Magicite
avatar 28/01/2025 @ 12:12:50
Maline n’a pas peur, le vent sur son visage lui donne l’impression d’avoir comme des moustaches qui la chatouille au dessus des lèvres. Elle pense à Danel, elle aimerait bien qu’il l’embrassa là juste dessus ses lèvres comme dans les films, peut-être que ça ressemblerait à la sensation de course du véhicule en looping inversé. Elle ne sait pas car elle n’a embrasé personne à part ses peluches et ça ne compte pas même à son âge. Cristal sa copine aux couettes blonde elle dit qu’elle a embrassé Matis mais que c’est plus son fiancé, qu’elle est comme divorcée.
Un pleur d’enfant retentit au loin.
Elle a les yeux ouverts en grand sur les montagnes russes, la vitesse et l’inversion sur le rail précipite sa voiture au dessus de la fête foraine où les chapiteaux à rayures rouges et blanches, les autres attractions, les autres enfants et badauds, les machines à barbe à papa et chaudrons à marrons et chouchous qui fument d’une odeur grasse doucereuse de sucre s’offrent à sa vue en plongée effrénée, vertigineuse.
Derrière une roulotte de stand elle remarque une silhouette dans un long manteau noir qui pousse comme un chariot de supermarché mais avec des membres humains découpés.
Son regard et esprit perçant ne se laissent pas tromper.
Au bout du tour de manège, quand l’euphorie se dissipe comme une onde liquide passée sur sa peau elle décide d’enquêter sur cette étrangeté qu’elle a aperçue depuis les airs. Sa carte cartonnée contient encore des tours pour d’autre manèges et elle devrait se dépêcher si elle veut faire tout ce qui lui reste avant que sa Nanou vienne la chercher ‘’parce que c’est maintenant l’heure de rentrer à la maison ! Et il y a pas de discussion !’’.
Tant pis pour les autres manèges, faire la détective et découvrir peut-être un crime est aussi excitant.
Peut-être ce n’est pas un crime mais juste un employé qui range des accessoires du train fantôme mais faire la détective permettra de mettre tout ça au clair comme dirait le poulet Colombo.

Elle se faufile derrière la baraque d’un stand qui vend des gaufres et bretzels décoré à la mode alsacienne. Ornementations avec un toit en planches croisées marrons en toc de plastique; si au moins ils faisaient des gaufres à la choucroute ça ferait plus authentique pense-t-elle.
En passant par dessus une attache de remorque elle soulève sa jupe pour pas que l’ourlet s’y accroche. C’est bien par là, derrière les caravanes de machines à pinces et tapis à jetons, qu’elle a vu l’individu suspect avec son chariot de membres démembrés.
Elle se sent une Agathe Christie qui ferait son Poirot en filature.
Comme Maline n’a pas de loupe elle pioche dans sa poche de sa blouse une agate transparente et inspecte le sol s’attendant à révéler des traces ensanglantées. La bille portée devant un œil réduit et inverse l’image du sol et reflète les lumières festives et clignotantes alentour mais ne révèle aucun indice. C’est en la remettant dans sa poche qu’elle voit dans le gravier les traînées laissées par le chariot et s’écrie en son for intérieur ‘’Eurêkasimir’’.

Les traces ont l’air récente décide-t-elle et en effet des sillons parallèles de la largeur des roues indiquent une piste à suivre qu’aucun pas n’a encore perturbé.
Quelques phalènes volettent dans la lumière éblouissante d’un projecteur stroboscopique tournoyant entre l’espace de deux caravanes en faisant poudrer les poussières microscopiques de leur ailes à son passage. Des lumières rouge et bleu tremblotent amenuisées par l’espace sous les stands sur roues tandis qu’elle s’éloigne des rues éphémères de la foire où le public déambule.
Derrière les stands de manège et restauration où les câbles et tuyaux d’alimentation s’enchevêtrent tel les lianes d’une jungle s’entassent les poubelles et emballages vidés de leurs peluches, des baudruches crevées et ramettes vidées de leurs contenus. Les ombres aussi qui jouent des tours avec les yeux de Maline, montrent d‘étranges perspectives sur le monde. La gosse bien que pleine d’imagination sait bien ce qu’elle avait vu au zénith du grand huit, une personne qui poussait un chariot avec des parties humaines découpées.
L’imagination parfois peut-être gênante, par exemple quand on est une petite fille derrière l’envers du décor d’un parc d’attraction, un endroit sombre et sinistre où les cris sont étouffés par les bruits des marteaux, des carabines et des cris d’effroi joyeux des visiteurs du train fantôme à la poursuite d’un crime mystérieux…
Le vent soulevait des papiers de hot-dog et s’engouffrait froid jusqu’à ses pieds.

