American vertigo de Bernard-Henri Lévy

American vertigo de Bernard-Henri Lévy

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Grossel, le 24 mars 2006 (Inscrit le 7 février 2006, 83 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (42 479ème position).
Visites : 5 096  (depuis Novembre 2007)

L'Amérique vue par BHL

Il me semble intéressant de commencer cette note par la présentation de la 4° de couverture. L’auteur de cette 4°, sans doute BHL lui-même, affirme que devant ce pays …chacun est pris de vertige et que pour explorer ce vertige, BHL a entrepris un voyage de presque un an et plus de 20.000 kilomètres, sur les traces de Tocqueville, l’auteur de « De la démocratie en Amérique », publié en 1835 pour le livre I et 1840 pour le livre II, avec au bout de l’enquête, un livre mobile et chaleureux, un reportage conceptuel et un « road book » sensuel, cérébral, drôle, véridique écrit avec la perspicacité du philosophe, l’œil et le style du romancier.
Le livre tient-il ces promesses ?
D’abord le titre. Sans doute que « Le vertige américain » est-il moins convaincant qu’ « American Vertigo » ? Je crois me souvenir que le mot « vertige » est employé seulement 3 ou 4 fois en près de 500 pages, sans proposition de définition, comme s’il allait de soi. Donc mon Robert est venu remplacer BHL. « Vertige » : égarement d’une personne placée dans une situation qu’elle ne maîtrise pas, égarement, folie mais aussi trouble, frisson, peur ou encore exaltation, ivresse et bien sûr le premier sens d’éblouissement, d’étourdissement, de tournis. BHL évoque le vertige des observés rejaillissant sur l’observateur, soit : moi, BHL, devant la diversité des Américains rencontrés, devant la complexité des problèmes évoqués, devant la multiplicité des explications, hypothèses et questions, je n’ai pas la possibilité de trancher, je suis égaré par ce pays aux facettes si multiples, si contradictoires, je n’ai pas la possibilité de vous proposer une (la) vérité sur ce pays. Je vous laisse juge, je multiplie les questions, les hypothèses, les explications comme j’ai multiplié les rencontres de lieux, de gens, de sites, de situations, d’événements pour en faire des récits pouvant tenir dans un article de l’Atlantic Monthly qui a eu l’idée de me faire refaire le voyage d’Alexis de Tocqueville, 173 ans après.
De ce point de vue, c’est-à-dire au regard du propos de la 4° de couverture, la perspicacité du philosophe est prise en défaut : il est dans l’embarras, nous laisse embarrassé. Quant au style du romancier,(son œil, je ne sais pas), il me semble là aussi pris en défaut. C’est l’écriture journalistique qui domine pour tout ce qui concerne le voyage, les rencontres et entretiens avec un nombre impressionnant d’américanismes parfois traduits, le plus souvent laissés à la perspicacité des lecteurs français, anti-américains primaires et pavlovisés, dont je suis, selon sa typologie simpliste, et qu’il s’agit pourtant de convaincre de changer de regard sur ce pays. Ce sont des moignons de phrases sans articles, sans verbes ou alors des paragraphes d’une lourdeur syntaxique et logique telle qu’il m’a fallu assez souvent m’y reprendre à plusieurs fois pour en dégager le sens.
Laissons donc cette 4° de couverture qui ne permet pas de rendre compte du livre et me conduit à dire qu’il ne tient pas ses promesses. Et faisons notre propre expérience de lecture.
