vizir de l’Empire Ottoman, Mehmed Pacha, à l’origine un tout jeune garçon des environs de Visegrad enlevé par les Ottomans à titre de prise de guerre pour devenir Janissaire, qui le construira au plus fort de la domination ottomane sur la région, au XVème siècle donc. Puis le pont une fois bâti, devenu un élément incontournable du paysage et de la vie locale, Ivo Andric va dérouler par à-coups successifs le fil du temps pour nous montrer le déclin progressif de cet Empire ottoman, la montée en puissance de l’Empire Austro-hongrois qui va prendre sa place sur ce territoire, au détriment des Serbes, des Croates, au détriment aussi des Musulmans qui sont encore là. Ivo Andric nous décrit avec précision le ferment dans lequel mijote l’imbroglio qui surgira lorsqu’éclatera l’ex-Yougoslavie.
Et de manière ludique, vivante, littéraire mais pas pédante. C’est un vrai bonheur de lecture et la traduction de Pascale Delpech doit aussi y être pour quelque chose.
Grace à Ivo Andric, on touche du doigt les plaies des Serbes, des Croates et des Bosniaques. Et comme Saint Thomas, les plaies une fois touchées on y croit mieux. Elles sont purulentes ces plaies. Et elles font redoutablement penser que les évènements tragiques qui se déroulent actuellement au Sud Soudan, dans l’ex-Zaïre, en Irak-Syrie-Iran sont les ferments aussi des désordres qui battront leur plein dans … 50 ans … 1 siècle … ?
Quelle prescience de la part d’Ivo Andric de conclure son roman par la destruction partielle du pont en 1914, dans un raccourci fulgurant de ce qui se passera à Mostar, plus près de nous !
Amateurs de pal enfin, si vous voulez tout savoir sur cette pratique bien balkanique et ottomane (j’ai encore en tête des photos prises pendant la guerre 14 – 18, figurant dans un vieux magazine chez mon grand-père, où entre Croates, Serbes on s’empalait à qui mieux-mieux), lisez « le pont sur la Drina », Ivo Andric vous raconte ça très bien !

Un goût de trop peu.

7 étoiles

Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 20 mai 2013

Tout a été dit sur ce beau livre dans les critiques précédentes. Je voudrais seulement ajouter que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas un roman sur fond d'Histoire, c'est-à-dire un de ces romans où les personnages participent à l'Histoire.

Le Pont sur la Drina raconte l'histoire de la population d'une petite ville des Balkans à la manière d'une chronique.
On voit comment, au cours des siècles, la population subit les événements de la grande Histoire sans vraiment y participer. Régulièrement cette chronique fait diversion en racontant l'histoire d'un personnage emblématique de la ville : ici c'est une fille de cabaret qui tient le haut du pavé, là c'est un soldat qui s'est laissé séduire, et plus loin ce sera l'histoire de la belle fille qui est promise à un mariage forcé... Et, comme ça, on voit défiler tout un lot de personnages tantôt pittoresques et tantôt dramatiques. L'auteur a l'art de raconter ces chroniques particulières avec tout le charme d'un conte oriental ; c'est original et amusant à lire.

Mais personnellement, j'ai trouvé que l'Histoire – si mouvementée des quatre siècles que couvrent le récit – n'est pas assez mise en valeur. On ne sait jamais très bien ce qui se passe : par moment on voit que la ville est sous la domination des Serbes, puis de l'empire Ottoman, puis de l'empire austro-hongrois, et on voit la population qui fait le gros dos avec la volonté de vivre en paix. Mais, si cette attitude de la population de la ville est très bien ressentie, les grands événements de l'Histoire qui conditionnent ces comportements sont à peine évoqués. Je l'ai regretté ; j'ai trouvé qu'il manquait à ce récit une projection dans l'Histoire qui aurait pu lui donner le souffle qui lui manque.

Mais cela dit, ce livre reste néanmoins une chronique intéressante et très bien racontée par un grand écrivain.

En suivant le cours de l'histoire

8 étoiles

Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 2 avril 2013

C'est une prouesse littéraire qu'accomplit Ivo Andrić lorsque, partant de ce fameux pont sur la Drina, il parvient, en à peine plus de 350 pages, à nous faire traverser 400 ans d'histoire et, qui plus est, nous épargne la lourdeur que ce genre d'entreprise peut impliquer.

Mais monsieur Andrić sait sans doute y faire lorsque, sa carrière diplomatique (basée en Allemagne) ayant été interrompue par la seconde guerre, il décide de rentrer à Belgrade, s'installe chez un ami et ainsi confiné à un environnement restreint de même que soumis au poids de l'histoire, il entreprend la rédaction des deux romans (Le pont sur la Drina et La chronique de Travnik) qui feront de lui l'un des écrivains les plus importants de son pays.

Il est difficile de dire si ces conditions ont inspiré de quelque manière la conception du roman, mais on peut aisément imaginer comment, dans de telles circonstances, l'auteur aura dû faire preuve d'ingéniosité pour instruire avec autant de précision que faire se peut, cet admirable 'roman sur l'histoire'.

C'est d'une plume agile et avec autant de retenue que d'humilité, qu'Ivo Andrić nous décrit ce noyau des Balkans, centre de tensions multiples et véritable point de rencontre entre l'orient et l'occident.

De fait, plutôt que de tenter en restituer et/ou discuter les tenants et les aboutissants, Andrić, en suivant les fils de ce qu'on peut appeler le "moteur de la vie", cherche semble-t-il, à tracer les voies d'une raison qui, peut-être, pourraient réconcilier l'homme avec les tumultes qu'il inflige à son histoire.

Dénué de tension, le récit suit le cours des événements marquants ainsi que l'existence de ceux et celles qui y ont pris part. De ce fait, Le pont sur la Drina n'est pas de ces romans qu'on lit avec avidité, mais plutôt de ceux, qu'à la manière d'une tasse de thé, l'on déguste à petites gorgées.

Guerre et paix dans les Balkans

9 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 15 décembre 2008

La première fois que, vraiment, je m’intéressai à la Drina, c’était à Zvornik. Là, dans cette ville frontalière, à cheval entre les ex-républiques yougoslaves de Serbie et de Bosnie-Herzégovine, en 1992, les forces régulières de la JNA et les milices serbes d’Arkan avaient tué quelques dizaines de civils musulmans, une exaction parmi tant d’autres dans une sale guerre qui devait opposer des frères et éclabousser du sang d’innocent une communauté internationale prostrée.

De guerres fratricides, il en est question, aussi, dans Le Pont sur la Drina, mais c’en est une mondiale – la première – qui, finalement, aura raison de ce pont inébranlable qui pendant des siècles aura relié des hommes, des communautés, des nations, des empires ; un pont qui aura surmonté les tensions ethniques, survécu au temps.
Toutefois, Andric ne tombe pas dans la symbolique facile du pont-lien entre les peuples. Bien que profondément yougoslave, pour l’unité entre Serbes, Croates et Bosniaques, l’auteur est conscient des tensions qui ont cours entre ces différents peuples, et si les hommes, sur la kapia, se retrouvent pour fumer et discuter, ce pont sur la Drina sera surtout le lieu de leurs conflits et de leurs affrontements, le témoin des atrocités des uns et des autres au fur et à mesure que les rapports de force changeaient dans la région, d’abord turque, puis serbe, puis austro-hongroise. A chaque fois, un peuple en chasse un autre, la libération des uns passe par l’exode ou la soumission des autres, avec les « dérapages » que chaque nouvelle tension intercommunautaire implique : son lot de répressions, de paranoïa, de sang. Et au milieu de tout ça, le pont demeure immuable, indifférent à cette folie, comme l’eau qui coule sous ses gigantesques arches et qui emporte les corps des soldats tombés comme des mariées suicidées et les oublie aussitôt.
Mais les rapports sociaux dont ce pont aura été témoin sont d’une variété incroyable. Il y a des rapports de force, donc, mais aussi, parfois, une unité, une solidarité qui lie ces différentes communautés, comme lorsqu’en cas de crue, tous se réunissent sur un sommet quelconque et se racontent des histoires, oubliant autant leurs conflits personnels que leurs biens emportés par les eaux, ou encore comme ce respect teinté d’amitié entre un mollah et un pope.
Finalement, plutôt qu’un roman, ce récit prend des allures de chronique, de galerie de portraits des différents habitants qui, un jour, foulèrent de leurs pas le pont construit par Mehmed pacha, une foule d’anonymes, de la belle et orgueilleuse Fata à la tenancière Lotika, en passant par Ali hodja, la forte tête, et le ludophile Milan Glasincanin. Résultat logique de ce mode de narration, un certain manque de liant entre les chapitres apparaît vers le milieu du livre, on a parfois plus l’impression d’être plongé dans un recueil de nouvelles qu’au cœur d’un roman unique. Cependant, on suit toujours avec plaisir la vie quotidienne des habitants de Visegrad d’autant que l’histoire mouvementée de la région a su la rendre suffisamment dramatique pour que, jamais, elle ne nous apparaisse monotone.
Alors, comme le pont, pendant quatre siècles, on assiste, de loin, à toutes ces relations interpersonnelles et intercommunautaires, à l’évolution de la région sous l’influence des différents pouvoirs en place. Et si la vie de chacun glisse sous nos yeux comme les eaux de la Drina sous le pont de Visegrad, chaque protagoniste laisse en nous une empreinte similaire à celle qu’il a pu laisser, un jour, sur ce pont magnifique, une petite trace qui nous permet de mieux comprendre ce que l’histoire récente a rajouté à la longue liste d’événements dont ce pont, et ces eaux, ont été pendant des siècles les témoins indifférents et, paradoxalement, impuissants.