La trace de la charrette arrivait à une roulotte où on distinguait le grand personnage s’agitant à la fenêtre de la roulotte.
En bien ou en mal sa curiosité l’emporta su la peur. Elle se faufile contre la paroi pour y coller l’oreille et écouter sans être vue. Action qui se révéla non nécessaire car le long cri hurlant d’angoisse qu’elle entendit elle l’aurait entendu à des mètres de distance.
« Uuaaaaaaarrgghh ! »
Puis la voix sifflante de l’homme en noir :
_ « Allons Franc un peu de patience je fait du plus vite que je peux. Il ne faudrait pas vous remettre en morceau tout de suite, avec toute la peine que je me donne à chaque fois. »
La petite fille s’éloigna des traces sanguinolentes qui macule la porte de la caravane et continue à écouter trop paniquée pour penser au danger.
_ « Voilà voilà on va commencer par là. » Un coup sourd. Puis un autre qui fit trembler l’habitacle.
Son cœur battant à cent à l’heure s’entrechoque sous son thorax, comme le grincement des voitures d’un grand huit qui grincent sur leurs rails en passant à vive allure.
Elle a envie de savoir. Sous la caravane une sorte de marche-pied en fines lignes métalliques lui permet de se hisser et zyeuter par la fenêtre entrouverte à demi recouverte d’un rideau.
Lentement, très lentement elle se hisse à hauteur pour voir l’intérieur.
Pendant ce temps plus long qu’une minute les coups et autres bruits de bricolages continuent.
La voix continue son monologue:
« Les bras d’abord comme ça vous allez pouvoir m’aider. Oui je sais vous avez l’habitude et moi de ce boulot ingrat. Si seulement vous n’étiez pas sortit si tôt et aviez attendu que l’on soit sur la route cela ne se serait pas encore passé. »
Elle voit un visage à la peau tannée sous un chapeau haut de forme noir comme un corbeau dans la nuit et un manteau long aussi noir. La silhouette s’agite sur comme un mannequin de couture sur une table de la roulotte. Dans les films une musique d’opéra dramatique commencerait mais ici dans la réalité le souffle froid de la bise lui glace la nuque et ses doigts accrochés au fin rebord de la fenêtre sont comme anesthésié par le givre au-delà de la peur.
Le mannequin ressemble à une personne, l’homme en noir lui attache les bras avec des ciseaux de menuisier avec un marteau et et clous rouillés. Au milieu la figure éclairée est couturée de cicatrice comme une face de cadavre mais vivante et grimaçante.
Et sa langue sèche souffle quelque chose qu’elle n’entend pas. Tout ce qu’elle voit c’est le tronc qui remue les mains doucement à mesure que le bras est attaché. Elle baisse la tête vers son pied qui menace de la faire tomber, le temps de sentir la caravane tanguer:
« Mais oui vous avez raison, quelqu’un nous observe ».
Et un grand bras long et maigre la saisit par la fenêtre.
« Une souris ! »
Elle va crier à plein poumon d’effroi quand l’autre main que celle qui l’a tirée à l’intérieur se plaque sur sa bouche :
« S’il vous plaît ne criez pas , il ne faut pas faire peur à monsieur Franc. »
Celui dénommé monsieur Franc est déjà en train avec son bras valide de se rattacher l’autre bras.
Blême la petite ne sait où regarder et alternativement parcourt l’espace de la table dans la roulotte de forain, la face de’ l’homme en noir et la créature qui se rafistole les membres, les membres ensanglantés qu’elle a vue depuis les hauteurs du manège et l’ont conduite ici.
Il relâche son étreinte devant son regard interloqué, glisse sa main sous le col de la fille et y lit l’étiquette qui porte son nom.