J’ai lu American Vertigo en dix jours avec de plus en plus d’envie de poursuivre ma lecture car le livre, si je puis dire, se densifie au fur et à mesure du voyage dont les récits de 4 à 5 pages, longueur convenue pour le journal américain, Atlantic Monthly, où ils doivent être donnés en primeur, sont rassemblés en 7 chapitres de 11 récits chacun sauf le 3° . C’est ainsi que nous finissons avec « Trois tycoons », j’appelle ça des prédateurs, dont l’implacable George Soros, avec « Trois jours à Guantanamo » et on achève le voyage avec la rencontre à Boston de Samuel Huntington d’abord et de Norman Mailer enfin, en fin, à Cape Cod, dernier nom, dernier mot du voyage « sous l’œil de l’éternité », Cape Cod qui fut aussi le lieu où débarquèrent du Mayfllower, les premiers pèlerins, les premiers colons.
L’échantillon est-il pertinent ? 76 récits mettant en scène, sur scène, des gens très divers : Noirs, Indiens, Blancs sudistes, néo-conservateurs, démocrates, religieux, politiciens, intellectuels, traders, acteurs, gardiens, pilotes, journalistes, militants de tout un tas de causes, dont les redoutables de la National Rifle Association, professeur-étudiants, pute et lap danseuse payées cash, sans consommation, fille de mineur …On se doute bien que l’on peut critiquer les choix faits, on peut regretter l’absence de pauvres, de prisonniers malgré l’évocation très forte de cinq prisons « visitées » par BHL (comme Tocqueville qui avait, avant Foucault, compris qu’un système pénitentiaire en dit long sur un système social et politique mais était resté aveugle sur la signification du modèle quaker d’Auburn), de jeunes drogués, de malades mentaux du mal ou des maux américains mais dans l’ensemble on a le sentiment de rencontrer la diversité américaine tant géographique qu’ethnique (manquent des Hispaniques, ce qu’on appelle maintenant les Latinos), tant sociale (très riches et puissants, classes moyennes) qu’humaine ( conformistes, individualistes, voire originaux, solitaires comme James Ellroy), tant religieuse que politique…Je serais assez tenté de penser que cette diversité de situations, de croyances, de combats, de comportements, nous n’en connaissons pas l’équivalent en France. Est-ce une force, une richesse ou y a-t-il des risques de guerre de tous contre tous dans un tel pays. Je pense qu’il n’est pas aisé de répondre et la prudence de BHL consiste à nous proposer non pas une mais des pistes, des hypothèses. À nous effectivement de trancher car il s’agit d’idéologies d’où l’importance de l’épilogue de plus de 100 pages et dans lequel BHL ne tourne pas autour du pot, posant les questions que nous nous posons : qui sont les néo-conservateurs ? le concept de guerre juste justifie-t-il l’interventionnisme unilatéral des USA ? les USA sont-ils une puissance impérialiste, voire un empire ? la diffusion de la démocratie est-elle légitime ou n’est-ce que le paravent derrière lequel se cache une politique d’appropriation des richesses d’autrui ? les USA sont-ils une démocratie ? les Américains sont-ils obèses ? les Américains ont-ils une idée, des valeurs qui les rassemblent ? sont-ils sûrs d’eux, arrogants comme on le prétend ? sont-ils des amis ou des ennemis de l’humanité ? veulent-ils le développement pour tous ou se réservent-ils la plus grosse part ? les USA sont-ils sous la coupe des religions ou sont-ils un État laïque ? l’État américain est-il à la hauteur des défis posés par la pauvreté croissante, le déficit budgétaire … ? Y a-t-il un équivalent de la sécurité sociale aux USA ? …
