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Palorel

avatar 12/03/2005 @ 18:42:14
On dit souvent que Modiano écrit toujours le même livre, mais ce n'est pas là un reproche. Il ne faut pas entendre par là "Modiano nous sert toujours la même soupe". Il est probablement incapable d'écrire autre chose, donc il ne triche pas. D'ailleurs, il en convient lui-même:

"Je n'ai jamais eu l'impression, chaque fois que j'ai écrit un livre, d'avoir écrit quelque chose de fini, de clos sur lui-même, comme un roman de Simenon, par exemple. J'ai toujours eu l'impression que j'essayais au fur et à mesure de mes livres de déblayer quelque chose pour enfin arriver à écrire un vrai livre. Mais ce n'est jamais fini, c'est comme une fuite en avant, très désordonnée, comme quelqu'un qui n'a pas assez de souffle, qui est obligé de faire des pauses. Dans mon enfance, il y avait une course de vélo qui s'appelait les Six jours. Pendant six jours, les coureurs tournaient sur une piste. Parfois, ils s'arrêtaient, ils faisaient du surplace. C'est pareil quand j'écris. Dans cette succession de livres, il y a plein de moments inutiles, il ne faudrait garder que les bons et les rassembler, comme des morceaux choisis. Je me dis toujours: je vais me débarrasser de ça, et après j'aurai le champ libre. Mais c'est impossible, c'est une illusion. Le vrai livre n'arrive jamais. Et je n'arrive jamais à écrire un livre complètement autonome des autres. J'ai toujours l'impression que je pourrais prendre tel truc dans tel livre et le raccrocher à tel morceau d'un autre, que ça ne ferait pas vraiment de différence. Tout ces déblayages vers un livre principal donnent une direction mais pas une architecture, ce qui fait qu'on continue d'écrire. On reprend sous un autre angle, c'est comme un contrechamp."


Paradoxalement, cet "écrivain en mal d'identité" est aussi l'un très rares écrivains à avoir su imposer son univers personnel.

Palorel

avatar 03/08/2005 @ 20:57:18
"Un pedigree" n'est peut-être pas le livre de Modiano par lequel il faut commencer. C'est vrai qu'on l'apprécie d'autant mieux si on a quelques "prérequis". Un petit conseil: lisez peut-être d'autres livres de Modiano et revenez à "Un pedigree" un peu plus tard et vous y trouverez certainement autre chose qu'une juxtaposition de noms et de dates. Je vous assure, ça en vaut vraiment la peine!

Aaro-Benjamin G.
avatar 03/08/2005 @ 21:05:25
J'y compte bien, "Dora Bruder" et "Rue des boutiques obsures", sont sur ma courte liste de futures lectures.

Palorel

avatar 03/08/2005 @ 21:11:32
Je pense qu'il vaut mieux commencer par un roman comme "Rue des boutiques obscures", "Dimanches d'août", "Du plus loin de l'oubli" ou "Villa triste". Le statut un peu particulier d'oeuvres comme "Un pedigree" ou "Dora Bruder" peut être assez déstabilisant pour le lecteur.

Vda
avatar 11/06/2006 @ 11:18:42
"Un pedigree" n'est peut-être pas le livre de Modiano par lequel il faut commencer. C'est vrai qu'on l'apprécie d'autant mieux si on a quelques "prérequis". Un petit conseil: lisez peut-être d'autres livres de Modiano et revenez à "Un pedigree" un peu plus tard et vous y trouverez certainement autre chose qu'une juxtaposition de noms et de dates. Je vous assure, ça en vaut vraiment la peine!


selon moi, Un pedigree est une liste, une juxtaposition d'une sécheresse rebutante.
ce livre ne peut être lu que par ceux ayant une bonne connaissance des romans de Modiano et de leur univers flou, en marge et nostalique. c'est cette seule connaissance qui permet au lecteur d'y mettre de la "chair".
avec ce livre, c'est au lecteur de réaliser le travail qui est habituellement celui de Patrick Modiano, donner un corps, une voix aux êtres rattachés à des lieux et des faits dilués dans le temps et la mémoire.

Feint

avatar 11/06/2006 @ 11:31:30
Bonjour Vda. Je ne peux répondre concernant Un pédigree, que je n'ai pas lu ; mais, à lire ce qui précède, deux questions me viennent :
- Un livre doit-il constituer un tout, une entité qui se suffit à elle-même ? (il me semble que c'est une illusion courante)
- Qui sont les auteurs pour lesquels écrire des textes vraiment différents fait partie de leur démarche esthétique ?

Vda
avatar 11/06/2006 @ 21:32:40
- Un livre doit-il constituer un tout, une entité qui se suffit à elle-même ? (il me semble que c'est une illusion courante)


ça, c'est de la question
je vais essayer de formuler non pas une réponse mais des idées qui me viennent à son évocation
si le livre est une entité qui se suffit à elle-même, alors, le lecteur n'a rien à y faire et surtout rien à y chercher et encore moins à y trouver
alors, non le livre n'a pas à constituer un tout, sinon il serait une simple formule mathématique, une réponse et non un questionnement

ce qui est dit de l'oeuvre de Modiano ici, et ce n'est me semble-t-il pas un reproche qui lui est fait, c'est que celle-ci (la citation de Modiano est elle-même éclairante sur ce point) est redondante, la même atmosphère se retrouve de roman en roman, alors même que l'histoire change. Les personnages sont différents et pourtant ils pourraient évoluer dans l'un ou l'autre des romans de l'auteur.

et l'oeuvre de Modiano, si elle est un tout, est avant tout ouverte à l'interprétation, à la rêverie, à l'introspection, au cheminement, les "blancs" y sont certainement plus fréquents et importants que chez d'autres romanciers.


- Qui sont les auteurs pour lesquels écrire des textes vraiment différents fait partie de leur démarche esthétique ?


ça se corse encore avec cette question, et le problème est qu'il faudrait préciser ce que l'on entend par "des textes vraiment différents" : différents quant à l'univers narré, l'espace social représenté, ou les thématiques abordées.

J'aurais tendance à penser que la question porte plutôt sur les thématiques et là, le romancier est généralement "enfermé" dans des thématiques qui lui sont propres, certaines assumées et d'autres sousjacentes, qui, que le livre se situe sous le deuxième empire ou à l'époque contemporaine, transparaîtront dans le fil de la narration.

La particularité de Patrick Modiano sur ce point est que ses thèmes affleurent à la surface du texte, en constituent la structure quand tout est incertain, flou et instable, des personnages eux-mêmes, de leur passé, de leur présent à leur avenir, du monde dans lequel ils évoluent.

pour essayer de citer un auteur dont la démarche esthétique l'a conduit à écrire des textes vraiment différents, je dirai Boris Vian, mais sans certitude, Brautigan peut-être ...

Feint

avatar 11/06/2006 @ 21:49:22
Concernant ma première question, je pensais surtout aux liens qu'entretiennent entre eux les textes d'un même auteur, délibérément ou malgré lui. J'ai la fâcheuse habitude de ne pas tout lire d'un auteur, afin d'avoir la vision la plus large possible de la littérature ; mais ce faisant j'ai aussi le sentiment de trahir des auteurs en réduisant le livre lu à un livre unique, alors qu'il est nécessairement un jalon sur un parcours.
Cela rejoint en fait ma deuxième question : quelle idée pourrait se faire de Flaubert, ou plutôt de ce qui fait écrire Flaubert, celui qui ne lirait que La Tentation de Saint-Antoine, ou que Madame Bovary, ou que Bouvard etc...? Plus près de nous la question se pose aussi pour un auteur comme Calvino. La lecture de Si par une nuit d'hiver un voyageur, récemment évoquée sur un autre fuseau, apporte un éclairage nouveau à celle du Chevalier inexistant, par exemple.

Jules
13/06/2006 @ 12:46:45
C'est marrant car j'ai le réflexe inverse. Quand je lis un livre d'un nouvel auteur pour moi, et que je l'aime, j'ai tendance à lire les autres. Pas nécessairement à la suite, mais cet auteur figure dans ma liste de ceux que je dois approfondir. Un grand auteur a plus d'une seule idée à nous transmettre. Dans un livre il en développera une plus fortement qu'une autre et cette dernière réapparaîtra dans un suivant.

Et puis, un auteur évolue au cours de son parcours en écriture comme en âge et cela aussi est très intéressant à suivre. Comme le dit Jim Harrison, nous mettons des années à nous créer certaines lignes de force, elles ne sont pas tellement nombreuses, mais elles ne restent pas toujours perçues de la même façon avec l'âge ou les circonstances de la vie. Non, plutôt que papilloner d'un auteur à l'autre systématiquement j'aime entrer profondément dans le monde des grands écrivains.

Je pense ainsi à un Giono, un Camus, un Malraux, un Céline, une Yourcenar, Jim Harrison, Russell Banks, Ismaïl Kadaré, Faulkner, Toni Morrison etc.

Feint

avatar 13/06/2006 @ 18:08:59
C'est marrant car j'ai le réflexe inverse. Quand je lis un livre d'un nouvel auteur pour moi, et que je l'aime, j'ai tendance à lire les autres. Pas nécessairement à la suite, mais cet auteur figure dans ma liste de ceux que je dois approfondir. Un grand auteur a plus d'une seule idée à nous transmettre. Dans un livre il en développera une plus fortement qu'une autre et cette dernière réapparaîtra dans un suivant.

Tu as parfaitement raison. Cette "fâcheuse habitude" à laquelle je faisais allusion n'est une dérive illusoire. On a l'impression d'en connaître plus, on ne connaît rien vraiment. J'ai quand même aussi (et heureusement) approfondi ma lecture de quelques auteurs (Beckett, Kafka, Flaubert, Michaux, Nerval, Coleridge et, plus près de nous, Eric Chevillard...) et il y en a un certain nombre d'autres vers lesquels je sais que je reviendrai forcément. Précisément, la lecture d'un seul livre, fût-il considéré comme le "plus important" de l'auteur, ne peut être vraiment suffisante, même pour la compréhension de ce livre-là.

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