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Forums  :  Vos écrits  :  MM : épisode 9

Kicilou 09/03/2005 @ 11:02:49
Il ne distingue plus rien à part une toile au centre de la pièce, une toile qui flotte, un tableau blanc.

***
      Il n'y a plus un bruit, plus un mouvement dans la petite chambre d'amis. Au centre de la pièce, une toile blanche repose sur le tapis bariolé, petit carré ridicule, seul à ne pas chatoyer de milles couleurs. Car tout autour d'elle, la pièce est à elle seule une ode à la peinture, l'oeuvre d'un fou génial qui aurait attrapé dans ses filets un arc-en-ciel tout juste né et l'aurait relâché ici. Combien de temps cet arc-en-ciel se serait débattu en déposant autour de lui ses couleurs avant qu'enfin, il réussisse à rejoindre le ciel en se glissant par la fenêtre à peine entrebâillée ? Un temps infini aux regards des milles et une teintes qui habillent le moindre centimètre carré, chacune s'étant déposée en gouttelettes, en nuages, en dégoulinures, en éclaboussures… Toutes se mélangent, se combinent pour faire de la pièce la palette magique de ce peintre un peu fou. Que peut bien masquer d'inavouable ce petit carré blanc, juste au centre de la chambre… Est-ce en rapport avec l'homme évanoui au beau milieu d'une mare verte, la seule étendue unicolore de toute la pièce ? Oh, il bouge…

***

      Andréa se relève péniblement. Sur l'appui fenêtre, un oiseau s'envole, effarouché. Une pensée, une de ces idées fantaisistes, qui n'ont leur place qu'au sortir d'une rêverie lui traverse l'esprit : "tiens, un roitelet huppé, c'est rare d'en voir un de si près, j'aime sa couleur gris-vert et…". Et rien du tout, un flache, un visionnage accéléré de tout ce qui vient de se passer lui défile devant les yeux à la seule évocation de cette couleur. Il baisse le regard sur ses mains vertes et tremblantes, sur ses vêtements qui dégoulinent de la même peinture. De la pièce autour de lui, il ne voit que le tableau, la toile blanche de son rêve disparu. Comme un automate, il s'approche et la prend délicatement. Ses pouces impriment sur la toile vierge deux amandes vertes, deux yeux qui le regardent…
– Pélagia…
      C'est un murmure, un souffle à peine articulé qui vient de passer la barrière de ses lèvres. Alors seulement, Andréa réalise ce qui s'est passé, ce qu'implique ce carré blanc.
– PELAGIA !!!!!!!!!!!!!!!
      C'est un hurlement, comme un déchirement de tout son être, une douleur si forte qu'il a l'impression que son cœur va éclater. Il tombe à genoux, une main sur la poitrine. Il a si mal, physiquement mal… "On voit que tu as mis du cœur à l'ouvrage !"… Cette expression, qui l'avait fait sourire la seule fois où il avait montré son tableau à quelqu'un, prend aujourd'hui tout son sens. Ce tableau, Pélagia, c'était une partie de lui, une extension de son cœur : l'amour qu'il se sentait près à ressentir pour une femme, il l'avait personnifié. On vient de lui arracher, brutalement et il y en a perdu un petit bout d'âme.