Pour moi qui suis un anti-américain primaire et pavlovisé selon la typologie simpliste de BHL mais qui accompagne depuis 10 ans le combat de La Rouche aux USA (relayé en France par celui de Jacques Cheminade) contre les néo-conservateurs et pour remuscler le parti démocrate avec son versant rooseveltien, j’ai eu la surprise agréable de retrouver les noms qui me sont devenus familiers : Carl Schmidt, Alexandre Kojève, Léo Strauss, Samuel Huntington, Francis Fukuyama. Évidemment, le rapport de BHL à ces idéologues est différent de celui de La Rouche. Tous les deux savent utiliser l’imprécation et ce que j’admets de La Rouche qui fait de la politique, je l’accepte moins de BHL qui se proclame philosophe : il en cite beaucoup sans références précises, (ce qui est toujours gênant pour les ignorants soucieux de s’instruire) mais en réalité, il se comporte en idéologue, en producteur d’idées utiles à un combat, quand je crois que la philosophie est recherche de la vérité et s’appuie sur le dialogue, pas sur le duel. On sent chez BHL, le goût pour le débat d’idées, première forme de l’affrontement si le but n’est pas de se mettre d’accord et si presque tous les moyens sont bons comme le mensonge, l’omission, l’usage performatif du langage contre son usage cognitif (j’ai été très étonné de voir à plusieurs reprises BHL employer des expressions comme : « pour être tout à fait honnête, pour être complet, pour dire la vérité ») ; il fait quatre objections à Fukuyama, quatre à Huntington ; il nous propose, venue de Walter Russel Mead, une typologie de quatre composantes de l’idéologie américaine : jeffersonienne, jacksonienne, hamiltonienne, wilsonienne, avec lesquelles il caractérise les uns et les autres. On sent aussi chez lui, un goût pour l’affrontement, se servant de la morale pour stigmatiser des lâchetés, des frilosités, la realpolitik d’un Henri Kissinger ou des Européens et des Français, préférant finalement les néo-conservateurs qui font de la politique avec des idées et pas seulement avec des intérêts. Cela le conduit à être particulièrement virulent contre le nouveau totalitarisme, après les fascismes brun et rouge (ce sont ses mots), le fascislamisme. Sûr qu’avec lui, le choc des civilisations est à l’ordre du jour, alors même qu’il récuse Huntington.
Dernier point : ce livre doit beaucoup au cinéma américain, aux écrivains américains. BHL connaît son cinéma américain, sa littérature américaine : j’ai apprécié qu’il nomme Cormac MacCarthy, en particulier. Il connaît aussi les penseurs américains. Dommage que ses sources ne soient pas explicitées. Il a préparé son voyage intellectuellement, il en a eu les moyens financiers, humains et matériels. L’opération médiatique et commerciale a été bien menée : Atlantic Monthly, éditeur américain : Random House, tournée américaine , il dirait « book tour », sulfureuse avec la descente en flammes du livre signée Garrison Keillor dans le New York Times, édition française riche de tout ce bruit , ce parfum de scandale, venus d’outre-Atlantique. Résultats : plus de 100.000 exemplaires vendus en un mois aux USA.
Bref, un livre avec son habillage, son babillage, maquillages et parasitages nécessaires pour en faire un produit.
Un livre que j’ai essayé de lire comme un livre, que je ne regrette pas d’avoir lu, enrichissant, comme celui de Nicole Bacharan : Faut-il avoir peur de l’Amérique ? Livres qui m’amèneront à corriger partiellement mes articles sur États-Unis/Eurasie, Dialogue/Duel dans Pour une école du gai savoir, paru aux Cahiers de l’Égaré en 2004.
À lire aussi : Après l’empire d’Emmanuel Todd, chez Folio Actuel et Empire de Michael Hardt, Antonio Negri, chez 10/18 (évoqué par BHL).
Et lire ou relire De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville.

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Imbattable

1 étoiles

Critique de Traubon (, Inscrit le 29 mai 2011, 33 ans) - 10 septembre 2011

Ce livre a été élu "plus mauvais livre sur l'Amérique" par nos amis outre-Atlantique. La seule chose à ajouter est qu'il mérite très largement son titre...

Philosophe ou journaliste?

8 étoiles

Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 23 septembre 2006

Après s'être attaqué à bien des sujets d'actualité comme le communisme, l'existentialisme avec sa biographie sur Sartre, l'islamisme comme toile de fond de son "romanquête" consacré à Daliel Pearl, BHL s'intéresse aujourd'hui aux Etats-Unis. Un pays qu'il convient d'analyser en ragrd de cette même actualité post 11 septembre. Un pays à la fois admiré, copié, diabolisé, honni. BHL se propose d'interroger ce curieux paradoxe. En reportage commandé pour le magazine américain "The Atlantic Monthly", il part sur les traces d'un guide émérite, Alexis de Tocqueville. Mettant les pas dans les siens, en déviant parfois, BHL donne à voir à peu près tout ce qui fait l'Amérique aujourd'hui..
La politique évidemment! Où il suivra les candidats en campagne pour les présidentielles, les démocrates notamment dont le renouveau, selon lui, tarde à pointer le bout de son nez. Il interrogera également les penseurs de l'ombre, ceux qui font et défont les candidats et pour le coup, c'est assez effrayant.
Il inspectera quelques prisons, dont l'antique et redouté "Rock" d'Alcatraz et l'actuelle Guantanamo autour de laquelle la polémique fait rage. Il s'interroge également sur la vision que l'Europe a de l'Amérique ( obésité, catholicisme exacerbé, ghettoïsation des quartiers dans les grandes villes,…) et fait la chasse à ces idées prémâchées. Il se rend sur les lieux de mémoire ( le territoire indien, les villes fantômes du Nord, ébranlées par la crise et les fermetures d'usine). Il passera par des lieux plus insolites comme Savannah ou les lupanars de Las Vegas.
Et partout le portrait d'une Amérique pleine de paradoxes, d'une Amérique baignant dans le respect des convenances tout en voulant s'en débarrasser. Portrait d'une Amérique qui ne se livre pas d'une seule pièce.
Mais on ne changera pas l'auteur qui fidèle à son statut de bête médiatique , interrogera les peoples "locaux". Certains comme Norman Mailer ou Woody Allen sont particulièrement intéressants. D'autres, par contre, sont plus dispensables comme des philosophes parlant pour ne rien dire ou Sharon Stone dont ma foi, on se serait bien passé de l'avis.
Reste que ce livre m'a semblé passionnant. L'auteur donne à comprendre les choses en ne faisant que les observer. Il ne juge pas, décrit ce qu'il voit et par là, fait oeuvre journalistique.
Dans les cent dernières pages, il troque le stylo et le carnet pour faire tempête dans son cerveau et dresser un message disons philosophique de ce qu'il retire de ces 20 000 km. Et là, j'ai beaucoup moins accroché car le propos est trop technique et laisse son lecteur sur le côté après l'avoir baladé fort agréablement durant 400 pages.
Du journaliste ou du philosophe, à vous de faire votre choix? Quant à moi, j'ai choisi…

Road movie

8 étoiles

Critique de Manu_C (, Inscrit le 19 août 2004, 54 ans) - 17 juillet 2006

Compte tenu de la critique initiale, je serai bref sur cet ouvrage.

Aspects positifs : bien que partielle et partiale, la vision des US de BHL est d’une diversité étonnante et a le mérite de nous éclairer sur bien des aspects dont notre anti-américanisme, trop souvent culturel, a occulté les origines et les raisons. Au delà de chacun des sujets traités, nous avons les tenants et aboutissants historiques, culturels, structurels, législatifs ou de tout autre nature qui justifient l’état de fait et qui, à défaut de toujours le rendre acceptable, permet d’en justifier la cohérence.

Aspects négatifs : une construction particulière et souvent lourde (comme dit Grossel, il faut s’y reprendre à plusieurs fois dans certains passages pour comprendre ce que l’auteur veut dire… je me suis même surpris à trouver une phrase d’une page !!). L’analyse est de temps en temps excessive, les conclusions forcément personnelles (finalement, est-ce un reproche ?).

Au final, un ouvrage pas toujours facile à lire mais passionnant qui, une fois refermé, permet de me mieux comprendre ces hommes et leurs pays (bien qu’incomplet, n’est pas ou ne prend pas le temps de Tocqueville qui veut) ; on peut en sortir un peu moins anti-américain ou bien enfin savoir démontrer pourquoi on l’est.

Pour finir, et comme Grossel, je vous conseille vivement la lecture parallèle d’ « Après l’empire » d’Emmanuel Todd, vision plus théorique et vue de l’extérieur, un complément très intéressant.

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