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Forums  :  Vos écrits  :  Le rêve des miss

ASpirit 08/05/2004 @ 21:13:46
Le soleil brillait encore, au dessus de la mer, en cette fin d'après-midi. Le plus grand lampadaire du monde s'apprêtait à se reposer après une longue journée de travail. Il inventait maintes et maintes couleurs pour émerveiller les passants. Des couleurs roses, rouges, qui se mêlaient au vert des arbres, formant de magnifiques ombres.
Les oisillons, perchés sur une branche, observaient avec attention cette chose magnifique. Ils avaient l'impression d'être dans un lit d'or. La température était douce, accompagnée d'une très légère brise qui vous caresse le visage avec une telle douceur, que l'on croirait la main bienveillante d'une jolie femme. Les feuilles en frémissaient de plaisir, se levant tour à tour pour mieux voir.
Un couple d'amoureux venait en ce lieu toutes les semaines, le même jour, la même heure... ils ne disaient rien, ils étaient l'un contre l'autre écoutant ce chant ensoleillé.

Un jour vint où ils n'étaient plus deux mais trois. Un petit humain les accompagnait, un bébé, dans une poussette. L'enfant ne comprenait pas, mais appréciait. Lui qui avait l'habitude de pleurer tout le temps, à cet endroit il se taisait. Les choses se passaient ainsi à chaque fois, à l'instant même où il arrivait dans ce lieu magique sa bouche se soudait.
L'enfant fut bientôt assez grand pour regarder la chose en face. Il pouvait maintenant apprécier chaque détail, chaque couleur, chaque teinte inventée.
Un jour de printemps, regardant une goûte d'eau placée en équilibre sur une fleur, il s'aperçut qu'une maman oiseau apprenait à ses petits comment voler. Les deux premiers s'en étaient sortis mais le dernier oisillon hésitait, comme s'il avait peur, il allait tomber. L'un s'épris d'une longue chute, l'autre lança ses bras en l'air, mais ce fut en vain. Le petit oiseau passa à coté, pour presque rien. Il se retrouvait maintenant sur le sol, ne bougeant plus. D'une main légère il le souleva, lentement, le regarda, puis le mis au bas du tronc. Une larme s'échappa de son jeune oeil.

L'enfant jouait souvent, en attendant le sommeil du lampadaire géant dans son lit de vagues. Il jouait seul, devant des milliers de végétaux semi-artificiels.
Éduqué aux rites et aux coutumes bien humaines, il prenait un malin plaisir à malaxer la terre, en faire des tas sans forme, à les détruire, à les refaire. Il se prenait déjà pour Dieu. La terre -- de la glaise -- formait une véritable marre boueuse les jours de pleur. Mais le petit homme façonnait des formes et encore des formes, cela juste pour les détruire ensuite. Il s'acharnait, comme s'il voulait représenter quelque chose, ou bien voulait-il atteindre le geste parfait.
Souvent en s'asseyant pour regarder les autres il se rendait compte des petites bagarres qui se créaient. Pour des choses aussi ridicules, comme un amas de plastique disjoint, ces humains miniatures sortaient leurs poings. Un jour l'un d'entre-eux fut frappé trop fort, trébucha sur une pierre et se retrouva aux fond d'un petit fossé. A cette vue l'enfant aurait voulu le rattraper mais son bras avait juste eu le temps de se lever en sa direction que déjà la scène était finie. Il se précipita tout de même vers la fosse, y descendit et tenta de bouger le corps immobile. Mais il avait beau le remuer de toute ses forces, ni les os, ni les muscles ne donnaient signe de vie. Il traîna le corps, du peu d'énergie qu'il avait, jusqu'au pied de l'arbre. Deux larmes sortirent de ses yeux.

Puis l'enfant grandit, ses années d'école passées, il avait quitté le domicile familial pour habiter un appartement non loin de là. Ses parents, eux, avaient déménagé dans un petit pavillon de banlieue, ces derniers ne venaient donc plus voir la magnifique scène qu'ils avaient pourtant contemplé des années durant. Le jeune-homme, lui, y allait toujours.

Lorsque le spectacle était achevé il attendait un peu que la température le rafraîchisse et rentrait chez lui, regardant le sol plutôt que les gens. Il avait eu pendant longtemps l'habitude de scruter son téléviseur. Toutes ces images qui passent, on ne sait pas trop d'où elles viennent, ni où elles vont. Elles passent par vos yeux, et après ? Après elles pénètrent votre esprit, le modèlent, le façonnent. Mais surtout le jeune-homme voyait trop de peur, trop de crimes. Le pire c'est qu'il en voyait plus dans les films, que dans le journal de vingt heures. Mais quelque mois plus tard il y en avait plus dans le journal que dans les films, et la boucle se bouclait, à l'infini, faisant de cet appareil cathodique une machine à larmes incessante.

Le matin il devait se rendre à son travail, pour cela il employait une sorte de souterrain, une machine à déplacer les conglomérats de vapeur humaine odorante, le métro. L'avantage d'un tel type de transport est qu'il ne pollue pas. En théorie seulement, car même s'il fonctionne à l'électricité -- énergie dite propre bien qu'elle soit générée par des centrales nucléaires, en France du moins -- les systèmes de freinage et l'endroit clos de ce moyen de transport -- sous terre -- font du métro un lieu bien plus pollué que l'air ambiant d'une ville. Lorsqu'on connaît les taux de pollution que l'on obtient dans certaines grandes métropoles c'est assez effrayant !

Cependant je m'égare, reprenons notre histoire là où nous l'avions laissée, dans ce rythme calme et doux. Notre ami prend le métro, bien-sûr aux heures de grande influence, le matin comme le soir, selon son habitude. Puis vint jour où il fut forcé de travailler plus tard qu'à la normale. Il arrivait devant le train souterrain qui pour la première fois, était pratiquement vide. Seule une jeune femme à la silhouette enchanteresse était présente sur le quai. Il n'avait pas l'habitude d'aborder les gens sans les connaître, mais cela ne l'empêcherait pas pour autant de jeter de petits regards furtifs sur la demoiselle. Sa chevelure couleur de blé venait caresser son cou et ses épaules, sa peau était d'une très belle finesse, veloutée, sans aucune ride, sans même encore de blessures, comme si elle avait toujours été innocente, neuve. Ses yeux étaient profonds, prononcés, un de ces regards qui envoûtent plus qu'ils ne vous regardent. Ses lèvres, reflétant la lumière des néons, étaient rouge-vif de forme un peu relevée, elles laissaient l'esprit rêver que cet ange était prêt à vous embrasser sans aucune raison, juste pour vous émerveiller. Elle était vêtue d'une petite robe d'été, très légère. On était d'ailleurs en droit de se demander comment elle pouvait bien faire pour ne pas avoir froid. Ses jambes, ses jambes... on pouvait les deviner à travers son vêtement.
Il laissait son regard se promener rapidement sur elle, essayant, non sans difficultés, d'être discret. Mais sa beauté était trop abondante. Sans s'en rendre compte, il se mit à la fixer sans que personne n'ait pu l'en détacher. Il voyait la perfection des pétales de fleurs, la perfection du fruit lorsqu'il est cueillit à point. Comme si cette femme n'était pas humaine mais végétale, une merveille, une splendeur.
La demoiselle dut s'en rendre compte, gênée elle se retourna légèrement. Quelque secondes plus tard le métro arriva, couvert de graffitis, moyen d'expression contemporain. La jeune-femme et lui y entrèrent, il prit la précaution de la contempler de plus loin, dans un autre wagon. La divine créature s'était assise au fond, dos à son observateur. Lui s'était mis de manière à pouvoir l'observer à travers les vitres. Elle avait la tête légèrement penchée sur le coté, sa chevelure découvrait doucement sa nuque. Regardant vers le bas elle avait sûrement dû croiser les mains sur son petit ventre. Ses jambes étaient l'une sur l'autre, à la manière d'un mannequin de bois. A quoi pouvait-elle bien penser ? A quoi pourrait penser une aussi belle fleur ? Les fleurs ne pensent pas.

La machine freina, les portes s'ouvrirent, un groupe de jeunes entra dans le wagon où se trouvait la jeune-femme, le train reparti. Ils s'assirent dans un coin, sans la remarquer. Ils parlaient plutôt fort, même à travers les vitres on pouvait percevoir leur grossièreté. Puis un des gars vu la demoiselle, il la fixa, la fit remarquer à ceux qui l'accompagnaient.
On ne pourrait dire les mots qu'ils employèrent pour la qualifier, mais ils faisaient peine à entendre. Ils s'approchèrent d'elle, ils étaient trois, l'un derrière l'autre, ils commencèrent à lui parler. Elle les ignorait, ne répondant pas. Les jeunes commençaient à s'énerver, l'insultaient encore plus. Elle se leva, regarda le meneur droit dans les yeux, sans cligner les siens. Il fit un pas en arrière, la laissa passer.
La jeune femme était à un mètre d'eux, lorsqu'il la frappa violemment dans le dos d'un coup de coude, la projetant à terre. Elle se releva presque aussi sec, la main dans le dos, là où il avait frappé. De sa main droite elle lui mit une gifle. Ils rirent puis attrapèrent ses deux bras, la bloquèrent contre la paroi, tentèrent de coller leur bouche contre la sienne. Ils la giflaient. Elle ne pouvait rien faire, ils étaient trop nombreux.
Puis dans le feu de l'action, l'un attrapa ses bras, la tenu fermement, l'autre écarta ses jambes, le dernier arracha la légère robe d'un seul coup, la laissant vêtue de ses dessous de soie. Puis il arracha le haut, puis le bas, et sorti son sexe, massacrant cette jeune et douce fleur, froissant ses pétales et détruisant son coeur.
Le jeune homme du wagon d'à coté n'avait pas cessé de crier, mais il lui était impossible d'ouvrir les portes permettant d'accéder à l'autre compartiment, bloquées. Alors il donnait des coups de pied, des coups de poing, sur la vitre, sur la porte, et il entendait les cris, les pleurs, les gémissements de la jeune femme. il ne pouvait rien faire, il était pourtant à quelques mètres de la scène... mais bloqué par ces immondes portes. Il se retourna pour chercher quelque chose permettant de briser cette foutue vitre et d'arrêter cette scène nauséabonde. Il cherchait désespérément une mallette oubliée, une canne, n'importe quoi.
Le métro ralentissait enfin, c'était la station suivante. A peine les portes, menant à la sortie, ouvertes, se précipitant en dehors, il se ramassa sur le sol glissant... Ce qui laissa malheureusement le temps aux violeurs de s'enfuir.

La demoiselle était dans un coin, repliée sur elle-même, pleurant de toutes les larmes de son coeur. On aurait cru voir une belle plante fouettée, torturée, massacrée par un gamin sans scrupule qui ne sait que faire de son bâton, une après-midi d'été. Il s'empressa d'aller vers elle, soulevant doucement ses cheveux désormais trempés d'émotions. Elle remuait les lèvres, parlant, rapidement, sans cesse. Il ne comprenait pas, mais après lui avoir donné son blouson et une petite veste pour la couvrir, il l'écouta avec plus d'attention, elle priait. Elle n'avait plus que ça, plus que la prière, plus que ses rêves, plus que ce monde qui se trouve ailleurs que dans son cauchemar, sa vie. Il essayait de la réconforter, cherchant les bons mots... Les larmes étaient moins nombreuses mais toujours là, depuis un long moment lui aussi s'était mis à pleurer.
Sans s'en rendre compte ils passèrent, une, puis deux stations. Le jeune-homme la souleva lui disant qu'il fallait aller dans un poste de police, mais elle ne voulut pas. Ils restèrent tout deux pleurant sur un banc de la station à attendre n'importe quoi. Puis la jeune femme ayant épuisé les siennes ils n'y en avait plus qu'un qui mouillait le sol. Pouvait-il faire quelque chose pour elle ? De toutes façons elle ne voulait pas. Alors il l'amena prendre un taxi et la vit s'effacer au loin.

Il se demandait pourquoi elle n'avait pas voulu de son aide, mais il compris, c'était avant qu'il fallait agir, rien ne pourrait changer ce qui s'est passé. Et cette parole sortie de ses pensés fut accompagnée par une nouvelle grande vague. Il faisait comme elle, prier était son seul recours, sa seule option pour espérer un jour que les choses changent, il arrivait toujours trop tard. Comme si la course qu'il avait voulue gagnée était perdue d'avance, alors quitte à n'avoir plus aucun recours, autant prier.

Il priait, priait encore, "Je veux la paix sur Terre, qu'il n'y ait plus, ni crimes, ni violes. Plus de voles, plus d'assassinats, plus de haine, plus de guerres, plus de conflits... quels qu'ils soient. Je ne veux plus d'inégalités, plus d'injustice sur cette planète... Je ne veux plus jamais pleurer". Il rentra chez lui, mais n'alla ni manger, ni dormir, il resta sur le sol de sa porte d'entrée, effondré, les yeux fermés. Lorsque son réveil sonna il avait passé la nuit complète sur le sol, sans bouger et sans qu'une seconde ses lèvres ne s'arrêtent de prier. Il avait décidé de ne pas aller au travail, à quoi bon après tout ? Il avait pris rendez-vous avec le plus grand lampadaire du monde, pour lui parler, pour lui expliquer, car il était le seul à pouvoir comprendre.
Descendant dans la rue anormalement vide, il se rendit compte que l'épicerie était fermée, sa montre indiquait pourtant l'heure habituelle, et ce n'était pas dimanche. A tout les coins de rues il n'y avait personne, il faisait encore à peu près nuit et aucune fenêtre d'aucun immeuble n'était allumée. Soudain il s'empressa de se rendre au lieu de son rendez-vous, courant à toutes jambes. Le soleil était là, souriant de toutes ses forces.

Le soleil brillait à nouveau, au dessus de la mer, en ce début de matinée. Le plus grand lampadaire du monde s'apprêtait à travailler durant une longue journée. Il inventait tout un tas de couleurs pour émerveiller les passants. Des couleurs roses, rouges, qui se mêlaient au vert des arbres formant de magnifiques ombres. Mais les passants n'était plus là, l'air était pur et les rues vides.

Un enfant ferme les yeux pour se protéger, son voeu, ses rêves... tout cela est exhaussé.


MM

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