Killgrieg 18/03/2005 @ 05:15:25
Je déroge à deux règles ; je poste bien avant l’heure - et cela sans demander la permission - et je scinde mon texte en deux parties.
Comme les escrocs devant le juge, je vous promets que jamais plus je ne le ferai. Comme les cascadeurs et les drogués, je ne conseille à personne de faire la même chose…
Les raisons ? D’abord, je ne serai pas là ce soir (je sais ! pas top comme raison). Ensuite, la première partie fait déjà 10 500 signes… Alors je me suis dit que si personne n’accrochait, je n’aurais pas besoin d’infliger la suite aux précieux lecteurs de CL.
Pardon et, j’espère bonne lecture !



Une ambulance passe. La mort, au moins la maladie. Grégoire aperçoit son reflet dans le miroir au cadre rococo d’un bistrot perdu. Ses cheveux sont encore épargnés mais des poils blancs parsèment sa barbe, il porte les cernes et les rides de son existence de débauche. Les années, si elles ne l’ont pas rendu plus sage, lui ont, au moins, permis de se ressembler. A l’aube, pas rasé, il se reconnaît enfin... Un Dorian Gray pas fantastique, un Dracula édenté. Mais ce matin, échoué sur l’autel d’étain d’un troquet de quartier, c’est la créature de Frankenstein qu’il contemple dans la glace.

Grégoire prend son café et ressasse la soirée de la veille.
La jeune fille, la drague, l’invitation, le studio d’étudiante, les premiers baisers, les caresses, la chute sur le matelas, le sol diapré de dizaines de morceaux de tissus, un de plus, deux, trois, bientôt nus, les heures de caresses ivres, le sommeil léger, le petit jour qui n’ose pas encore éclairer la pièce, le chat qui miaule, elle qui se lève, passe un tee-shirt informe, la gamelle et le sol autour, mouchetés de pâtée durcie, la fuite gênée. Son quotidien.

Au fond du bar, une vieille femme, assise, se parle trop fort, sourde peut-être, seule sûrement. Il regarde la vieille. La vie sait vraiment mimer les états d’esprit. Il aurait voulu voir, assis là, un jeune couple avec une enfant turbulente à la voix de Calimero, un groupe de filles bûchant sur leur interro. Mais non, c’était jamais comme ça; la vie se plie aux états d’âmes. Il sirote son café, essaye de penser à autre chose. Un couple entre, s’attable dans un coin reculé, le garçon pose sa main sur celle de la fille qui éclate en sanglots. Grégoire sourit. C’est comme ça. Il pose une pièce sur le comptoir et sort.

Il regrette de ne pas avoir pris sa voiture. Il n’a absolument pas envie de se retrouver dans le métro avec tous les gens qui souffrent d’avoir quitté leur lit, toutes les traces de sommeil sur les peaux molles, les parfums fraîchement déposés, les odeurs sucrées écœurantes qui virent déjà à l’aigre. Il n’a pas plus envie de prendre un taxi, d’être sociable et de répondre poliment aux commentaires météo-politico-philosophiques d’un chauffeur bourru… Il a besoin de solitude. Le métro reste encore le meilleur endroit pour ça. Surtout depuis qu’il sait contrôler son esprit, qu’il sait isoler les pensées, depuis qu’il maîtrise totalement ses capacités télépathiques.