« Mademoiselle Shelley laissez moi vous expliquer, mais avant tout pas de panique cela serait fatal à notre ami désarticulé. »
Manquant s’étouffer de panique, ses lèvres tremblantes bredouillent des syllabes incompréhensibles et dénuées de sens. La figure au milieu de la table soupire et semble bredouiller comme elle.
« Stop. Attention, respirez profondément. »
Lâchant Maline qui s’affaisse au sol telle une poupée de chiffon l’étrange être en chapeau et manteau noir sort de ce dernier une ficelle ou bout duquel pends un petit nounours en peluche plus petit que la paume d’une main, le genre de cadeau que l’on obtient dans les foires à la pêche au canards.
Il fait tournoyer dans l’air des ronds avec le nounours tandis que sa voix se fait apaisante à l’attention de l’être sur la table et de la fille.
« Tout va bien détendez vous, ici rien ne peut vous arriver de mal. »
Maline à les yeux qui tournoient, la voix murmure des passes magiques et le nounours semble danser comme un jeune cabri dans une rivière fraîche.
« Il n’y a que ça qui l’apaise et vous aussi, maintenant vous aller nous aider pendant que je vais vous expliquer. Il n’y a rien de sorcier. » acheva t’il avec un petit rire aigrefin.
La passe hypnotique semble faire de l’effet et les mettre tout d’eux en état hypnagogique.
Maline s’approche de la créature horrible et tous trois se mettent à le rafistoler, membre par membre, avec des ficelles, des clous et des agrafes.
« Voyez vous jeune fille monsieur Franc est ce que les humains appellent monstre ou chimère. Une créature qui ne devrait pas être mais vit quand même. Il a une maladie rare qui fait qu’à chaque fois qu’il a une émotion trop forte il s’écroule en morceau. »
« Littéralement. » fit il en désignant les morceaux épars de l’être appelé monsieur Franc.
" À chaque fois moi, Lark Puna forain de pair en fils, je doit m’occuper de lui parce que non seulement monsieur Franc part en morceau mais les morceaux s’échappent de leur propre volonté, rampent et serpentent dans un chaos désorganisé et vont se perdre jusqu’au diable Vauvert. »
Franc jeta un regard suppliant et pathétique à Maline qui lui rajustait le genou comme on accrocherait une curieuse bretelle.
« Et à chaque fois je dois chercher et récupérer chacun des morceaux de monsieur Franc partout puis une fois réunis venir les raccommoder. Attention vous trompez pas de sens avec les pieds sinon il ne pourra plus marcher qu’à reculons. »
Ils finirent de réajuster les morceaux épars.
La grande tête sous le haut de forme s’approcha de la tête de la petite pour lui souffler à voix basse de manière à ce que l’intéressé n’entendit pas :
« C’est la détresse d’un enfant qui criait parce qu’il avait perdu son ballon qui s’envolait dans le ciel cette fois, voyez comme monsieur Franc est sensible. »
Celui ci se leva et fit une profonde révérence pour remercier ses aidants.

Quelques mains des monstres dans la salle de la bibliothèque magique applaudirent ce nouveau récit tandis que la lune immortelle parcourait la nuit intemporelle de la célébration. La nouvelle chronique s’ajouta tandis que certains faisaient des pronostics pour savoir quelle créature serait l’ajout final, le nouveau venu parmi eux au club des monstres. L’opéra énochéen, bardé de guitare saturé et chants hors de ce monde, résonne encore dans la salle et l’émotion est palpable, du moins pour ceux qui en sont capables. Le lutin décrispa ses doigts après avoir achevé cette chronique numéro 6.

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