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Forums  :  Vos écrits  :  La canne

Spirit
avatar 20/08/2023 @ 18:20:32
Elle était là. Posée dans l'entrée, près de la porte. Au vue de tous mais vue par personne. L'on passait à un mètre d'elle pour se rendre dans la cuisine ou, dans l'autre sens la salle à manger. Elle était là, la canne, dans toute sa verticalité, parmi tous les objets de la pièce mais inutile maintenant depuis l'accident dans l’escalier. Son propriétaire était cloué au lit selon lui pour quelques semaines, selon le médecin pour beaucoup, beaucoup plus de temps , voir...

Elle était toute de chêne avec la poignée en demi cercle, comme tant d'autres et pourtant unique pour son propriétaire. Pour lui c'était sa canne, il la reconnaissait les yeux fermés. Toute lisse avec parfois de petits creux dû à l'usure ici et une légère aspérité là au début de la poignée. Elle avait vu tant de choses, la canne, qu'un livre n'eut pas suffi à tout conter mais était ce bien utile de raconter ce genre d'histoires. Tant de kilomètres le long des chemins et dans les sous-bois à farfouiller de ci de là un champignon ou deux ou à dégager les feuilles pour permettre à une fleur de voir l'entièreté du jour. Ce qui était indéniable c'était qu'elle manquait à la main qui la prenait chaque matin pour ne la quitter qu'au soir venu à l'heure du coucher.
Cette main toujours active bien qu'un peu ralentie par les ans et qui n'avait maintenant comme utilité que de tourner des pages de livres et aux heures ponctuelles à porter fourchette et couteau. Ces mains qui appelaient la canne comme s'il s'était agit d'une bouée, ces mains qui n’appelaient pas assez fort car la canne ne bougeait pas d'un millimètre même au souffle d'un courant d'air.

La canne avait tout de même une vie. Elle était partie d'une branche qu'avait coupée le père de la main pour en faire cet outil de marche pour son propre père qui prenait de l'âge. Son père l'avait travaillée des heures pour en faire une canne digne de ce nom et après la dernière couche de vernis l'avait offerte non sans une certaine fierté à son père qui l'avait utilisée sa vie durant pour la restituer à son fils au soir du dernier jour. Lui même en avait fait un usage quotidien par simple coquetterie tout d'abord puis par nécessite ensuite et l'avait à son tour léguée à son fils.

La main du vieux monsieur se portait fréquemment à son cœur, il ne savait pas quand mais il était certain, ou presque, que la fin passerait par là ; et dans moins de temps que ce que le médecin avait prédit et que le vieux était parvenu à entendre dans les susurrements dans le hall.
Mais pour l'instant il lui manquait sa canne, seul support de ses souvenirs qu'il était parvenu à garder de son père et sur lequel il avait rejeté toute son affection. Sa douleur au cœur disparue, mais il y laissa sa main pour ne pas laisser s'envoler le reste de ses pensées.
A l'heure dite il prit la soupe et le fromage que lui amena son épouse, il la regarda en la remerciant mais n'osa pas lui faire la demande incongrue de lui monter sa canne, ici, dans sa chambre. Pourtant il l'aurait bien aimée près de lui, pas à ses pieds oh !Non ! Elle méritait mieux, il l'aurait mise là sur sa poitrine en souhaitant qu'à cet endroit la canne aurait pu soutenir son cœur comme elle l'avait fait avec son corps pendants si longtemps.

Nathafi
avatar 23/08/2023 @ 12:23:11

Très touchant ce texte, et bien écrit !
Les formulations sont très justes, ce texte est travaillé, indéniablement !
Par delà cette canne qui fut sa compagne tant d'années, la hantise de l'immobilité doit extrêmement peser.
Cela me renvoie l'image de ma vieille maman qui, l'année de ses 95 ans, a perdu soudain cette mobilité si précieuse, et était devenue
dépendante pour presque tous les gestes du quotidien. Je la soutenais sous les bras pour les déplacements mais elle prenait toujours sa canne, avec l'espoir de redevenir autonome un jour.
Merci Spirit pour ce beau texte.

Spirit
avatar 23/08/2023 @ 16:16:11
Merci Nath. On met le reste de sa vie dans un quelques chose, qui nous l'esperons, vas nous aider faire le reste du parcourt.

Et merci pour le commentaire car cette après midi ou je l'ai écrit j'y ai mis beaucoup de moi. et je crois, humblement que c'est mon meilleur texte mais je suis ouvert à toutes contradictions. Merci en tout cas d'être là

Tistou 25/08/2023 @ 00:01:17
Je crois en réalité, cher Spirit, que tu mets beaucoup de toi dans tous tes textes (à dire vrai comme certainement beaucoup qui jettent des mots sur le papier). Celui-ci davantage, d'après toi. Tu es certainement bien mieux placé que nous pour en juger. Notamment sur le plan fictionnel. Nous pouvons le prendre pour une fiction, ou une réalité arrangée. Toi seul sait ce qu'il en est.
Si je me souviens bien tu as déclaré l'avoir soumis à la correction de ta femme ? C'est visible, même s'il reste de petites fautes résiduelles.
Sur le fond, ce texte te semble plus intense parce que tu fais référence à une émotion, une situation, bien présente dans ton coeur. Pour le lecteur, qui n'a pas cette composant émotionnelle, puisqu'il est étranger au vieux monsieur et ne sait pas si c'est "du vrai", tes textes à chute, comme Le menuisier, que je viens de lire peu de temps auparavant, est plus impactant. Parce qu'il y a comme un coup de poing à la fin. Celui-ci est plus touchant. Mais dans quelle mesure est-on dans le réel ? Le lecteur ne le sait pas.
Néanmoins, comme l'écrit Nathafi, on sent que tu as davantage travaillé ce texte (et fait travailler ta femme !) et il est de qualité.

Spirit
avatar 25/08/2023 @ 09:45:57
Merci pour tout Tistou
Ce texte est entierement fictionelle et c'est vrai que l'histoire me touche comme si je voyais l'image, ça doit être pourcette raison qu'il me touche plus particulierement.

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