Il se souvient; le début, l’horreur, une malédiction. Son problème avait commencé tard, vers l’âge de sept ans. Oui, il se souvient bien encore de la première fois… Il était à table avec ses parents, sa sœur et ses frères. A la télévision les gens faisaient semblant d’être heureux, souriaient, chantaient. Chez lui, tous les visages étaient tournés vers l’écran noir et blanc, les fourchettes montaient automatiquement aux bouches qui mastiquaient lentement. Il entendit un de ses frères… « … Des ballons d’basket! Putain! les machins! y m’faudrait sept mains pour faire le tour de ses nibards… la main au panier!… héhé!…marrant ça !… ». Grégoire éclatait de rire, incroyable que son frère ose dire ça, là, devant papa maman, va s’prendre une taloche… Mais rien. Aucune réaction. Tous le regardaient lui, qui riait sans raison. Ils s’interrogeaient, tournaient la tête vers la télé… Rien d’hilarant, même pas un sourire. Sa sœur rit à sa suite; ils étaient comme ça, les deux plus jeunes, toujours en phase. A sa gauche un autre de ses frères lui balança une gifle, légère… «… trop con le ptit goliot… ». Sa mère… « … j’entends plus rien à la chanson… Pitié ! Qu’ils se taisent! J’l’adore cette chanson…. ». Son père… « mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu… ». Grégoire les regardait tous, les entendait tous, seulement, aucun ne parlait. Seule sa sœur riait vraiment. Toutes les lèvres étaient scellées. Et pourtant il les entendait… Des extra-terrestres, c’est ce qu’il pensa en premier, ma famille est une famille d’extra-terrestres. Il avait vu ça déjà dans un film… Un gamin adopté par des habitants de Mars qu’étaient venus en éclaireur sur la terre… Puis les pensées des autres devinrent plus longues, s’enchevêtrèrent, lianes rampantes, puissantes, au plus profond de son cerveau… pensées constrictors… La douleur… Les mains sur les oreilles… Les cris pour couvrir le tumulte… La famille affolée, son cœur qui rythmait tout ça, techno avant l’heure… Grand trou noir… Et les hôpitaux, les examens, les diagnostics, les pilules, les infirmiers, les psychiatres, du blanc, les gardiens… six mois… six mois. Aujourd’hui il sait fermer son esprit aux autres… Isolé… Mais il n’a pas encore trouvé la solution pour oublier ses pensées à lui, alors il s’étourdit la nuit.

Grégoire descend dans le métro. Le long couloir, les affiches, le guichet, la fille derrière la vitre, au téléphone, elle rit. A qui peut-elle téléphoner? Peut-être personne, peut-être qu’elle fait semblant, juste pour faire chier, peut-être à une collègue derrière un autre guichet, coalisées pour emmerder le plus de monde possible au même moment… Grégoire attend. Il croise son regard, elle baisse les yeux, une mèche tombe sur son visage, genre J’t’ai pas vu… les cheveux comme un rideau… quelques secondes…
Au téléphone : - Attends!…
Elle relève la tête, la couleur de son uniforme lui donne un air fin de nuit séduisant…
A Grégoire : - Monsieur?

Grégoire cavale dans les escaliers, il entend la rame, il n’est pas pressé mais il cavale. L’habitude. Des dizaines de visages comme des traits dans les wagons, le train ralentit, les visages prennent forme. Les portes s’ouvrent… CCChhhhh, shllack… Une vieille dame, accrochée à la poignée d’une des portes coulissantes, tend un pied hors du wagon comme une baigneuse teste l’eau de la piscine. Grégoire lui donne le bras, elle le repousse, serre son sac contre elle. L’alarme de fermeture retentit déjà. Grégoire entre dans le wagon, début de la ligne, il est tard, la plupart ont rejoint leurs bureaux ; il a le choix des places. Il s’assoit. Pas de bouquin. Le voyage va être long.

Face à lui, une gamine et son père rient.
L’enfant : - Et ça ! Qu’est-ce que c’est ça ? ? ?
Elle fait galoper ses cinq petits doigts sur la jambe de son père.
Le père : - J’sais pas !
La petite fille l’interroge encore, prête à exploser de rire, elle pouffe…
L’enfant : - Allez ! réfléchis ! regarde ! c’est quoi ça ? ? ?
Les doigts bougent plus vite encore.
Le père regarde la main qui s’agite, se concentre, ses yeux brillent.
Le père : - Je sais vraiment pas ! allez ! J’donne ma langue au chat…
La main de l’enfant se ferme, un seul doigt gesticule encore sur la jambe du père au rythme de l’éclat de rire clair… Un trouhahahha… ça !… La réponse est incompréhensible. Le père rit quand même… Quoi ???!!… le rire explose, résonne dans la gorge de l’enfant, douce musique, lumière, elle pouffe des mots sans aucun sens…Un tr..hahaaha… Tous les deux son pliés, les bras du père la serrent très fort, les rires déferlent, le petit corps est secoué de soubresauts… Elle cherche sa respiration… Un troupeau… Le rire l’arrête encore… Un troupeau d’ça… Le père est violet, son rire, il l’embrasse… Comprends rien ! ! !… ça…. Les doigts… La petite fille ouvre les deux mains, dix doigts gigotent maintenant… Elle explique… ça… replie les doigts passe une main dans son dos, l’index seul rebondit de nouveau sur la jambe… c’est un troupeau de ça… Le père comprend… Un troupeau d’ça ! !… rit de plus belle, l’enfant est aux anges… Grégoire rit aussi… Elle lève la tête, le regarde, fière, elle est heureuse, le père aussi, Grégoire aussi… Il repense au bistrot. La vie ne mime pas. La vie crée. La vie est drôle, le noir est juste là pour souligner les couleurs. Grégoire sourit, les deux autres essuient leurs yeux rouges, il aime le père et sa fille. Il aime la vie.

CCChhhhh, shllack… Les portes s’ouvrent sur un groupe d’une dizaine d’hommes et de femmes. Grégoire les regarde vaguement. Le signal de fermeture retentit, une forme sombre se glisse entre les nouveaux arrivants. Il ne la voit pas tout de suite, mais il ressent le frisson, frisson connu. Son sourire disparaît, s’évanouit. La petite fille a une autre devinette pour son père. Grégoire n’ écoute plus, il se lève, se tord le cou dans tous les sens, cherche l’ombre, peut-être se trompe-t-il, il ne voit rien, mais le frisson est là. Il renonce, se rassoit. Un attaché-case lui frôle le visage… pardon… l’homme se déplace vers la gauche… l’ombre apparaît, elle tend la main vers la petite fille…Grégoire est pétrifié, tout son corps est glacé, il n’a pas la force de se lever, d’intervenir, de crier… L’ombre stoppe son geste avant d’atteindre les joues rougies de l’enfant, puis s’éloigne… La petite dame en noir. Il transpire maintenant. La vie est une chienne.

Il avait neuf ans quand il a vu pour la première fois la petite dame en noir. Il avait déjà appris à maîtriser son pouvoir. Il s’en était bien amusé au début. Tout savoir sur les autres. Savoir tout le temps ce qu’ils pensent. Il avait sauté une classe. Il pouvait répondre exactement aux profs qui l’interrogeaient. Il savait tout ce que ces malades voulaient l’entendre dire. Pour ça il lui suffisait de trier parmi toutes les pensées parasites, les mesquineries, les haines, d’autres choses qu’il ne comprendrait que plus tard. Un petit génie. C’était si facile. Mais on a commencé à parler de l’envoyer voir des psy pour évaluer son QI, le changer d’école… Il ne voulait plus voir de psy, il ne voulait pas changer d’école. Il a tout arrêté, stoppé net. Il lisait encore les réponses dans les têtes mais il ne disait plus rien ou juste assez. Il a perçu aussi des pensées immondes chez ses parents. Il a tout fermé là encore. Puis ce fut le tour de ses amis… Pas une tête propre, ils pensaient à tellement de trucs dégueulasses qu’il préférât fermer complètement les portes qui s’étaient ouvertes dans son cerveau. Il lui arrivait, parfois, de regarder par le judas, quand il en avait vraiment besoin, quand c’était indispensable, mais il reprit vite une vie de petit garçon normal.
Avant la nuit qui allait tout foutre en l’air…

CCChhhhh, shllack… Le wagon se remplit encore. Grégoire fait un effort titanesque pour bouger ses jambes. Il se hisse. Quelqu’un le regarde bizarrement. Il tient à peine sur ses jambes. Il ose un regard à la foule. Trop de monde. La petite dame en noire est enfouie dans les corps. Elle cherche sa victime, il en est sûr. Il doit savoir qui. Le sauver peut-être. Il est encore temps…


Ne ratez pas dans le prochain épisode, le tour d’écrou, les spaghetti, la passiflore… La première rencontre avec la petite dame en noir, le combat de Grégoire… Un suspense exaltant qui vous laissera sans voix, pour appeler à l’aide, quand vous vous réveillerez, hébétés, de cauchemars qui ne vous quitteront plus…

Gudel 18/03/2005 @ 14:02:02
En ce qui concerne la forme ,
deux petites choses vénielles, à corriger :
la petite dame en noire (est enfouie dans les corps..." et un peu plus haut "il pensait à tellement de trucs dégueulasses qu'il préfèrât..." cet imparfait subjonctif ne me pa^raît pas de mise... u_n simple passé simple ferait l'affaire...

Pour le fond, j'attends, bien sûr, la fin de l'histoire !

Je déroge à deux règles ; je poste bien avant l’heure - et cela sans demander la permission - et je scinde mon texte en deux parties.
Comme les escrocs devant le juge, je vous promets que jamais plus je ne le ferai. Comme les cascadeurs et les drogués, je ne conseille à personne de faire la même chose…
Les raisons ? D’abord, je ne serai pas là ce soir (je sais ! pas top comme raison). Ensuite, la première partie fait déjà 10 500 signes… Alors je me suis dit que si personne n’accrochait, je n’aurais pas besoin d’infliger la suite aux précieux lecteurs de CL.
Pardon et, j’espère bonne lecture !



Une ambulance passe. La mort, au moins la maladie. Grégoire aperçoit son reflet dans le miroir au cadre rococo d’un bistrot perdu. Ses cheveux sont encore épargnés mais des poils blancs parsèment sa barbe, il porte les cernes et les rides de son existence de débauche. Les années, si elles ne l’ont pas rendu plus sage, lui ont, au moins, permis de se ressembler. A l’aube, pas rasé, il se reconnaît enfin... Un Dorian Gray pas fantastique, un Dracula édenté. Mais ce matin, échoué sur l’autel d’étain d’un troquet de quartier, c’est la créature de Frankenstein qu’il contemple dans la glace.

Grégoire prend son café et ressasse la soirée de la veille.
La jeune fille, la drague, l’invitation, le studio d’étudiante, les premiers baisers, les caresses, la chute sur le matelas, le sol diapré de dizaines de morceaux de tissus, un de plus, deux, trois, bientôt nus, les heures de caresses ivres, le sommeil léger, le petit jour qui n’ose pas encore éclairer la pièce, le chat qui miaule, elle qui se lève, passe un tee-shirt informe, la gamelle et le sol autour, mouchetés de pâtée durcie, la fuite gênée. Son quotidien.

Au fond du bar, une vieille femme, assise, se parle trop fort, sourde peut-être, seule sûrement. Il regarde la vieille. La vie sait vraiment mimer les états d’esprit. Il aurait voulu voir, assis là, un jeune couple avec une enfant turbulente à la voix de Calimero, un groupe de filles bûchant sur leur interro. Mais non, c’était jamais comme ça; la vie se plie aux états d’âmes. Il sirote son café, essaye de penser à autre chose. Un couple entre, s’attable dans un coin reculé, le garçon pose sa main sur celle de la fille qui éclate en sanglots. Grégoire sourit. C’est comme ça. Il pose une pièce sur le comptoir et sort.

Il regrette de ne pas avoir pris sa voiture. Il n’a absolument pas envie de se retrouver dans le métro avec tous les gens qui souffrent d’avoir quitté leur lit, toutes les traces de sommeil sur les peaux molles, les parfums fraîchement déposés, les odeurs sucrées écœurantes qui virent déjà à l’aigre. Il n’a pas plus envie de prendre un taxi, d’être sociable et de répondre poliment aux commentaires météo-politico-philosophiques d’un chauffeur bourru… Il a besoin de solitude. Le métro reste encore le meilleur endroit pour ça. Surtout depuis qu’il sait contrôler son esprit, qu’il sait isoler les pensées, depuis qu’il maîtrise totalement ses capacités télépathiques.

Il se souvient; le début, l’horreur, une malédiction. Son problème avait commencé tard, vers l’âge de sept ans. Oui, il se souvient bien encore de la première fois… Il était à table avec ses parents, sa sœur et ses frères. A la télévision les gens faisaient semblant d’être heureux, souriaient, chantaient. Chez lui, tous les visages étaient tournés vers l’écran noir et blanc, les fourchettes montaient automatiquement aux bouches qui mastiquaient lentement. Il entendit un de ses frères… « … Des ballons d’basket! Putain! les machins! y m’faudrait sept mains pour faire le tour de ses nibards… la main au panier!… héhé!…marrant ça !… ». Grégoire éclatait de rire, incroyable que son frère ose dire ça, là, devant papa maman, va s’prendre une taloche… Mais rien. Aucune réaction. Tous le regardaient lui, qui riait sans raison. Ils s’interrogeaient, tournaient la tête vers la télé… Rien d’hilarant, même pas un sourire. Sa sœur rit à sa suite; ils étaient comme ça, les deux plus jeunes, toujours en phase. A sa gauche un autre de ses frères lui balança une gifle, légère… «… trop con le ptit goliot… ». Sa mère… « … j’entends plus rien à la chanson… Pitié ! Qu’ils se taisent! J’l’adore cette chanson…. ». Son père… « mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu… ». Grégoire les regardait tous, les entendait tous, seulement, aucun ne parlait. Seule sa sœur riait vraiment. Toutes les lèvres étaient scellées. Et pourtant il les entendait… Des extra-terrestres, c’est ce qu’il pensa en premier, ma famille est une famille d’extra-terrestres. Il avait vu ça déjà dans un film… Un gamin adopté par des habitants de Mars qu’étaient venus en éclaireur sur la terre… Puis les pensées des autres devinrent plus longues, s’enchevêtrèrent, lianes rampantes, puissantes, au plus profond de son cerveau… pensées constrictors… La douleur… Les mains sur les oreilles… Les cris pour couvrir le tumulte… La famille affolée, son cœur qui rythmait tout ça, techno avant l’heure… Grand trou noir… Et les hôpitaux, les examens, les diagnostics, les pilules, les infirmiers, les psychiatres, du blanc, les gardiens… six mois… six mois. Aujourd’hui il sait fermer son esprit aux autres… Isolé… Mais il n’a pas encore trouvé la solution pour oublier ses pensées à lui, alors il s’étourdit la nuit.

Grégoire descend dans le métro. Le long couloir, les affiches, le guichet, la fille derrière la vitre, au téléphone, elle rit. A qui peut-elle téléphoner? Peut-être personne, peut-être qu’elle fait semblant, juste pour faire chier, peut-être à une collègue derrière un autre guichet, coalisées pour emmerder le plus de monde possible au même moment… Grégoire attend. Il croise son regard, elle baisse les yeux, une mèche tombe sur son visage, genre J’t’ai pas vu… les cheveux comme un rideau… quelques secondes…
Au téléphone : - Attends!…
Elle relève la tête, la couleur de son uniforme lui donne un air fin de nuit séduisant…
A Grégoire : - Monsieur?

Grégoire cavale dans les escaliers, il entend la rame, il n’est pas pressé mais il cavale. L’habitude. Des dizaines de visages comme des traits dans les wagons, le train ralentit, les visages prennent forme. Les portes s’ouvrent… CCChhhhh, shllack… Une vieille dame, accrochée à la poignée d’une des portes coulissantes, tend un pied hors du wagon comme une baigneuse teste l’eau de la piscine. Grégoire lui donne le bras, elle le repousse, serre son sac contre elle. L’alarme de fermeture retentit déjà. Grégoire entre dans le wagon, début de la ligne, il est tard, la plupart ont rejoint leurs bureaux ; il a le choix des places. Il s’assoit. Pas de bouquin. Le voyage va être long.

Face à lui, une gamine et son père rient.
L’enfant : - Et ça ! Qu’est-ce que c’est ça ? ? ?
Elle fait galoper ses cinq petits doigts sur la jambe de son père.
Le père : - J’sais pas !
La petite fille l’interroge encore, prête à exploser de rire, elle pouffe…
L’enfant : - Allez ! réfléchis ! regarde ! c’est quoi ça ? ? ?
Les doigts bougent plus vite encore.
Le père regarde la main qui s’agite, se concentre, ses yeux brillent.
Le père : - Je sais vraiment pas ! allez ! J’donne ma langue au chat…
La main de l’enfant se ferme, un seul doigt gesticule encore sur la jambe du père au rythme de l’éclat de rire clair… Un trouhahahha… ça !… La réponse est incompréhensible. Le père rit quand même… Quoi ???!!… le rire explose, résonne dans la gorge de l’enfant, douce musique, lumière, elle pouffe des mots sans aucun sens…Un tr..hahaaha… Tous les deux son pliés, les bras du père la serrent très fort, les rires déferlent, le petit corps est secoué de soubresauts… Elle cherche sa respiration… Un troupeau… Le rire l’arrête encore… Un troupeau d’ça… Le père est violet, son rire, il l’embrasse… Comprends rien ! ! !… ça…. Les doigts… La petite fille ouvre les deux mains, dix doigts gigotent maintenant… Elle explique… ça… replie les doigts passe une main dans son dos, l’index seul rebondit de nouveau sur la jambe… c’est un troupeau de ça… Le père comprend… Un troupeau d’ça ! !… rit de plus belle, l’enfant est aux anges… Grégoire rit aussi… Elle lève la tête, le regarde, fière, elle est heureuse, le père aussi, Grégoire aussi… Il repense au bistrot. La vie ne mime pas. La vie crée. La vie est drôle, le noir est juste là pour souligner les couleurs. Grégoire sourit, les deux autres essuient leurs yeux rouges, il aime le père et sa fille. Il aime la vie.

CCChhhhh, shllack… Les portes s’ouvrent sur un groupe d’une dizaine d’hommes et de femmes. Grégoire les regarde vaguement. Le signal de fermeture retentit, une forme sombre se glisse entre les nouveaux arrivants. Il ne la voit pas tout de suite, mais il ressent le frisson, frisson connu. Son sourire disparaît, s’évanouit. La petite fille a une autre devinette pour son père. Grégoire n’ écoute plus, il se lève, se tord le cou dans tous les sens, cherche l’ombre, peut-être se trompe-t-il, il ne voit rien, mais le frisson est là. Il renonce, se rassoit. Un attaché-case lui frôle le visage… pardon… l’homme se déplace vers la gauche… l’ombre apparaît, elle tend la main vers la petite fille…Grégoire est pétrifié, tout son corps est glacé, il n’a pas la force de se lever, d’intervenir, de crier… L’ombre stoppe son geste avant d’atteindre les joues rougies de l’enfant, puis s’éloigne… La petite dame en noir. Il transpire maintenant. La vie est une chienne.

Il avait neuf ans quand il a vu pour la première fois la petite dame en noir. Il avait déjà appris à maîtriser son pouvoir. Il s’en était bien amusé au début. Tout savoir sur les autres. Savoir tout le temps ce qu’ils pensent. Il avait sauté une classe. Il pouvait répondre exactement aux profs qui l’interrogeaient. Il savait tout ce que ces malades voulaient l’entendre dire. Pour ça il lui suffisait de trier parmi toutes les pensées parasites, les mesquineries, les haines, d’autres choses qu’il ne comprendrait que plus tard. Un petit génie. C’était si facile. Mais on a commencé à parler de l’envoyer voir des psy pour évaluer son QI, le changer d’école… Il ne voulait plus voir de psy, il ne voulait pas changer d’école. Il a tout arrêté, stoppé net. Il lisait encore les réponses dans les têtes mais il ne disait plus rien ou juste assez. Il a perçu aussi des pensées immondes chez ses parents. Il a tout fermé là encore. Puis ce fut le tour de ses amis… Pas une tête propre, ils pensaient à tellement de trucs dégueulasses qu’il préférât fermer complètement les portes qui s’étaient ouvertes dans son cerveau. Il lui arrivait, parfois, de regarder par le judas, quand il en avait vraiment besoin, quand c’était indispensable, mais il reprit vite une vie de petit garçon normal.
Avant la nuit qui allait tout foutre en l’air…

CCChhhhh, shllack… Le wagon se remplit encore. Grégoire fait un effort titanesque pour bouger ses jambes. Il se hisse. Quelqu’un le regarde bizarrement. Il tient à peine sur ses jambes. Il ose un regard à la foule. Trop de monde. La petite dame en noire est enfouie dans les corps. Elle cherche sa victime, il en est sûr. Il doit savoir qui. Le sauver peut-être. Il est encore temps…


Ne ratez pas dans le prochain épisode, le tour d’écrou, les spaghetti, la passiflore… La première rencontre avec la petite dame en noir, le combat de Grégoire… Un suspense exaltant qui vous laissera sans voix, pour appeler à l’aide, quand vous vous réveillerez, hébétés, de cauchemars qui ne vous quitteront plus…

Charles 18/03/2005 @ 14:15:16
Et bien, ça va donc être un roman N'effrayant ! L'ensemble est clair, fluide, se lit bien. Je me suis juste un peu embrouillé avec la jeune fille dans la cabine téléphonique.

Le texte est intéressant, très évocateur au niveau visuel, mais aussi sonore. Certains passages m'ont fait pensé à "L'échelle de Jacob", très bon film avec tim Robbins à ses débuts.

Je n'ai pas poussé de cri d'horreur mais l'ambiance est bien rendue. La pression monte doucement et on sent que ça va finir mal, très mal...

Bon, tu as un peu triché pour le tour d'écrou ... mais je controlerai leur présence au prochain épisode.

Krystelle 18/03/2005 @ 14:35:13
et la devinette alors? au second épisode ou bien je l'ai loupée?
Grrrrr que c'est rageant de ne pas avoir la suite... Pour la peine je ne donnerai mon avis qu'après la lecture du texte dans son intégralité, na!

Charles 18/03/2005 @ 15:12:16
et la devinette alors? au second épisode ou bien je l'ai loupée?
Grrrrr que c'est rageant de ne pas avoir la suite... Pour la peine je ne donnerai mon avis qu'après la lecture du texte dans son intégralité, na!


elle est là, je suppose :

"Face à lui, une gamine et son père rient.
L’enfant : - Et ça ! Qu’est-ce que c’est ça ? ? ?
Elle fait galoper ses cinq petits doigts sur la jambe de son père.
Le père : - J’sais pas ! ..."

Charles 18/03/2005 @ 15:15:08
Trop fort Killgrieg ! tu ajoutes même tes propres contraintes ! pas facile de placer "Calimero" dans un texte effrayant :-)

Et dire que d'autres ne vont pas respecter toutes les contraintes !

C'est vraiment trop injuste !

Yali 18/03/2005 @ 15:21:06
Qui dit moitié de texte dit moitié de commentaire : alors Grieg, ton texte…

Kilis 18/03/2005 @ 18:55:55
Mots roses mais alors très sombres... Killgrieg, on attend la suite - avec impatience, c'est déjà bon signe!
Très beau le passage avec la fillette , le papa et le troupeau de ça.

Mentor 18/03/2005 @ 18:59:52
Toujours et encore ce style bien marqué et marquant. J'apprécie depuis le premier texte lu. Ne change rien. Pas de commentaires sur le fond, pareil que les autres: j'attendrai la suite et la fin.

Tistou 18/03/2005 @ 21:50:30
Ben mon pauvre! Te voilà obligé d'attendre. Et de donner la suite. Alors moi, je vais te dire, c'est bon, très bon. Ca monte régulièrement et on a peur d'avoir compris qui est la vieille dame en noire et j'ai eu peur pour la petite fille. Compliquée la vie du gars Grégoire avec ce don/trouble qu'il (qui le) possède.
Et puis bien écrit. On te sent à l'aise dans l'histoire.
Ben, on a hâte d'avoir la suite.

Acie 18/03/2005 @ 22:26:02
bah moi je suis un peu perdue avec les deux paragraphes du début,il a quel âge, qd il parle? J'ai pas tout saisi, sinon, son enfance, c'est bien écrit et tu laisses le suspense nous envahir, juste avant la coupure! rhhhhh
Tu décris de manière exquise la complicité entre un papa et sa fille, et les rires ont pénétré ma chair
merci

Fee carabine 19/03/2005 @ 06:10:52
Ne ratez pas dans le prochain épisode, le tour d’écrou, les spaghetti, la passiflore… La première rencontre avec la petite dame en noir, le combat de Grégoire… Un suspense exaltant qui vous laissera sans voix, pour appeler à l’aide, quand vous vous réveillerez, hébétés, de cauchemars qui ne vous quitteront plus…


Ben, voyons Killgrieg, tu nous balances une accroche pareille et tu crois qu'on ne voudrait pas lire la suite! Bon, je me suis régalée mais maintenant je reste sur ma faim. Et je ne ferai pas d'autres commentaires avant d'avoir lu la suite, na!

Bluewitch
avatar 19/03/2005 @ 09:58:30
Killgrieg, t'exagères, allez, presse-toi un peu de nous envoyer la suite!!
Jusque là, rien à dire, j'adore. Je m'incline et suis toute ouïe. J'attends...
Et la devinette, je la connaissais, mais sous une forme beaucoup moins charmante. ;o)

Sibylline 19/03/2005 @ 21:47:09
Je ne lis rien, tant que je n'ai pas tout.
:0I

Sahkti
avatar 21/03/2005 @ 23:57:34
Je n'ai pas encore lu la suite, mais mon commentaire pour cette première partie est que je suis admirative, Killgrieg. Ton style s'affirme de plus en plus et tu te perfectionnes à grands pas, y a pas à dire, tu es doué. C'est vraiment une bonne narration, pas d'esbrouffe ou d'effets extraordinaires pour faire monter la tension, mais tout y est et l'intérêt du lecteur ne peut qu'être suscité.

Kicilou 23/03/2005 @ 16:37:44
Plus grand chose à rajouter. C'est vraiement un bon texte. Pas très effrayant jusqu'à l'arrivée de la petite dame en noir : j'ai peur pour cette adorable petite fille...

J'ai vraiment accroché. J'attends la suite avec beaucoup d'impatience!!!

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