      La douleur persiste, à la fois lancinante et vivace, ne lui laissant pas un instant de repos. Il s'est lavé, juste parce qu'en passant devant une glace, il a eu l'impression qu'il s'était noyer dans les yeux de Pélagia et qu'il en était cependant ressorti à moitié vivant. Mais ça n'a rien changé, la souffrance est toujours aussi forte et lui se sent à moitié mort. Andréa erre dans la maison vide, le tableau presque vierge serré contre son cœur malade.
      Mais le temps passe et un sentiment d'urgence s'immisce peu à peu dans son esprit. Car déjà, il est obligé de regarder la marque de ses pouces sur la toile pour se rappeler la couleur exacte des yeux de Pélagia. Et le projet, qui a germé dans sa tête et étend, au fur et à mesure, ses rameaux à tout son être, nécessite qu'il se souvienne parfaitement de ce qu'il avait dans le coeur quand il a peint cet amour.
      Brusquement Andréa se décide et plonge dans un placard, à la recherche de ses pinceaux, ses couleurs, du matériel qui, il l'espère, pourra redonné vie à Pélagia. Mais les tubes sont plats, vides ou secs et Andréa les jette avec rage, les uns après les autres. Pas une couleur n'a échappé au caprice du temps qui passe. Un peu comme mon amour pour Pélagia pense-t-il avec remord. Mais l'instant n'est ni aux remords, ni aux regrets, ni aux soupirs : il doit agir et agir vite.
      Andréa rafle tout l'argent économisé sous à sous et caché dans le pot de terre, souvenir des confitures de sa grand-mère et sort en trombe de la maison. Il dévale la rue en pente, poursuivit par l'écho de sa course sur les pavés inégaux. Il y a une quincaillerie à cinq cents mètres et il y court comme si ça vie en dépendait… Ce qui est le cas, à bien y réfléchir, puisqu'il a enfin compris qu'il ne pouvait vivre sans Pélagia. Mais arrivé là-bas, le magasin est fermé, hermétiquement clos et ses coup de poings et de pieds dans la devanture n'y change rien. Andréa ne réfléchit plus, il en est incapable, la douleur dans sa poitrine ne lui laisse pas ce loisir.
      Quand soudain, il voit, assis sur le bord d'une fontaine, un homme qui peint. Où plutôt, il voit les tubes de peintures, nombreux et ventrus qui semblent l'appeler. D'ailleurs l'homme a disparu, il ne reste que les couleurs, toutes celles qu'il faut à Andréa. Alors il s'approche et empoche les tubes par poignées entières. Mais un chien surgit brusquement et gronde, comme s'il voulait protéger le matériel du peintre de ce pillage. Il saute sur Andréa qui, déséquilibré, tombe à la renverse éparpillant le contenu de ses poches autour de lui. L'animal récupère alors précautionneusement les tubes, les uns après les autres. Mais Andréa n'a que faire de ce chien d'artiste qui l'empêche de prendre les couleurs dont il a tant besoin. D'un coup de pied magistral il l'envoie rouler à trois pas et se sauvent avec les précieux tubes.

      Au bord de la fontaine, un chien au pelage étrange : rayé blanc et noir, un noir si profond qu'il en semble presque bleu, gémit doucement. Une montre cassée est accrochée à son collier.

Kilis 09/03/2005 @ 11:13:05
Kicilou, c'est franchement très fort, j'ai été emportée par ton récit. C'est vivant, rythmé et bien écrit.

Sahkti
avatar 09/03/2005 @ 16:13:15
Bravo Kicilou, vraiment, pour cette jolie description du jeu des couleurs, un arc-en-ciel qui traverse la pièce et la tête d'Andrea, au début du texte, c'est une belle écriture!

La suite de ton texte est de la même qualité.
J'aime beaucoup: "Pas une couleur n'a échappé au caprice du temps qui passe. Un peu comme mon amour pour Pelagia".

Et nous voilà en compagnie d'un chien maintenant!? Bien! Un nouveau personnage ou un des nôtres mais déguisé... ça devient palpitant :)

Acie 09/03/2005 @ 16:21:14
coucou ma fee, g lu ton texte a l'instant, perfectionniste que tu es! lol, ton acharnement n'a pas ete vain! je crois que tu as su mettre sur papier (entre guillemets) la terreur de l'ecrivain : la page blanche transpose au peintre : sa force et sa faiblesse, sa vie et sa detresse ... l'art ingrat et egoiste

Lyra will 09/03/2005 @ 17:21:55
Excellent Kicilou, vraiment, c'est superbement écrit.
De très belles images, une parmi tant d'autres : il a eu l'impression qu'il s'était noyer dans les yeux de Pélagia et qu'il en était cependant ressorti à moitié vivant.
Mais aussi tout le passage sur l'arc-en-ciel, très beau.
C'est bien que tu fasses resurgir le chien maintenant, enfin l'homme sous forme de chien, puisque personne n'en avait reparlé en fait.
En tout cas c'est très bon, qu'est-ce qu'il va donc faire avec cette peinture ???
A qui de nous le dire ? je ne sais plus, mais bon courage :0)

Tistou 09/03/2005 @ 17:50:14
Du sens, tu amènes du sens au développement de l'histoire, qui progresse.
Pour un chien équipé d'une montre, il n'est pas balèze! Et pourtant ça n'est pas n'importe quel chien!
Bien écrit, ça oui, sauf que flache, je l'écrirais plutôt flash, mais bon!
Voilà, Kicilou a ajouté sa patte à l'oeuvre, et comme dans les précédentes, ce sont toujours des coups de patte intéressants.
Une question, Kicilou. A part les MM, et, il est vrai, ta dernière "Montagne", pourquoi ne nous proposes-tu pas parfois des textes? Dans nos Appels à textes par exemple?

Kicilou 09/03/2005 @ 18:13:22
Une question, Kicilou. A part les MM, et, il est vrai, ta dernière "Montagne", pourquoi ne nous proposes-tu pas parfois des textes? Dans nos Appels à textes par exemple?

J'ai regardé cet appel à texte mais il y a mon concour qui approche alors je ne sais pas si j'aurai le temps de m'y mettre. Et pour les textes, je n'en propose pas parce qu'en fait, j'écris un roman, pour les enfants (ou plutôt je retravaille et retravaille encore ce que j'ai déjà écrit) donc quand j'écris c'est ça que je fais... Mais c'est pour les enfants et c'est loin d'être fini alors je ne l'ai pas mis ici... Quand il sera fini, promi, je le fais lire mais vu que ça fait bien 3 ans que j'y suis et que j'ai pas atteins la moitié, va falloir attendre un peu! ;-)

Sibylline 09/03/2005 @ 18:36:51
Oui, c'est vrai que cela prend du sens et on voit comment les choses pourraient évoluer, mais le feront-elles?... Et si André se cassait le poignet et ne pouvait plus tenir son pinceau que de la main gauche? Et s'il s'était converti au cubisme, ou au pointillisme? Et si...
Romantisme, comique , fantastique ou drame? Tout est encore possible. Il faut que j'aille voir à qui est le tour.
Bravo Kicilou

Lyra will 09/03/2005 @ 19:17:03
C'est Yali qui s'y colle ;0)

Killgrieg 10/03/2005 @ 09:56:41
Sentiment ambiguë à la lecture de ton beau texte Kicilou.
On sent que tu t’es imprégnée totalement des MM précédents. Tu as conservé le rythme que Tistou avait donné et l’étrange sentiment d’angoisse et d’urgence que Lyra avait insufflé au récit, tout en reprenant un style proche des premiers épisodes. Ta démarche est fidèle et pourtant originale….
Tu maîtrises si bien le récit et l’écriture que finalement, j’aurai pu simplement crier bravo sans me trouver complaisant.
Mais voilà, :
Au début, avec une simple phrase (« Est-ce en rapport avec l'homme évanoui au beau milieu d'une mare verte, la seule étendue unicolore de toute la pièce ? Oh, il bouge… ») qui clos un superbe paragraphe coloré, tu adoptes un genre narratif différent, et j’étais un peu perdu avec ce narrateur qui, pour la première fois, prend réellement corps, nous apostrophe même. J’ai cru d’abord que c’était Andréa, ensuite un nouveau personnage, j’ai dû relire pour comprendre vraiment.
Le réveil d’Andréa et sa première pensée, ne me semble pas tout à fait crédible. L’effet est beau, très beau mais je n’arrive pas à y croire.
Ces deux exemples, pour te dire que j’ai eu le sentiment que pour placer deux belles images, tu avais un peu oublié la cohérence du récit.

C’est horrible à dire mais, j’ai trouvé à ton style et à tes idées tant de qualités que j’ai eu besoin de pinailler.
Pinaillage d’autant plus dérisoire que j’ai l’étrange impression que M. Yali nous prépare un retournement de situation radical, et que sibylline a déjà placé les bâtons de dynamites aux points stratégiques de l’intrigue.

Malgré tout, mon impression d’ensemble est plus que positive.
Bel effet, bien rendu que cette toile blanche, petit carré qui prend tant de place.
Belle image que cet arc-en-ciel vandale.
… et les pouces, les amandes, les yeux… :-)))
Belle idée que ce créateur lié à la vie et surtout à la mort de sa créature.
Superbe pensée que celle de cet homme qui doit recréer sa créature à l’identique et dans l’urgence, de peur d’oublier…



On ne peut juger du style de quelqu’un sur des exercices comme le MM et j’adorerais pouvoir lire une autre histoire de toi. Je pense aussi que ton roman pour enfants pourrait tout à fait trouver sa place ici. Je pense enfin que dans une phase de correction et réécriture, l’avis objectif de camarades de jeu inconnus peut-être constructif.

PS : Sahkti, je te considérais un peu comme la « lectrice idéale », et là, tout à coup, tu oublies le chien qui était déjà apparu avec sa petite montre dans l’épisode 3… Je suis effondré

Sahkti
avatar 10/03/2005 @ 11:15:12
pfff Killgrieg, j'ai mentionné "un des nôtres déguisé" pour faire le rapprochement avec ce chien déjà vu, mais ça n'empêche pas non plus que ça puisse être un autre chien, issu du même univers étrange. Après tout, on se rend compte que les deux beautés étaient en fait des peintures sur pattes, alors pourquoi pas nos deux hommes des chiens fidèles portant au cou une superbe montre suisse :)

Killgrieg 10/03/2005 @ 11:43:32
une superbe montre suisse cassée maintenant;
et pffff toi même :-))

Yali 10/03/2005 @ 17:07:46
Très bien fait Kicilou, tout à été dit et donc je me contente d'un "bravo", puis j'ai le trac, je ne peux articuler davantage.

Kicilou 10/03/2005 @ 21:04:14
Au début, avec une simple phrase (« Est-ce en rapport avec l'homme évanoui au beau milieu d'une mare verte, la seule étendue unicolore de toute la pièce ? Oh, il bouge… ») qui clos un superbe paragraphe coloré, tu adoptes un genre narratif différent, et j’étais un peu perdu avec ce narrateur qui, pour la première fois, prend réellement corps, nous apostrophe même. J’ai cru d’abord que c’était Andréa, ensuite un nouveau personnage, j’ai dû relire pour comprendre vraiment.
:-) Chapeau! Tu as mis le doigt sur le problème que je me suis posée! Tu lis dans mes pensées là! J'ai eu beaucoup de mal à me mettre à cet épisode, je n'arrivais pas à écrire quoi que ce soit jusqu'à ce que ce paragraphe me vienne à l'esprit. Mais là, problème, j'avais introduis un narrateur alors qu'il n'était pas vraiment présent, ou du moins pas de cette manière, dans les précédents épisodes. Alors je me suis autorisé une petite pirouette... que personne n'a comprise (et c'est peut-être mieu comme ça puisque ce changement de narrateur n'a pas l'air de trop vous gêner ) : le narrateur, il est dans le texte : c'est le roitelet huppé (je sais, ce n'est pas crédible, c'est juste poétique) :-)

Et merci pour tous les compliments, je craignais que vous ne le trouviez moins bien que les autres, mon épisode, mais ça n'a pas l'air le cas, ça me rassure!

Bluewitch
avatar 10/03/2005 @ 21:13:24
J'ai adoré la première partie, Kicilou. Et aussi le mouvement, l'action que tu as mis dans la seconde. Ca bouge ça fait du bien.
Pour le reste, tout a déjà été dit!!!

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