Bluewitch
avatar 20/03/2005 @ 13:06:07
Voilà, parce que finalement, j'en ai eu envie et aussi deux petites heures à lui consacrer. Ne m'en veuillez pas pour le retard.

Pour Tistou : non, ce n'est pas du vécu! ;o)

                  L'apparition de D.

   Elle se souvenait du rire d’Esméralda, du corps d’Anna Karénine qu’un soir elle avait vu se briser sous celui de Vronski, des longs échanges avec Henry Jekyll, de ses tentatives inutiles de raisonner Frankenstein, du baiser de Heathcliff, brûlure encore douloureuse, elle se souvenait de tout. De tout et pourtant…
   Le livre était là, à l’attendre. Allant et venant, espérant que la tension qui lui nouait les entrailles disparût, elle savait qu’elle ne résisterait pas, l’envie la tenaillait, plus qu’un besoin, plus qu’un manque.
   Elle s’arrêta devant la fenêtre. Dehors, la lune s’épuisait à imiter le soleil, laissant traîner ça et là une lumière laiteuse sur les landes de son enfance.
   Ne plus attendre.
   Elle s’assit devant un feu qui ne rassemblait plus que quelques braises. Un mouvement rapide et « Dracula » fut entre ses mains, elle le caressa amoureusement, le cœur au galop et les sens plus éveillés que jamais. Elle l’ouvrit.
   Jamais elle n’aurait accepté de perdre ce don, jamais elle n’aurait cédé cette existence parallèle, ces rencontres secrètes, ces plaisirs fugaces. Elle vivait ses nuits comme une Dorothy Gale clandestine.
   Elle lut pendant de longues heures, appelante, en expectative de celui qui faisait naître en elle cette étrange fascination à laquelle elle n’avait jamais osé céder. Jusqu’à ce soir-là.
   Silence alterné du tic-tac, brise égarée contre les vitres.
   Et puis… quelque chose changea, dans l’atmosphère, une certaine langueur, un ralentissement, un temps décalé. Il fit plus chaud et, la main encore posée sur les pages, elle leva les yeux, se ravisa, les ferma, à l’écoute. Il arrivait, oui.
   Excitation et peur jouaient un duo agressif, une lutte amoureuse. Elle ignorait quand il faudrait s’arrêter, quand le moment serait venu de refermer ces pages et avec elles tous leurs périls. Mais elle voulait le voir, tellement…
   Une respiration, un bruit de pieds nus sur le tapis. Enfin. Il était là. Elle n’osait pas encore ouvrir les yeux, lui donner sa réalité. Sachant qu’elle ne pourrait prendre ce risque plus de quelques instants…
   Un rai de lumière entre les paupières et elle les vit, ces pieds nus. Pâles sur le sol couleur pourpre. Elle leva les yeux, un peu. Pantalon sombre, hanches étroites. Encore un peu. Chemise déboutonnée sur une poitrine glabre, si pâle, elle aussi. Elle fut surprise d’y voir un tatouage sous la clavicule gauche, une passiflore…
   Elle n’entendait plus que sa propre respiration si difficile à apaiser, lorsqu’elle fixa son regard sur son visage. Ce visage fin, légèrement penché, encadré de longs cheveux bruns, cette bouche délicate sous une mince moustache et ces yeux-cavernes.
   Il marcha vers elle, sans cesser de la fixer. C’était le moment de refermer le livre. Enfin, peut-être pouvait-elle attendre encore un peu…
   - Ne me craignez pas… Je ne blesse jamais celui ou celle qui m’a ouvert sa porte.
   Comme une invitation, il inclina la tête de côté. Elle se leva, prête à fuir et pourtant décidée à aller aussi loin que possible. Dans sa main gauche, elle tenait toujours le livre entrouvert par son doigt page deux-cent-dix-huit.
   Elle fit quelques pas, s’approcha du corps de cire. Envie de poser la main sur la passiflore. Elle céda à l’envie. Peau glacée et douce, qui malgré tout frémit. Elle goûta la passiflore, sucrée, qui se réchauffa au contact de ses lèvres.
   Il posa les mains sur ses épaules, mains fraîches au poids plume qui parcoururent son dos en laissant derrière elles un microclimat sibérien. Front contre sa nuque, souffle arctique.
   Dans un murmure, il lui dit :
   - Connaissez-vous la seule chose qui m’effraie ?
   - Non…
   -C’est de perdre mon sang froid…
Les dents fines se pressèrent contre son cou.
Elle lâcha le livre.

Toundra 20/03/2005 @ 13:17:00
Ô la belle chute !! Quel talent !!!:-))) Simplement deux heures pour faire ça, mon oeil !! ;-)
Beaucoup aimé : dehors la lune s'épuisait à imiter le soleil...
Et puis il y a ce petit frisson d'effroi qui parcourt le dos devant ce beau gentleman (à croquer) !!
Vraiment très très beau texte!! J'adore !!:-))

Kilis 20/03/2005 @ 13:57:34
Oh, Blue, quand tu veux! Et, là, tu voulais. C'est superbe. J'adore. Tout: l'histoire, l'ambiance, l'écriture, tout.