Histoire des Balkans sous occupation

9 étoiles

Critique de Béatrice (Paris, Inscrite le 7 décembre 2002, - ans) - 15 novembre 2008

On devient sensible à l’identité multiethnique des Balkans. Ivo Andric aurait pu prendre parti pour une seule des ethnies. Mais, tour à tour, il s’approprie le point de vue des chrétiens et des musulmans. Si les bouquins pouvaient guérir le nationalisme !

Le romancier a choisi d’évoquer des épisodes qui s’étalent sur quatre siècles. Avec le recul, il nous rappelle que la gloire d’un empire est éphémère. Cette brillante réflexion sur le sens de l’histoire transcende le régionalisme et accède à une dimension universelle.

J’ai consulté la carte pour localiser la Drina et Visegrad. Je les ai identifiés quelque part entre Sarajevo et Belgrade. Maintenant elles ont trouvé une place de choix dans ma mémoire de lectrice. Voilà, je dois mon image actuelle des Balkans à E. Kusturica et I. Andric – ce sont des valeurs sûres !

De Visegrad à Mostar

10 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 4 avril 2008

Près de cinquante ans avant la destruction du pont historique de Mostar, Ivo Andric, Croate ayant vécu en Bosnie puis en Serbie, nous racontait l’histoire des Balkans en situant son récit sur le pont de Visegrad – localité frontalière entre la Bosnie et la Serbie où il a passé une partie de son enfance. Ce pont est le symbole des Balkans, le lieu – la kipia – où se rencontrent les communautés religieuses qui composent la population de cette région en ébullition récurrente : les musulmans, les chrétiens orthodoxes et les juifs mais aussi les diverses nationalités qui se mêlent dans la région : Serbes, Croates, Bosniaques, Autrichiens et autre peuplades venues du monde islamique.

Ivo Andric rêvait d’un peuple balkanique uni mais devait bien imaginer en écrivant son roman que les remous de l’histoire rattraperaient un jour ces peuplades périodiquement massacrées par la puissance dominante du moment.

Le pont sur la Drina, c’est le lieu de rencontre ou d’affrontement selon les périodes entre le Saint Empire Germanique et l’Empire Ottoman et même après l’effondrement de ses empires leurs reliques ont perpétué les mœurs ancestraux et les conflits endémiques.

C’est une œuvre magnifique que livre Ivo Andric, une œuvre qui permet de comprendre tous les problèmes que cette région connaît régulièrement mais aussi l’histoire d’un peuple multiple où tous les excès et toutes les exactions ont été commis.

C’est l’un des meilleurs livres que j’ai lu au cours de ces vingt dernières années. C’est une parabole sur la réunion yougoslave sur le pont de la Drina mais aussi hélas une prophétie sur les conflits à venir avec la destruction du pont de Mostar comme symbole.

Et en prime, le livre commence par une scène d’empalement digne du parfait manuel du petit « empaleur » !

Andric, ce méconnu

9 étoiles

Critique de Guermantes (Bruxelles, Inscrit le 18 mars 2005, 76 ans) - 12 octobre 2007

Alors que toute l'attention est concentrée sur l'attribution du prix Nobel de littérature, le cas d'Ivo Andric est là pour nous rappeler que même l'obtention de cette prestigieuse récompense ne suffit pas à garantir d'excellents écrivains contre l'injuste oubli de la postérité.
Né en Bosnie de parents croates mais se revendiquant lui-même Serbe, Andric est un bel exemple de citoyen yougoslave, espèce disparue comme chacun sait.
"Le pont sur la Drina" est sans doute l'un de ses meilleurs livres (avec ""la chronique de Travnik", que j'ai lue il y a trop longtemps pour en donner un avis sensé-avis aux amateurs...).
La critique qu'en a faite Froissart étant réellement excellente, je me bornerai simplement à relever deux aspects de ce livre qui m'ont particulièrement captivé.
Tout d'abord la profondeur de l'analyse historique faite par l'auteur. Sa subtile description de la mosaïque ethnique bosniaque, des haines et rancoeurs ancestrales opposant depuis des siècles les différentes communautés présentes sur ce sol, en même temps que la description des multiples liens que celles-ci avaient tissés entre elles nous font mieux comprendre le déchainement de haine qui a déchiré cette région voici une quinzaine d'années et les racines de celle-ci.
Par ailleurs, Andric possède un réel talent de conteur oriental: avec comme toile de fond la présence immuable du pont et comme en contrepoint de celle-ci, il nous dépeint toute une galerie de personnages savoureux et ô combien vivants, tantôt tragiques, tantôt grotesques mais tous profondément attachants parce qu'ils apparaissent comme l'incarnation de la vie réelle face aux grondements impersonnels de l'Histoire.
Il est urgent de redécouvrir Ivo Andric.

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