Bluewitch
avatar 15/04/2005 @ 22:43:24
Parce qu’on ne le dit jamais assez (qu’on l’aime notre Yali), qu’on ne le lit jamais assez non plus et parce que j’ai raté le coche, pas su me glisser dans l’encoche du texte en groupe, voilà après tout le monde, un petit texte coup de cœur qui doit être relu et qui m’a permis de rebondir vers ce que je voulais dire…
Là, tout en bas
De ce joli texte–là…

La Mer

— Racontes moi la mer.
— Tu préfère pas plutôt de la blanquette de veau ?
— Aussi ! Mais raconte.
— Laquelle ?
— Celle de ton choix !
Et nous mettons la table en réfléchissant.
La mer, ça tangue bien sûr. Ça tangue même drôlement, mais à part ça, que dire ?
Voyons : assiette, fourchette, couteau, poivre, sel, la mer…
Celle de juillet bastonnant les bords de quai ?! Celle desquels débarquent des cohortes de touristes les poches pleines de billets. Verts les billets, s’il vous plait. Papiers fripés à échanger contre baisers salés, jeunes, très jeunes, noirs, blancs, jaunes… Une terre tropicale et la mer, bien sûr, tout autour.
Verre…
Ou celle émeraude, transparente, et au fond du sable blond comme un désert. De loin en loin ; une grappe végétale, un bouquet de vie, une tripotée d’espèces, une constellation de nageoires, de pinces, d’écailles. Celle-ci défilant sous l’étrave ressemble à ces bibelots pour touristes, ces paysages marins coulés dans de la résine desquels s’échappent, immobiles, une étoile bleue de mer, un espadon, une amphore…
Ou cette autre en acier. Trempée bien sûr. Coléreuse, tempétueuse, qui rechigne, qui tabasse, qui malmène, se démène, pour la nuit tombée s’adoucir, retombée. La nuit tombée tout tombe ; la mer, le vent, le moral du marin, les godets de rhum, le marin…
Serviette…
Il en est une sur la lune dite De la tranquillité. Une mer sans eau, forcément c’est tranquille. C’est une mer abstraite, une vue de l’esprit, une vue de la terre.
Mer Méditerranée avec l’accent sur port et accents sur vagues…
Ou Mer Rouge aux eaux malfamées, sillonnée de pirates aux sourires cruels cousus aux coins des lèvres, l’œil torve, l’autre sous bandeaux, les cheveux rangés dans un bandana, jambe de bois, chemise à fleurs, short australien, et dans les mains ; une Kalachnikov rutilante. Le pirate vit avec son temps. En réalité elle n’est pas Rouge, le pirate ne saigne pas la clientèle aux quatre veines ni aux quatre vents.
Ou celle qu’on voit danser le long…
Quelque part sur la ligne d’horizon, attend une femme. Elle est debout sur un quai, sa robe, ses cheveux claquent au vent. Elle se mord les lèvres jusqu’au sang, plissent les yeux. Elle est anxieuse, se tend, attend. Mains nouées, elle pleure.
— Eau de mer, pleure de terre.
— Un beau début pour une nouvelle !
— Ou une belle fin ?!
Nous réfléchissons.
Moi et moi, soudain silencieux, réfléchissons et plongeons la tête dans notre assiette.
Lorsque je suis seul, je suis deux. J’ambivale, ça aide.
Pour créer, je veux dire.
Non, plutôt celle-ci : ronde, blanche, crémeuse, dans laquelle baignent les grandes terres de Viande, les îles Pomme de terre, les dangereux récifs Carotte.
Des embarcations en forme de grain de thym la parcourent, bringuebalées par les vents Fourchette, les lames de fond Couteau. Là, un monstre marin en rondelles d’oignon, un monstre ancestral accouché par la création, quasiment un Dieu, se dore le bulbe. Ici, une feuille de laurier crée un pont entre deux continents. Plus loin, les îles vertes Persil sont menacés d’inondation, d’ensevelissement, de disparition. C’est une jolie mer, presque nacrée, avec plage de faïence tout autour, plage fleurie. C’est une mer capricieuse, prête à vous mettre une saucée.
— Et cette femme ?
— Quelle femme ?
— Celle de tout à l’heure, celle qui pleure ?
Elle se tient en bout de quai. Le plus avancé du port de Cartilage en Haut de Côtes ; une île gigantesque, presque un continent. Elle domine les flots, elle attend, elle pleure, elle prie. Elle invoque la trinité créatrice des mondes de la Blanquette : Veau , Blanc, Beurre. Elle est un peu ivre, chancelante. Blanc se manifeste par bourrasques, Veau tangue, Beurre glisse. Elle hésite à se laisser aller dans la crème, s’abandonner, mourir. Son marin d’amoureux n’est pas rentré, bien cinq minutes qu’il est parti.
— Une tragédie ?!
— Une tragédie poignante, avec de l’amour, de la haine, et une intrigue.
Car le roi de Girofle — un mec sans arrêt sur les dents — convoite la belle, la douce, la rousse enfant de Haut de Côtes. Pour la séduire, rien ne l’arrête, rien n’est trop beau pour elle. Hier, il jetait à ses pieds ses parfums tropicaux, ses exhalaisons exotiques, mais rien à foutre, la belle ne l’aimait pas, ne l’aime pas. Elle lui préfère un caïeu de marin, un dur à cuir, un type à l’odeur familière avec un bon gros germe, un mec, un vrai, un tout droit tombé des nues.
— Une tragédie sur la différence, l’intégration ?!
— Une tragédie sociale !
Fou d’amour, désespéré, le roi Girofle éloigne le marin, l’envoie dans des contrés inconnues, dangereuses, poivrées, salées, froides. Là-bas, nul ne survit. Les vents Fourchette y sont très violents, les lames Couteau déferlent, s’enchaînent comme une mécanique infernale. Sans parler des raz-de-marée Pain qui, — paraît-il — laisse après leurs passages un vide au milieu de la mer, comme du néant qui peinerait à se refermer.
— Non ?!
— Si !
Le roi de Girofle espère que Cayeu n’en reviendra pas. Aux dernières nouvelles son embarcation s’était brossée sur les récifs Carotte dans les parages de la circonférence Ouest, côté carafe. Son rival est dans la panade, à peu de chance de s’en tirer.
À bien y réfléchir, c’est certain ! Affaire classée. Caïeu n’est plus !
— Mais ?!
— Mais !
Mais Caïeu est ! Est même l’unique survivant du naufrage. L’équipage a sombré corps et âmes, avalé, diluée dans la mer Blanquette. Tous ont péri, excepté Caïeu. Le naufragé s’agrippe à un brin de laurier, il dériva, dérive, dérivera, épuisé, vidé, mais vivant. Quoi qu’il ait un mauvais pressentiment parce que sa vie défile devant ses yeux.
Il avait été graine, et bien qu’il ne s’en souvienne plus c’est par cette étape que débute sa rétrospective. Sans doute est-ce important ?!
C’est important ! C’est confus, vague, mais ça défile.
Puis il avait été jeune pousse verte, tendre et légèrement corsée. Cette période-là défile aussi rapidement qu’elle l’avait fait à l’époque. Quelques regrets plus loin, il en est au déracinement. Ça avait été difficile le déracinement. Après, il avait vécu en société, en tresse. Ça ne se passait pas si mal. Enfin ça ne c’était pas si mal passé.
Mais un jour – hier — alors qu’il suspendait au troisième depuis des lustres et ne se souciait de rien, pépère, on l’avait délogé et embarqué avec d’autres. Hier, il perdait tout, jusqu’à sa chemise. Ensuite…
… Ensuite il avait eu chaud au cul, c’était cuité au vingt blanc. Et… et il ne se souvenait plus de rien.
Lorsqu’il s’était éveillé, il découvrait le sourire de la fille de Haut de Côtes et une tripotée de déconvenues. D’abord, elle ne le branchait pas plus que ça la fille de Haut de Côtes. Elle n’était pas, mais alors pas du tout son genre. En réalité, Caïeu préférait le roi Girofle, son exotisme, son clou.
— Une tragédie sociale et mœurs ?!
— J’ouvre à une clientèle plus large !
L’étonnement passé, Caïeu avait vu ce nouveau monde comme une résurrection, une seconde vie, une deuxième chance ou un truc du genre, et se retrouver si prés de la fin… Forcément, il rage, il écume, il pousse la crème, repousse l’Histoire, se bat…
— Un peu d’héroïsme c’est bien aussi.
— Ce qu’il y a, c’est que ça refroidit.
— Sa lutte n’en est que plus belle.
Le voici qui rassemble ces dernières forces, lâche son bout de laurier et nage vers un quart de champignon de Paris plus en adéquation avec l’idée qu’il se fait d’un radeau. Il souffre, halète, il y est presque et…
— …Et j’ai faim.
—…
—…
Quelquefois, moi et moi ne trouvons rien à penser…
Ou à nous dire…
Et inversement.
— …
— Bon d’accord. Fin !
Le valeureux Caïeu sombre. Le roi de Girofle se fait dévorer, empire y compris. Miss Haut de Côtes court en tous sens, lutte, mais la trinité punit sans façon, déchaîne ses plaies ; vents, lames, raz-de-marée, et finalement la belle succombe à son tour.
Un verre de rouge les pousse vers l’au-delà.
— …Et donc, pas le plus petit début d’une histoire, encore moins celui d’une nouvelle.
— Retour à la casse départ.
— Les nouvelles, c’est chiant !
— Surtout pour réussir un début.
—…
— Pourquoi, lorsque l’on est seul, on se retrouve deux ?
— …Une nouvelle philosophique dont les héros seraient le corps et l’esprit ? L’alter et l’ego ? Un truc burlesque !?
— Ou une tragédie sur la vie : l’ambivalence de la création, le mal être de l’auteur, sa dualité assumée, ou pas, ou peu, ou plus, ou peut-être …
— Les maux pour les mots ?
— Et inversement !
— Pas mal… En tous cas, ça peut faire un bon début.
— Ou une jolie fin ?!
Voyons…
Mousse au chocolat.
Au cœur des noires nébuleuses, les âmes se tiennent à carreaux et…


… et voilà, la mer, il nous l’a racontée, il nous l’a livrée en petite parcelles, en grandes lignes ou coups de pinceaux amoureux. Plein de fois, ivresse des mots, on le lisait l’appétit aux yeux. On s’empiffrait des joies de lire, on s’envoyait en vers. En vagues à larmes qui nous retournaient de plein fouet. En éclats de vie qui découpaient nos émotions en petits bouts pour bien les ranger parmi ses textes à lui, et ça, oui, ça nous a fait du bien.
Un an de tous ces mots, déjà, et moi, j’ai aimé ça. Des mots d’ami, des petites chansons, des liens, des riens et des beaucoup. Des égarés qui se retrouvent ici grâce à un Yali qui nous a ouvert la porte et bien veillé à maintenir le chaud dedans. Toujours. Un vent qui a soufflé sur la braise pour que jamais elle ne s’éteigne. Et pourtant, on sait qu’il vient de loin.
Juste parce que tout ça, c’est quand même un merci, hein.
C’est ça, une mer, si… belle, la mer de Yali.

Yali 15/04/2005 @ 23:26:46
Touché !
Merci Blue

Mentor 15/04/2005 @ 23:40:20
Ouf, je lirai ça demain, mais les premiers mots m'enchantent. Bonne nuit!

Felixlechat

avatar 16/04/2005 @ 00:33:05
Des mots qui pétillent d'amour, des mots qui voguent sur les flots. J'ai ressenti un immense
amour qui vient du fond l'eau. Je vois et j'entends les mondes d'en haut. Je souhaite à ce héraut les immenses délices de tous ces renouveaux. FLC.

Felixlechat

avatar 16/04/2005 @ 00:39:11
Bonne nuit dans tes enchantements. FLC.
Ouf, je lirai ça demain, mais les premiers mots m'enchantent. Bonne nuit!

Tistou 16/04/2005 @ 10:26:13
Pas étonnant que ce texte ci de Yali plaise particulièrement à Blue. Il correspond au "flou", à l'aura qu'on sent se dégager d'elle dans ses écrits ou ses propos. (J'espère que je ne suis pas mal interprèté là !)
Sur le texte de Yali je m'étais déja exprimé en son temps. C'est un texte qui est déja remonté 2 fois à la surface. C'est la 3ème. Souhaitons qu'il trouve encore d'autres lecteurs.

Spirit
avatar 16/04/2005 @ 14:32:32
Houa! superbe ce texte je reste sur "le cul" Lyrique trés...magnifique quoi.

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