Mentor 20/03/2005 @ 15:51:59
Quelle ambiance et quel beau texte! C'est court mais très marquant. Magnifique descriptif des pensées de celle qui a décidé d'aller au bout de son envie morbide. L'angoisse est là, tangible. Très beau style Bluewitch, j'imagine que tu n'en es pas à ton premier écrit aussi vais-je farfouiller un peu. Une telle qualité d'écriture me donne envie d'en lire plus. Superbe.

Yali 20/03/2005 @ 17:16:29
Ah quand Blue s'y met, ça t’as un de ces parfums de reviens-y, qu’on en oublie qu’elle a malignement fait l’impasse sur le tour d’écrou et les spaghetti, la coquine :-)

Bluewitch
avatar 20/03/2005 @ 17:19:16
Le spaghetti, c'était voulu mais le tour d'écrou je l'ai complètement oublié. S'cusez msieur dames, je le ferai plus, c'est promis

Yali 20/03/2005 @ 17:25:05
Les spaghetti sont à peu prés là, vu que tu nous épates, mais tour d’écrou, c’est vrai que c’est du vice !

Killgrieg 20/03/2005 @ 18:00:10
j'ai pas pu résister :))


ahhh! mourir de lire!
excellent et sensuel Blue. Tout y est. le style, les images...

Tiens! Ce soir je me transforme en dracula pour séduire ma femme

Saint Jean-Baptiste 20/03/2005 @ 20:36:45
Très, très beau texte, très bien imaginé.
Comme quoi, la lecture parfois, vous réserve des (bonnes ?) surprises !
C'est trouillant à souhait et pourtant plein de poésie !
Bravo l'artiste !

Sibylline 20/03/2005 @ 21:27:34
Bravo Blue, essai tout à fait transformé.
Tu as opté pour le texte poétique et tu y as très bien réussi. L'histoire est belle aussi et elle nous concerne tous tellement ;-)...

Tistou 21/03/2005 @ 09:45:50
Bluewitch, le passager de la 25ème heure. Passager Draculien, qui cède à l'envie finalement d'écrire quelque chose et qui cède aussi à la séduction de Dracula! (Ah non, j'oubliais l'en-tête, qui m'était destiné, mazette!).
Je t'imagine bien t'étant tortuté l'esprit pendant la période où cet écrit était demandé, ayant bien une petite idée mais, zut, ces contraintes, tout ça ..., laissant filer, puis prise de remords après terme, jetant fébrilement sur l'écran cette histoire qui nous ravit! Oui, je t'imagine bien!
Je me joins donc aux louanges déja exprimées. C'est beau. (Heureusement que ce n'était pas Leatherface qu'elle lisait! c'eû été moins ... glamour!

Zou 21/03/2005 @ 13:41:50
Dehors, la lune s’épuisait à imiter le soleil

J'ai adoré, comme Toudra, cette phrase.
Beau texte, vraiment, tout en finesse.
On a l'impression d'être là tout près, d'entendre les braises crépiter dans le feu. On partage la fascination de la lectrice pour D.
On serait presque jalouse de n'avoir pas été choisie ! Et puis j'ai bien aimé, le "jusqu'auboutisme" de la lectrice...allez,encore un peu, un peu plus loin...Un peu comme en croquant une barre de chocolat. Savoureux !

Krystelle 21/03/2005 @ 16:46:15
Oui un joli texte très poètique... Un peu de douceur dans un monde de monstres!

Sahkti
avatar 22/03/2005 @ 00:09:15
Trois fois "passiflore", c'est pour faire oublier les mots absents? :)))
Je te taquine... C'est un fabuleux travail Blue! Une histoire prenante et très originale.
Je trouve que tu t'es bien sortie d'un truc au départ assez bateau à cause des containtes Dracula et Frankenstein, puis du contexte "effrayant" à exploiter, il y avait comme des pistes toutes tracées mais tu as tout de suite pris les petits sentiers pour raconter une histoire inattendue.
Bravo!

Lyra will 22/03/2005 @ 22:27:35
Très beau Blue !!! Tu as une de ces facilités pour les exos, à chaque fois tu me surprends !
J'aime l'ambiance, le vocabulaire choisi, ce froid...j'aime la passiflore, la lectrice qui ne connait plus ses limites, la tentation, le côté visuel du texte, bref, bravo Blue.

Charles 29/03/2005 @ 09:02:17
Superbe ! j'ai cru que c'était un extrait du bouquin de Bram Stocker :-)

Vraiment réussi. Style impeccable et si j'ai osé éteindre la lumière, j'ai tout de même ressenti un petit frisson et une certaine tension à la lecture.

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