Tistou 17/08/2023 @ 21:29:02
- Là, vous voyez les enfants, cet oiseau qui monte tout droit en battant des ailes et en s’égosillant …
- Il est tout gris, même pas beau !
- Oui, il n’est pas très beau, c’est vrai, mais vous l’entendez ? Vous entendez son chant ? Cet oiseau il ne chante que lorsqu’il s’élève du sol, depuis les champs jusque dans les airs, avec ce chant si particulier. C’est une alouette. Une alouette lulu. On l’entend surtout au cœur de l’été, en juillet. Moi, petit, je la voyais surtout dans les champs de blé, sur pied ou moissonnés. Elle s’élevait du sol et montait verticalement avec ce chant qui pour moi représente l’été. Et puis elle se laisse tomber brutalement au sol, puisque c’est là qu’elle se nourrit. Je dis « elle » mais c’est « il », c’est le mâle en fait qui chante.
Les deux petits enfants ne paraissent pas trop séduits par cet oiseau qui semble insignifiant avec son plumage grisâtre. Ils font la moue …

- Et là – et le petit garçon tend le doigt, tout excité – c’est une nymphe ?
Le grand-père tourne son regard vers la cascade, toute proche, qui se déverse dans un jaillissement de gouttelettes irisées dans un bassin naturel. Le flot sonore est apaisant, presqu’hypnotisant, mais ce n’est pas ce qui a attiré l’attention du petit garçon. C’est la femme au bord du bassin qui s’apprête à entrer dans l’eau.
- C’est une cascade. L’eau arrive de tout là-haut, de la montagne, et elle se précipite tout en bas …
- Non, non, je parle de la nymphe, qui va rentrer dans l’eau !
- Ah mais ce n’est pas une nymphe. Ca n’existe pas une nymphe. Ca n’a jamais existé. C’est une invention de l’homme. Ca date de très loin, des Grecs, qui aimaient bien les Dieux et les divinités.
- C’est quoi alors ? Une femme ? Elle est quasiment nue ? Il n’y a que les nymphes qui peuvent faire ça !
- Non, non, je t’assure, c’est une femme qui s’est déshabillée pour se baigner. Sous la cascade …

- Ca c’est la forêt. Une forêt d’altitude même, une forêt de montagne. Les arbres sont des épicéas et ils sont tous imbriqués dans la pente, les rochers. On y trouvait beaucoup de choses : des champignons, au printemps puis en été, en automne, et des animaux ; des écureuils, des chevreuils, des sangliers et des oiseaux. Beaucoup d’oiseaux.

- Des lulus, s’exclame la petite fille ?

- Pas des alouettes lulu, non. Des pics, de grands oiseaux qui s’accrochent aux troncs d’arbres et les piquent de leur long bec pour y trouver des insectes, des geais, de beaux oiseaux colorés, très bruyants, des chouettes …
Il est interrompu par une sirène.
- Les enfants, il faut qu’on y aille. Ecoutez, la sirène …
Les voilà gagnant le sas de dépressurisation et les vestiaires où ils vont pouvoir réenfiler leurs combinaisons thermiques permettant d’affronter la température extérieure.
Tout autour d’eux, hommes, femmes et enfants s’emploient à enfiler tranquillement leurs combinaisons et se mettent à ressembler à des scaphandriers.
- Ces reconstitutions 3D sont vraiment magnifiques de réalisme, s’écrit une femme plus toute jeune. On s’y croirait.
- Et cette atmosphère pressurisée …, pouvoir se promener sans protections … quel luxe ! renchérit son voisin.
Le grand-père termine l’équipement isolant des deux petits-enfants, vérifie le sien et s’assure que les micros et récepteurs sont bien ouverts, qu’ils vont pouvoir communiquer.
D’un pas pesant, ils sortent à la suite des autres vers la sortie de l’immense immeuble – musée. L’air est brûlant, mais leurs combinaisons leur permettent de l’ignorer. Un vent électrique balaie l’espace et la rue bordée de bâtiments rectangulaires, tous semblables et comme aveugles.
- Notre métro se trouve en B5, premier sous-sol, dans ce bâtiment là-bas, montre-t-il du doigt.
- Dis grand-père, des alouettes tu en as vraiment vues, ce n’est pas une invention des Grecs aussi ? s’enquiert le petit garçon.
Il soupire :
- Oui, tout petit enfant, il y avait des champs, des champs de blé et de plein d’autres choses. On pouvait s’y promener et les alouettes s’envolaient sous nos pas en chantant. Exactement comme ce que vous avez vu et entendu.
- Et tu n’avais pas de combinaison ? Tu pouvais te promener presque … tout nu, comme la nymphe ?
- Absolument. Il ne faisait pas si chaud et on pouvait porter juste de petits morceaux de tissu. Ca suffisait.
- Il n’y avait pas de cascades quand même ? Ca c’est une invention ? Pour faire joli ?
- Si, si. Ca parait incroyable mais l’eau coulait sur toute la Terre et ça faisait des ruisseaux, des rivières, et même des cascades, en montagne. Ce n’était pas comme maintenant où la seule eau qu’on trouve est dans des containers, des bassins souterrains ou des bouteilles !
Les deux petits enfants sont médusés. Ils essaient d’imaginer leur grand-père folâtrant à moitié nu à travers des cascades poursuivi par des alouettes lulu …
- Par ici, les enfants, sortez vos badges, voici le B5. Et surtout vérifiez bien le niveau d’oxygène de votre respirateur.
Les couloirs tristes succèdent aux couloirs tristes. La direction de leur zone de résidence est indiquée, ils n’ont qu’à suivre les indications et progresser comme la foule indifférente qui les entoure.
- Nous y serons sous peu, tâchez d’être patients …
- Mais … les arbres. Ca existait vraiment ? Et les forêts aussi ?
- Oh oui. Mais tout a grillé maintenant. Je ne crois pas qu’il en existe encore sur Terre. On utilisait même la partie basse des arbres – ça s’appelait le tronc – pour faire des meubles ou comme matériau de construction.
- C’est ça qu’on appelait du bois ? J’en ai déjà vu, j’en ai déjà vu, s’égosille la petite fille. Mais il parait que ça peut brûler ?
Le grand-père soupire. Encore.
- Ca a bien été ça le problème …

Radetsky 17/08/2023 @ 21:58:10
Misère… et émotion à suivre les questions de la petite fille.
Le triste décor du théâtre de la vie qui sous-tend ton récit est celui qui nous pend au nez.
Tistou, on devrait faire lire ton essai aux sceptiques de tout bord. Et aux petits enfants….
Félicitations !!

Frunny
avatar 17/08/2023 @ 22:02:45
J’ai failli arrêter à l’arrivée de la nymphe car ça devenait trash et puis j’ai poursuivi avec mon scaphandre pour éviter les radiations.
Du « post-Apo » ? Non…on y est presque.
Merci Tistou pour ce doux moment de poésie. Tu aurais quand même pu faire disparaître cette espèce nuisible plutôt que de la voir assister au crash total !

Spirit
avatar 17/08/2023 @ 22:07:05
Purée toi et Nath avaient décidé de me faire passer une nuit pleines de cauchemards...
Ton texte est trés bien rendu Tistou, hélas comme dit Rad c'est ce qui nous pend au nez, une visite de certaines forêt aux climatoseptique ne serai pas de trop.
C'est un texte fort qui me rapel mes livres ( étant jeune ) chez présence du futur et qui présentaient des situations pareil, on nommé à de la science-fiction et maintenant comment vas-t'on l'apeller?

Nathafi
avatar 18/08/2023 @ 10:30:32

Frisson vers la fin, pourtant ça démarrait bien, tu as choisi de terminer sur une note des plus tragiques...
Ton texte est angoissant, Tistou, même s'il repose sur de tristes réalités, je n'ose penser que tout cela n'existera plus qu'en 3D !
Souhaitons que ce texte ne soit pas prémonitoire !

Marvic

avatar 18/08/2023 @ 11:35:35
Où on fait connaissance avec Tistou grand-père...enfin, c'est ce que je croyais.
J'espère que ton petit-fils ne deviendra pas le grand-père de l'histoire, dernier témoin d'un monde disparu.
Très belle et tellement triste histoire. Mais ce n'est que de la science-fiction...

Pieronnelle

avatar 18/08/2023 @ 14:00:00
Oui ,beau texte de science-fiction plein de poésie. J'ai beaucoup aimé les relations grand-père petits enfants. Je pense que ces relations seront possibles encore longtemps sur notre bien-aimée Terre ! Et qu'il n'y aura pas d'espèce "nuisible"...Car cette espèce sait respecter la Nature ; si elle fait des erreurs elle est capable d'un respect total. En Suède il y a des forêts à perte de vue, ailleurs des montagnes, ailleurs des cascades, ailleurs...il faut regarder !
Ce pessimisme est porteur de tant de peurs et de depressions surtout chez les jeunes, il n'y a pas que des élans de révolte...c'est ca le plus triste !
Mais la science-fiction a son rôle depuis longtemps, elle est source de reflexion tout en laissant des parts d'espoir...
Joli texte...

Martin1

avatar 18/08/2023 @ 22:21:00
C'est rien mais je trouve adorable la petite fille qui dit "des lulus ?" on imagine bien comme ce nom doit être mnémonique pour un enfant...

Je trouve atroce la perspective d'une enfance sans arbres, sans cascade, sans été, sans maillot... je trouve cela littéralement terrifiant
Tu nous fais faire un voyage dans un pays qui j'espère, n'existera jamais ! Notre Terre souffre c'est vrai. C'étaient aux Anciens d'enseigner à leurs enfants le respect et l'amour de la nature. Mais dans ton texte, il est trop tard... et ces horribles scaphandres qui gachent tout en plein milieu!
Le style est léger, habile, les dialogues très vivants, bravo!

Lobe
avatar 31/08/2023 @ 21:28:52
Ce texte générant une terrible tristesse fait rejaillir celle qui me prenait, petite, en regardant le clip de la chanson de Mickey 3D, Il faut que tu repsires. Un remix était sorti l'année dernière, pour réactualiser la chanson et la faire connaître aux plus jeunes. Riche idée, étant donné que cette réalité alternative est un des possibles qui nous guette (si on est encore là pour muser au musée !). Mais je m'écarte de ton texte, Tistou, dont le début est doux. Ça donne envie de croiser des lulus ! Et de prendre le temps de regarder ce qu'il y a autour. Et de te relire, surtout la première moitié - pas que la seconde soit mal écrite, juste elle file un maxi bourdon.

Magicite
avatar 01/09/2023 @ 09:40:06
Quand les cascades et les forêts seront des mythes aussi lointains que les nymphes. Notre futur proche?
La sirène qui gémit dans ce qu'on devine, reste le souvenir c'était mieux avant. Le climat global, la pluviométrie et les sécheresses...en tout cas. Il y a plus que ce qui est dit sous ce naif échange générationnel qui se laisse deviner: ce qu'il y a entre ce passé proche et notre présent.
Je reviens de qques. jours de bivouac dans le Mercantour, pas vu de lulus mais peut-être je ne sais pas les reconnaître. J'ai vu le "Lac vert" qui est à sec, vision impresionnante et bien dommage qui fait imaginer le même lieu avec de l'eau où est maintenant une large étendue de boue craquelée.

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier