Radetsky 23/07/2023 @ 12:47:08
(Ou bien comment l'innocence de l'enfance peut prendre soudainement fin....Ämes pudibondes, tournez la page !!)

Christiane P. fut à l’origine de la première émotion violente qu’il m’a été donné d’éprouver pour une personne du beau sexe, cette fois non plus réduite à une image, mais hic et nunc en chair et en os.

Je devais avoir neuf ans .

Un soir, j’étais dans la cuisine des “patrons” en compagnie de Maman qui finissait son service, alors que les P. s’apprêtaient à sortir pour une circonstance justifiant qu’ils revêtissent une tenue “de soirée”. La porte intérieure s’ouvrit, laissant le passage à Monsieur, mué en un gros manchot empereur tout noir et blanc de son “smoking”, à cette réserve près qu’il n’existe pas de manchot empereur frisotté à demi-chauve, et enfin à Madame...

Ce fut comme un coup de poing dans l’estomac, suivi d’une honte subite et inexplicable d’avoir à voir. Rougeur, confusion, désir violent cependant de regarder encore et encore : elle arborait, bras et épaules nus, un superbe décolleté qui ne laissait rien ignorer des trésors dont disposait ce gros plouc du négoce, outre une coiffure, un maquillage et des bijoux mettant en valeur et le blond des cheveux et l’ovale du visage, les yeux, la bouche, etc, etc....

J’ai eu brusquement le sentiment confus que ce que je voyais invitait à l’un de ces voyages dans l’imaginaire et dans le concret, dont un enfant ne percevait que le manifeste innommable.

A savoir, non pas tant le scandale de la nudité franchement esquissée car à demi exposée tel un appât, mais aussi, la nécessité pour moi, devant témoins, d’avoir à endosser seul la responsabilité d’une brusque tentation-transgression, et l’aveuglante évidence d’une tension vers une suite, une continuité, d’autant plus forte qu’elle n’était qu’esquissée, sous entendue. La même scène, vécue uniquement entre elle et moi, quelques années plus tard aurait-elle penché vers plus d’apaisement...ou plus de de braise ? Question idiote, n’est-ce pas....

Ces épaules, cette poitrine, couronnaient comme la corolle d’une fleur le reste de la personne. Car elle avait un corps parfait qu’elle ne se gênait d’ailleurs pas d’exposer pour le bronzer avec soin, en bikini, les jours d’été tandis qu’elle reposait dans une chaise longue plantée au beau milieu du jardin où je me revois encore un peu plus tard, tournicotant, l’air de rien, tout en jouant, afin de pouvoir furtivement mais avidement braquer mes yeux surtout sur l’entre-jambes...: mais que cachait donc cette petite culotte ?

Toutes ces formes provocantes, triomphalement jetées aux regards, signifiaient et mon ignorance, et un interdit, et un désir brusquement éveillé. Je n’ai jamais oublié cette scène où mon désarroi fut nettement perçu avec une ironie légère d’ailleurs par tous (sauf peut-être par ma mère ), ce qui ne fit qu’aggraver les choses. Mme Peschard, s’il m’en souvient bien, s’amusa un tantinet à vouloir me “mettre à l’aise” en feignant devant mon trouble manifeste, une incompréhension où il devait entrer aussi une bonne dose de malice, voire une secrète satisfaction ; qui sait...?

Nous n’étions pas alors gavés de starlettes dénudées, imprimées ou télévisuelles, sans parler de l’étalage d’accessoires explicites, et les images de femmes que contenaient nos illustrés auraient mérité le nihil obstat du Saint Office pour leur inocuité à l’égard de nos jeunes âmes.
Maman, elle, avait et aurait toujours eu l’air d’une...maman.
Aucune femme, dans la rue, à l’école ou ailleurs, ne donnait justement l’impression d’exprimer autre chose d’elle, même par la coiffure, les talons hauts ou la voix plus haut perchée. Le sexe, qu’il fût autre ou non, sous toutes ses manifestations, était un non-dit, un tabou, une chose sale dont il n’était même pas question qu’on l’évoque même en termes voilés. Alors, cette apparition...! Pour la première fois je voyais exposé certes partiellement mais sans honte ni retenue, ce qu’une femme cachait soigneusement d’ordinaire ; exposé volontairement, avec l’outrageant aplomb de qui sait séduire, là, à portée de regard et de main (bas les pattes, jeune impertinent...!). Il existait donc autre chose, un possible, une autre relation entre les êtres que les banalités du monde concret, bref, l’autre sexe était bien autre puisque capable de révéler aussi violemment sa singularité, bien éloigné désormais des fades et pâles fictions qui le condamnaient d’ordinaire à une grisaille convenable.

Qui sait d’ailleurs aujourd’hui, si cette image devenue soudain érotique apparue au détour d’une page dans le “Journal de Mickey”, n’a pas acquis une telle charge sensuelle qu’après l’évènement que je viens de décrire...? Mais j’en doute : le souvenir des pulsions ressenties dans chaque cas plaident plutôt pour une postériorité du “show” involontaire de Mme P., tout comme des coups d’oeil furtifs et de plus en plus avides que je jetais tels des dards ou des hameçons féroces sur ses appâts, alors qu’elle s’exposait en bikini dans le jardin.

Avec le recul, je me demande - et ceci n’est qu’une hypothèse - si la comparaison ne s’est pas d’une certaine manière plus ou moins brusquement imposée à moi, entre Maman et Christiane P., doublée du désir trouble et confus que ces deux êtres si dissemblables n’en fissent désormais plus qu’un. Mais en réalité j’avais sans doute brusquement jeté aux orties la tunique d’Oedipe, assumant désormais clairement quoique sans lexique encore pour en déchiffrer la dialectique, la dichotomie mère-femme, et la balance penchait ostensiblement sinon définitivement du côté où il fallait.

Que voulez-vous : c’était la première véritable femme adulte dont il m’était possible de détailler l’anatomie d’assez près et elle était belle ! Et le sentiment général qu’elle suscitait en moi en une pareille occasion, sans que je pusse le nommer, s’apparentait bien à un désir, désir de contact, d’odeur, de texture, de chaleur, de cette peau et de ces formes, enfin délivrées, exposées, libérées de tout écran, de toute dissimulation, éloignant toute mutilation du regard comme des autres sens .

Je me dis après coup qu’avec dix ans de plus à mon actif, j’aurais assurément tout fait pour tresser une tiare de superbes cornes au goret scandinave qui accompagnait indûment cette créature superbe...Ah ! Je n’eusse pas même pu nommer ces premières affres du désir mais, si j’en puis juger aujourd’hui, au travers de la profondeur, de la vigueur et de la nostalgie du souvenir que j’en ai conservé, celà me reste encore comme l’angoisse de Richard III offrant son royaume pour un cheval...A cette différence près que le cheval était bel et bien là, devant moi, mais j’ignorais encore que l’équitation pût exister..! Pardon, Mesdames, pour cette image explicite, inséparable du culte rendu à vos charmes.

Nogent aura signifié l’irruption de la femme dans mon existence, en tant que sexe complémentaire, différent, mystérieux et désirable.

Et je n'ai jamais, depuis, cessé d'en rechercher et cultiver les délices....

Spirit
avatar 24/07/2023 @ 11:10:15
En ces temps de chasse à l'homme je te felicite Rad de mettre sur le papier ce que la plupart des hommes on ressentis lors de leurs premier émoi sexuel. Ce n'est pas un manque de respect que de ressentir ce que la nature nous fait. J'aime l'evocation de ce souvenir qui en rappel bien d'autres.

Radetsky 24/07/2023 @ 13:16:01
En ces temps de chasse à l'homme je te felicite Rad de mettre sur le papier ce que la plupart des hommes on ressentis lors de leurs premier émoi sexuel. Ce n'est pas un manque de respect que de ressentir ce que la nature nous fait. J'aime l'evocation de ce souvenir qui en rappel bien d'autres.

Eh oui ! Que veux-tu, les pudibonds pourront toujours se voiler la face, mais il est des moments dans l'existence qui marquent à jamais, tant ils sont inattendus et forts. Je me plais à en rappeler les cironstances.

Il en va de même lors de la découverte soudaine et première de telle ou telle merveille, qu'on reçoit comme une Election.

Ainsi "mon" premier sommet gravi fin septembre 1972, atteint à 18 heures après 12 heures d'une ascension éreintante sur rochers, glace, neige, qui nous vit mon compagnon de cordée et moi-même toucher la croix sommitale de la Presanella à 3560 mètres d'altitude...brusquement l'horizon jaillit, baigné à l'ouest dans les ors du couchant se répandant sur la myriade d'autres cimes soudain révélées dans toutes les directions de l'espace...quelle claque ! Ce n'est pas tant le sentiment de la "conquête" (on ne "conquiert" pas un monstre de rocher et de glace vieux de millions d'années et qui nous survivra d'autant !), que la joie, la joie pure d'avoir voulu, pu et su accueillir cette vision, telle l'aube de la Création. On était bouche bée, ivre, le coeur débordant de gratitude pour cette vie qui nous avait permis ça !

Je pourrais évoquer de même toutes les "Epiphanies" au cours desquelles la Beauté me fut révélée...en littérature (Les Misérables, lus à 14 ans), en musique (l'aria de la suite en ré de Bach), en peinture (un visage de femme peint par Murillo), etc. etc.

Et on éprouve ainsi le besoin de partager ces instants. Nous sommes tous, sur CL, autant de révélateurs du Beau grâce au témoignage de la critique. Amen ;-))


Tistou 03/09/2023 @ 16:10:59
Forcément nous avons tous connu la "fin de l'innocence" dans une situation, similaire au pas à celle que tu décris de manière talentueuse. Et heureusement que nous connaissons tous cette phase, qui marque d'une certaine manière la fin de l'enfance, (de l'innocence ?).
En fait je ne puis parler là que du point de vue d'un homme, puisque organiquement homme je suis. Le désir masculin est quelque chose de connu, de référencé, potentiellement visible ! J'imagine qu'il y a quelque chose de similaire pour les filles mais j'ai plus de mal à en imaginer contexte et réalité.
Il n'y a pas eu d'attentat à la pudeur dans ce que tu nous relates même si l'émotion que ressent le petit garçon s'écarte d'une "normalité des situations", c'est le propre d'une révélation de nous sortir de l'ornière de la normalité. Et il faut bien en passer par là.
Difficile de croire que ce genre d'éveil n'est qu'une question hormonale. L'intellect y est pour beaucoup et si quelque chose peut nous faire pencher sur l'hypothèse d'un Dieu créateur, c'est justement cet intellectualisation d'évènements ou de situations. Difficile de croire que l'évolution depuis le stade monocellulaire jusqu'à nos existences d'êtres si sophistiqués pût conduire à cette mise en oeuvre de l'intellect ...
Et malgré ton incipit, personnellement je te déclare ... innocent !

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier