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Gudel 15/03/2005 @ 10:27:19
La colline fumaille mollement.
Incrédule, légèrement hébété de suie, le bermuda noirci, Monsieur Vacance n'en revient pas de ne plus reconnaître les abords verdoyesques du Camping des Fauvettes.

Ici et là, les charognards cathodiques sont à l'œuvre.
Rien de plus télégénique que ces paysages gris-noir d'après-feu.
D'un habile contre-jour et de quelques fumerolles, un bon caméraman vous fait ici d'horribles merveilles, tandis que son compère, celui qui tient le microphone, vaque à la recherche du témoignage navrant : celui qui a tout perdu, celle qui a eu si peur, celui qui a eu de la chance de s'en tirer de justesse ; celui qui a des idées intéressantes sur ce qu'il conviendrait de faire et de ne pas faire pour éviter de "nouveaux drames".

Plus rien à éteindre.
Sur un dernier tango-lima-bravo, Tanguy et Laverdure ont remisé au nid leurs canadairs canari.

Tout à brûlé.

Les pompiers, m'as-tu vu sur mon joli camion rouge le 14 juillet dernier, ont l'allure cabossée des rugbymen déconfits.
Certains, le regard harassé et la gueule mouchetée de charbonneries, disent qu'ils n'ont jamais vu ça.

Et tous sont unanimes : les incendies n'ont rien d'accidentel ; ils sont le fait « d'odieux pyromanes » qui, pour « d'obscures raisons », jouent avec les allumettes les jours de grand vent.

Jusqu'au président de la République soi-même, occupé outre-mer à flagorner le domtom dans le sens de la France qui gagne, et qui promet un châtiment épouvantable aux criminels qui seraient pris la main sur le grattoir.

Mais qui sont-ils donc, ces pyromanes ?

Depuis le regretté Néron, cruciphile impérial et musicien talentueux, on regarde habituellement les incendiaires comme des êtres vils et lâches, motivés par des mobiles triviaux : vengeance, désoeuvrement, simple curiosité…

Une mention particulière pour l'incendiaire accidentel, qui ne se doutait pas que son barbecue dérisoire, juste bon à roustir quelques chipolatas, pouvait inopinément carboniser plusieurs milliers d’hectares de collines alentours.
De nature inquiète, Mado lui avait pourtant demandé de son exaspérante voix pleurnicharde s'il était bien prudent, avec ce vent, de vouloir faire griller ses saucisses. Pourquoi ne pas attendre demain ?
- Ils ont dit que le vent allait tomber ! On peut bien attendre demain, enfin tout de même !

Gérard, impérial, s'est contenté de répondre que ta gueule je sais ce que je fais. Depuis le temps, hein ! C'est pas toi qui va m'apprendre !

Et puis…
Quelques secondes à peine d'inattention ont suffi pour qu'étincellent les étincelles.
Et voici qu'il se tord les mains, le Gégé, en gémissant "Je l'ai pas fait exprès…", la grande complainte de l'accident stupide.
Pauvre Gérard, qu'on jugera et condamnera un jour prochain, victime expiatoire idéale en l'absence du grand, du vrai du seul coupable : le pyromane.

Parlons-en, du pyromane ! Ce grand méchant des maquis et collines, dont chacun subodore, reconnaît ou démontre la perversité démoniaque.
Jusqu'au maire de Boursoufle-lez-Troufigne qui, devant les braises encore fumantes assure, le regard planté dans l'œil de la caméra, que tout ceci n'a rien d'accidentel, qu'il peut le prouver et que cette fois enfin, « on n'en restera pas là. »

Le pyromane ? Mais bon dieu, mais c'est bien sûr ! Il est passé par ici ! affirme l'autochtone, qui ne l'a pas vu personnellement, mais qui a vu, de ses yeux vu, le fameux homme qui a vu l'homme qui a vu le pyromane, « quasiment comme je vous vois… »

Il repassera par là …renchérit le voisin de l'autochtone, qui sait de quoi il parle, attendu que le cousin du beau-frère de sa cousine connaît intimement (si vous voyez ce que je veux dire) la femme du brigadier-chef qui mène l'enquête.

Et d'ailleurs, oui ! A propos ! Que fait la police ?
La police enquête.
Et elle enquête scientifiquement.
De graves gendarmes à têtes de conspirateurs, ramassent à l'aide de longues pincettes, des éclats de verre qu'ils déposent avec des précautions de savants fous dans des petits sachets de plastique numérotés.

Ce sont - disent-ils - des restes de cocktails Molotov… Enfin, peut-être… A vrai dire, on n'en sait foutrement rien, mais c'est possible, donc probable. On va pas finasser.

Tout cela est bien triste.
Et lorsque survient l'automne, que l'enquête piétine et que la télévision a trouvé plus loin d'autres croustillances à se mettre sous l'audimat, ne reste, comme tous les ans que « le bilan effroyable des incendies de l’été. »

Les femmes des pompiers morts pleurent et maudissent en silence « les vrais responsables. »

Aux dernières nouvelles, la colline verdoie de toute sa luxuriance.

On attend l’été prochain…

Krystelle 15/03/2005 @ 14:16:59
Quelle plume incisive! et tout le monde en prend pour son grade... j'en redemande!

Bolcho
avatar 15/03/2005 @ 22:03:58
J'aime bien celui-ci aussi. On s'y amuse. On se revoit devant la télé à suivre ces reportages qui se ressemblent tous. La langue est alerte et inventive. Du plaisir.
Peut-être un léger bémol avec l'une ou l'autre "facilité" du genre "qui sait de quoi il parle, attendu que le cousin du beau-frère de sa cousine connaît intimement (si vous voyez ce que je veux dire) la femme du brigadier-chef qui mène l'enquête".
Mais léger le bémol, hein ! A part ça, on est plutôt dans les dièses.

Saule

avatar 15/03/2005 @ 22:45:07
Je confirme. Je trouve ça brillant et je lis avec beaucoup de plaisir, celui-ci plus que les autres.

Tistou 16/03/2005 @ 10:35:01
Sociétal Gudel? Tu fais dans le sociétal? Compèt avec Bolcho?
Il y aurait tant à dire sur ces incendies. Leur bien fondé parfois? Malheureusement le débat étant monopolisé part les médias, par définition il n'y a plus de débat. Il n'y a plus que de l'exploitation d'un sujet de saison, d'images faciles et de je-te-caresse-dans-le-sens-du-poil.
Mais le débat qui n'existe pas, tu en exposes très bien les données de base.

Gudel 16/03/2005 @ 11:12:43
lire à ce sujet l'excellent "Feu" de l'excellent Rezvani, qui connaît particulièrement le sujet pour habiter depuis des siècles en plein massif des Maures une maison perdue qui n'a pas grand chose à voir avec les clichés Côte d'Azur... Il a également écrit un magnifique papier dans Le Monde l'été dernier, en défandant l'ancestrale stratégie du contre-feu...
Enfin et pour ceux qui l'ignoreraient, Rezvani est veuf depuis deux ou trois mois, puisque la merveilleuse Lula est partie... Il s'en remet mal.

Sociétal Gudel? Tu fais dans le sociétal? Compèt avec Bolcho?
Il y aurait tant à dire sur ces incendies. Leur bien fondé parfois? Malheureusement le débat étant monopolisé part les médias, par définition il n'y a plus de débat. Il n'y a plus que de l'exploitation d'un sujet de saison, d'images faciles et de je-te-caresse-dans-le-sens-du-poil.
Mais le débat qui n'existe pas, tu en exposes très bien les données de base.

Saint Jean-Baptiste 16/03/2005 @ 18:49:49
C'est un texte qui m'a beaucoup plu, ça se laisse lire facilement !
Au point de vue originalité, c'est pas terrible. Hélas les comptes rendus des incendies de forêts fleurissent tous les étés, et il serait difficile de trouver encore du nouveau sur le sujet.
(On devient exigeant, hein, Gudel !? ;-)) !)
Tistou, si j'ai bien compris, propose un débat ? Pour ou contre les feux de forêts ? J'ai dû rêver !!?

Felixlechat

avatar 18/03/2005 @ 01:29:03
Bravo Gudel, j'aime ton récit, il est chaud.
FLC

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