Bolcho
avatar 28/02/2005 @ 19:09:07
Il était une fois un père très méchant.
Dès, qu’afin de parler, son fils ouvrait la bouche,
La brute l’écrasait comme on fait d’une mouche ;
Il lui frappait le dos tous les jours, tout le temps.
A quinze ans, sans bagage, et las de déguster,
Pierre s’en fût enfin pour échapper au père.
Sur son chemin il vit une licorne fière,
Blanche comme la neige, et qu’il pouvait monter.
En hommage à son teint, Pierre la nomma « Perle »,
Et au village proche il vola un morceau
De viande pour lui-même et de l’orge pour elle.
L’eau pour boire était libre : il dut voler le seau.
Un matin il alla au marché du village
Et vit une beauté plus ou moins de son âge.
Il vint à elle et dit : « Bonjour, qui êtes-vous ?
Que vous êtes jolie ! Et ce regard si doux ! ».
Mais elle tourna le dos et s’en fût en disant
Qu’elle ne parlait jamais sans bien connaître avant.
Pierre, curieux, voulut savoir où elle allait
Et la suivit, monté sur le dos de sa bête
Jusqu’à la porte en or d’un superbe palais.
De surprise il gémit et son souffle s’arrête :
Evidemment elle est de ce lieu la princesse…
Trois mois plus tard enfin – car son amour le presse –
Il ose pénétrer dedans le palais d’or
Jusqu’à la chambre rose où la princesse dort.
- « Mais que me voulez-vous ? » s’écrie la jeune fille,
Qui d’une main l’arrête et de l’autre s’habille,
« Et que faites-vous là, m’envisageant toujours ? »
- « Ah belle, donnez-moi s’il vous plait votre amour ! »
- « Pour cela il vous faut accomplir une épreuve
Que mon père astucieux a voulu imposer,
Afin que tous ceux qui pour sa fille s’émeuvent
Subissent la rigueur d’un très preux chevalier ».
- « J’accepte ! cria Pierre à la face du Roi ».
Au coucher du soleil, le combat commença.
La lutte fut bien longue et Pierre, lame fine,
Dut batailler bien ferme au moins une heure durant,
Avant de pointer vers cette vaste poitrine
L’épée de fer mortel qu’il enfonça dedans.
Pierre avait gagné et le Roi l’applaudit,
Mais ne voulut pourtant pas donner en mariage
Sa fille bien aimée, comme il l’avait promis.
Vers Pierre il se tourna : « Prouve encor ton courage,
Et rapporte ici même une peau de dragon
Avant qu’un mois n’advienne, et tu seras baron ».
Le dragon, on le sait, est pourvu d’une corne,
Son haleine est de feu, sa force est redoutable,
Mais sans doute n’est-il après tout qu’une fable :
Il ne pousse jamais sous sabots de licorne.
Pierre s’énerve en vain, soulève chaque roc,
Sans courage ni plan, il se fie au hasard,
Pour ne trouver enfin – et c’est un triste troc –
En guise de dragon, qu’une peau de lézard.
De retour au palais, la princesse est mariée
A un riche marchand, vainqueur sans aucun duel.
Ah ! le sort est injuste et le Roi est cruel !
Mais il sera puni, l’injustice vengée.
Et Pierre vieillit mal : lui qui était aimable,
Il devint un pilleur et agit comme fou,
Jusqu’à tuer sa licorne et la manger d’un coup.
Pierre était la bonté et il devint le diable.
Il avait des pouvoirs, il maîtrisait le sort,
Et en diable vengeur il distribuait la mort.
Le Roi félon mourut comme le voulut Pierre,
Qui pour boucler la boucle assassina son père.

Croyez-moi bonnes gens, ce conte est le malheur.
Il vous brise le rêve et vous détruit la mine.
Je n’en suis que servant et humble traducteur,
Car l’idée est venue à l’esprit de Perrine.

Zou 28/02/2005 @ 19:20:42
Bonjour Bolcho, je suis nouvelle. Juste pour te dire que j'ai apprécié la révérence que tu tires in fine à notre muse, Perrine. Le reste aussi bien évidemment :-)))

Lyra will 28/02/2005 @ 20:27:35
Ca balance bien Bolcho, je trouve :0)
C'est agréable à lire, à entendre, les rimes sont bien trouvées, j'ai bien aimé la princesse qui l'arrête d'une main et s'habille de l'autre, c'est visuel, ça m'a fait rire :0))
Voilà, voilà, un hommage à la fin en plus, c'est très sympa, bravo.

Sahkti
avatar 28/02/2005 @ 20:50:43
Haa second essai en vers de notre conte servi au menu du jour! Essai réussi Bolcho, ça sonne romanesque, chevaleresque, épique et héroïque... oui, oui, il y a un fameux rythme qui balance bien derrière tout cela et nous emporte dans la "bagarre".
J'aime beaucoup ta conclusion, cette petite morale à la Jean de la Fontaine, présente l'air de rien, assénant le coup de grâce.
L'originalité et la réussite tiennent ici davantage à la forme qu'au contenu, fidèle à la V.O. que tu as joliment bien emballée.

Le petit K.V.Q. 28/02/2005 @ 20:58:08
Très très bien, Bolcho, il y a un côté moyenâgeux, médiéval, ca ressemble à un fabliau. Et la fin est bien troyvée. Les rimes sont bonnes. Je trouve, aussi, que ca pourrait se chanter, je verrais bien, pour rester dans le cadre médiéval, un troubadour, conteur d'histoires, déroulant son texte en se mettant à genoux.... (Bon, j'vais pas en rajouter dans le lyrisme). Sinon, j'ai trouvé quelque chose de bizarre :

Trois mois plus tard enfin – car son amour le presse –
Il ose pénétrer dedans le palais d’or
Jusqu’à la chambre rose où la princesse dort.
- « Mais que me voulez-vous ? » s’écrie la jeune fille,
Qui d’une main l’arrête et de l’autre s’habille,
« Et que faites-vous là, m’envisageant toujours ? »
- « Ah belle, donnez-moi s’il vous plait votre amour ! »
- « Pour cela il vous faut accomplir une épreuve
Que mon père astucieux a voulu imposer,
Afin que tous ceux qui pour sa fille s’émeuvent
Subissent la rigueur d’un très preux chevalier ».
- « J’accepte ! cria Pierre à la face du Roi ».


Le Roi vit-il dans la même chambre que sa fille ? Comment se fait-il qu'il est là ?

Kilis 28/02/2005 @ 21:34:22
Bolcho manie l’alexandrin comme il shakespeare !
Que dire à ça, sauf : c’est extra !

Tistou 28/02/2005 @ 22:27:57
Le Roi vit-il dans la même chambre que sa fille ? Comment se fait-il qu'il est là ?

Regarde bien entre les lignes
On voit le travelling.

Tistou 28/02/2005 @ 22:30:17
Très très fort Bolcho. Fidèle à l'histoire mais un relookage d'époque, certifié de Tolède. Du solide, qui traversera les ans, n'en doutons pas!
Je suis impressionné. Je gage que Perrine le sera aussi.

Killgrieg 28/02/2005 @ 22:45:57
je suis tombé petit sur la tête et depuis la poésie m'ennuie. Je me force souvent et n'y trouve aucun agrément. J'ai attendu, repris le texte trois fois, hémistiches et alexandrins volaient bien, quand tout à coup une phrase apparut
"L’eau pour boire était libre : il dut voler le seau."
j'ai souri, relu encore, c'était parti.

Hier, encore je relisais un passage d'Othello - pour essayer de comprendre une allusion faîtes par un detective dans un roman policier - et même schéma, un passage m'a emporté jusqu'à pas d'heure.

BRABANTIO

quelle canaille impie es-tu?

IAGO

J'en suis une monsieur qui vient vous dire que votre fille et le Maure sont en train, en ce moment, de faire la bête à deux dos.

BRABANTIO

Toi, tu es un salaud.

IAGO

et vous, un sénateur.




D'accord ça n'a rien à voir, sinon que ce sont des phrases comme celles ci qui me font lire et aimer lire.

Si c'est pas un compliment ça!

Krystelle 01/03/2005 @ 10:13:51
C’est un sacré exercice de style que de réécrire un tel conte en alexandrins… Bravo pour le résultat même si cette forme impose de lourdes contraintes qui, à mon avis, nuisent parfois à la fluidité du texte.

Tistou 01/03/2005 @ 10:53:37
Et moi, je redis mon admiration.

Tistou 01/03/2005 @ 11:16:36
Très cher, une question de moi là :
http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Charles 01/03/2005 @ 14:43:43
Bravo Bolcho ! Tu as vraiment bien joué le jeu et tu as dû passer pas mal de temps sur l'exercice.

Le résultat est à la hauteur de l'effort. Très réussi.

Le petit K.V.Q. 01/03/2005 @ 16:32:42
Le Roi vit-il dans la même chambre que sa fille ? Comment se fait-il qu'il est là ?

Regarde bien entre les lignes
On voit le travelling.



J'dois être un peu idiot, car j'ai toujours pas vu le travelling...

Tistou 01/03/2005 @ 16:41:32
Au Petit KVQ.

Il ose pénétrer dedans le palais d’or
Jusqu’à la chambre rose où la princesse dort.
- « Mais que me voulez-vous ? » s’écrie la jeune fille,
Qui d’une main l’arrête et de l’autre s’habille,
« Et que faites-vous là, m’envisageant toujours ? »
- « Ah belle, donnez-moi s’il vous plait votre amour ! »
- « Pour cela il vous faut accomplir une épreuve
Que mon père astucieux a voulu imposer,
Afin que tous ceux qui pour sa fille s’émeuvent
Subissent la rigueur d’un très preux chevalier ».
- « J’accepte ! cria Pierre à la face du Roi ».

Entre le moment où la Princesse informe Pierre qu'il doit accomplir une épreuve, et celui, le vers suivant, où Pierre crie son acceptation, est-il besoin de préciser qu'il se rend voir le Roi? Au cinéma, dans de telles circonstances, aurait-on besoin de visualiser le transfert de Pierre jusqu'au Roi, ou bien le plan suivant l'entretien avec la Princesse étant la rencontre avec le Roi serait-il suffisant?

Sahkti
avatar 01/03/2005 @ 16:46:59
Mais non mais non...! Toute princesse digne de ce nom possède un portrait de son royal père dans sa chambre. De bleu, on l'impose bien dans tous les lieux publics de Belgique, alors une princesse de sang, pensez-bien, elle n'y coupe pas!
Donc le valeureux garçon, follement épris de la divine créature et sentant le courage lui monter à la tête, fait face au glorieux portrait pour lui asséner toute la force de sa détermination.

Vous n'avez jamais joué à Musclor devant votre miroir quand vous étiez petits les garçons? C'est un peu la même chose, on se sent toujours plus fort devant une image.

Bluewitch
avatar 01/03/2005 @ 17:25:37
Bolcho, l'alexandrin aiguisé, se transforme en ménestrel. Bien vu! Ce que ça sonne!
Je ne sais pas pourquoi, ceci m'a fait bien rire:

- « Mais que me voulez-vous ? » s’écrie la jeune fille,
Qui d’une main l’arrête et de l’autre s’habille,


Une version bien musicale, qui se termine en un hommage mérité.
Tistou on compte sur toi pour nous donner l'écho de Perrine!

Le petit K.V.Q. 01/03/2005 @ 18:07:35
Au Petit KVQ.

Il ose pénétrer dedans le palais d’or
Jusqu’à la chambre rose où la princesse dort.
- « Mais que me voulez-vous ? » s’écrie la jeune fille,
Qui d’une main l’arrête et de l’autre s’habille,
« Et que faites-vous là, m’envisageant toujours ? »
- « Ah belle, donnez-moi s’il vous plait votre amour ! »
- « Pour cela il vous faut accomplir une épreuve
Que mon père astucieux a voulu imposer,
Afin que tous ceux qui pour sa fille s’émeuvent
Subissent la rigueur d’un très preux chevalier ».
- « J’accepte ! cria Pierre à la face du Roi ».

Entre le moment où la Princesse informe Pierre qu'il doit accomplir une épreuve, et celui, le vers suivant, où Pierre crie son acceptation, est-il besoin de préciser qu'il se rend voir le Roi? Au cinéma, dans de telles circonstances, aurait-on besoin de visualiser le transfert de Pierre jusqu'au Roi, ou bien le plan suivant l'entretien avec la Princesse étant la rencontre avec le Roi serait-il suffisant?


Merci Tistou, de cette explication. En ce moment, j'ai un peu la tête dans le c..., donc, m'en voulez pas, c'est les vacances !!!

Encore une fois bravo pour les magnifiques alexandrins de Bolcho ! Quel talent !

J'ai hâte de voir ton prochain texte !

Yali 01/03/2005 @ 22:35:23
T'es dingue Bolcho !
Bordel comment ça marche bien les alexandrins, ça te fout la rime au pied puis la cadence est là, alors bien sûr ça t’emporte et musique.

Bolcho
avatar 02/03/2005 @ 19:50:43
Grand merci pour les avis et les encouragements.
C’est amusant : lorsqu’on fait un truc en vers, le lecteur est plus tenté de relever les parties qui plaisent. Et vous avez relevé (Lyra, Blue, Killgrieg…) les passages qui m’ont amusé le plus aussi (c’est vrai : avouons que nous sommes parfois, aussi, un peu contents de nous, surtout si c’est pour des choses un rien futiles). Mais il y a un truc que vous n’avez pas relevé, c’est :
Avant de pointer vers / cette vaste poitrine
L’épée de fer mortel / qu’il enfonça dedans
(et attention, c’est le fer qui est mortel et non l’épée, sinon, le vers ne tient plus la route)
Quand j’ai mis ces deux vers là, j’ai trouvé que c’était d’une sauvagerie sans nom. Maintenant que certains d’entre vous (hein Sahkti ?) ont fait bien pire, ça perd un peu de sa puissance bien sûr.
Un petit mot pour KVQ. C’est comme tu veux : tu peux choisir entre Sahkti ou Tistou. Cela dit, si l’on voulait chercher la petite bête, on pouvait trouver des animaux plus impressionnants que celui que tu relèves, notamment le soudain passage au présent à partir de « son souffle s’arrête », passage que rien ne justifie d’autant plus qu’on repasse au passé plus tard. Je ne suis pas très fier non plus de la rime entre le palais d’or et la princesse qui dort.
Et pour Kilis qui se paie un bon mot, cette petite anecdote. Dernièrement, je réponds à mon administration communale en France (qui veut me rayer des listes électorales sous prétexte que je ne vote plus depuis 1981) et je le fais en alexandrins (j’ai toujours été très sensible aux vertus comiques de ce mètre). Que croyez-vous qu’il advint ? Rien du tout. Z’ont pas répondu, ni en vers, ni en prose. Allez mettre de la gaieté dans les échanges épistolaires avec l’administration…

Page 1 de 2 Suivante Fin
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier