Marvic

avatar 04/07/2023 @ 23:05:56
Paragraphe 1
« t’as de beaux yeux tu sais »… combien de fois Anna a-t-elle entendu cette phrase. C’est avec nostalgie qu’elle se souvenait combien Eduardo aimait lui dire. Mais c’était il y a longtemps. Trois ans étaient passés depuis la dernière fois qu’elle avait entendu ces tendres mots.
Quelles années terribles… le peuple espérait un peu de calme. La mort du roi n’avait pas calmé les ambitions de la France qui déclarait la guerre sur tous les fronts. Et n’avait pas calmé la colère des pays d’Europe.
Mais celle qui touchait le plus Anna, c’était la guerre contre l’Espagne. Lavandière, les événements l’avaient amenée à Paris, l’obligeant à laisser dans ses Pyrénées natales son fiancé Eduardo. Les nouvelles étaient rares et Anna s’inquiétait pour Eduardo, soldat du roi d’Espagne.
Les nouvelles circulaient beaucoup autour des lavoirs. Toutes ces femmes bavardaient en travaillant, parlant de leurs employeurs et certaines fréquentaient des maisons bourgeoises, près du pouvoir. Ces femmes domestiques, invisibles chez les nobles comme chez les bourgeois, aussi ignorées et méprisées malgré les changements de régime.
La plupart d’entre elles étaient résignées à leur sort, mais Anna était trop jeune, son caractère impétueux l’empêchait d’accepter le manque de respect de ces nouveaux dirigeants.
Quand elle apprend l’entrée de l’Espagne dans le conflit contre la France, elle prend une décision insensée : rejoindre et retrouver Edouardo.
Déterminée, elle emprunte discrètement dans le panier de sa voisine un habit de jeune homme, retourne dans sa petite chambre, coupe ses cheveux, et prend la route. Elle connaît les épreuves qui l’attendent, sait le peu de chances qu’elle a de réussir. Aux portes de la ville, elle arrive à se fondre dans un groupe de marchands ambulants qui sillonnent le pays. La marche est agréable, ses compagnons de voyage sont sympathiques et bavards, les lieues s’enchaînent. Les haltes sont toujours les bienvenues ; quelquefois une auberge, d’autres une grange avec un simple hamac. Malgré l’incertitude de l’avenir, Anna vit de bons moments et au bout de plus d’un mois de marche, elle aperçoit enfin ses montagnes.
Il va bientôt être le moment de se séparer de ses compagnons. La voilà à Perpignan. Partout des soldats qui rejoignent le fort. Des soldats français.
Doit-elle entrer dans le fort essayer de s’informer ou essayer de rejoindre les troupes espagnoles ?
Elle ne veut pas échouer si près du but. Et prend le risque d’entrer en se mêlant aux soldats rentrant.
Mais à peine entrée dans l’enceinte, un vieil homme sur le perron la remarque et l’interpelle.
Elle voit tous ses rêves s’envoler. Il lui demande de la suivre à l’intérieur et l’emmène à l’écart. Le vieux général n’est pas dupe. Anna raconte son histoire au général Flers. La victoire qu’il vient d’obtenir le rend magnanime.
Alors, il lui révèle qu’il y a de nombreux prisonniers espagnols dans le fort, et décide de chercher des Eduardo.
Et l’incroyable se produit, Anna retrouve son compagnon, sale, amaigri, mais vivant.
Le vieux général ouvre une petite porte dérobée, détourne les yeux, et laisse les amoureux partir.


Paragraphe II
Il ne restait pratiquement plus rien de la ville du Havre. Bombardée pendant des jours, le port détruit, la population décimée, il fallait maintenant tout reconstruire. Auguste Perret avait dessiné les plans du nouveau centre ville, avait décidé d’un mode de construction rapide et innovant et d’un matériau facile, le béton. Mais si ces messieurs avaient de beaux projets, de belles idées, il leur manquait juste de la main d’œuvre.
Arrivèrent par centaines des ouvriers, des maçons d’Espagne ou du Portugal. Hébergés dans des baraquements en périphérie de la ville, un seul point d’eau par baraquement, un hamac pour lit, ceux qui étaient chargés de construire ces immeubles qui feraient l’originalité de la ville étaient les oubliés, peu respectés par tous les décideurs.
Alvaro travaillait 7 jours sur 7, pressé de gagner assez d’argent pour rejoindre Anna. Mais au fil des semaines, quelle ne fut pas sa surprise de voir son épouse arriver à la porte du baraquement. Cela faisait moins de 6 mois qu’il était parti, mais il était hors de question pour elle de rester à attendre ; elle avait hérité du caractère d’une ancienne aïeule qui avait fait le chemin inverse. Elle avait même réussir à amadouer un vieux général qui avait accepter de la faire monter sur un navire qui remontait vers la ville.
Mais le chef de chantier n’était pas du même avis, la présence de la jeune femme était interdite.
Il appela un architecte, pensant qu’à deux, ils arriveraient à convaincre Anna de retourner en Espagne. C’était mal la connaître. Elle se révolta, rappela le périple de cette autre Anna, et des souffrances endurées par toutes les femmes depuis la nuit des temps. Quand elle se tut, ils baissèrent les yeux...

Nathafi
avatar 05/07/2023 @ 13:57:47

Bravo Marvic !
Joli texte, la pression de l'exo en direct ne se ressent même pas, tant tu as semblé être à l'aise ! Inspirée, dirais-je, malgré les consignes qui partaient dans tous les sens.

Femmes de caractères, ces Anna, qui parcourent des centaines de kilomètres pour retrouver leur cher et tendre, c'est beau !!! La première est une sacrée marcheuse dis donc ! Des femmes qui prennent en main leur destin.
J'aime leur côté romanesque !!




Radetsky 05/07/2023 @ 14:03:12
C'est adorable...bravo !

Spirit
avatar 05/07/2023 @ 15:27:41
Tout y est, les consignes ne viennent pas " comme un cheveu sur la soupe " le texte forme un tout concret et nostalqique, l'ensemble est attachant. J'aime beaucoup.

Lobe
avatar 05/07/2023 @ 21:28:42
Les fils des deux récits se mêlent bien, l'allure au pas de course du premier paragraphe met une dynamique agréable, on court sur les talons de ces deux femmes déterminées, ça pulse et ça convainc !

Pieronnelle

avatar 05/07/2023 @ 21:41:29
Belle histoire qui se déroule si facilement que les contraintes ne se voient pas. C'est dans la tradition des héroïnes historiques que l'on retrouve dans certains romans d'aujourd'hui. On sent à peine la rupture entre les deux époques tellement le destin de ces deux femmes est proche de par leur volonté, leur persévérance et surtout leur amour pour leur homme.
Ah les femmes !
Merci Marvic pour cette hommage !

Martin1

avatar 06/07/2023 @ 18:20:39
Intéressantes histoires d'amour à mi-chemin des deux pays que j'aime le plus au monde.
Belle itinérance de femmes décidées à changer leur sort, à retrouver leur amour, et par là-même, leurs propres racines.
Le style est facile, souple et captive sans difficulté.
Bravo !

Tistou 07/07/2023 @ 07:58:09
Sentimentale, Marvic ? Et pas qu'un peu ! Double happy end dans les deux époques et gloire aux femmes aimantes. Des fâcheux feraient remarquer que ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie, mais précisément, nous oeuvrons dans un monde meilleur que la vraie vie. Dans celui, merveilleux, des exos de C.L. !
Sur la mise en oeuvre des deux histoires, ça se lit sans heurts et sans sursaut. C'est une réussite. Des hamacs à en veux-tu en voilà, du vieux général ... Où comment créer quelque chose qui a de l'allure avec des bouts de ficelle !
Mais dis voir, c'était bien ta première participation à un exo en direct ?

Marvic

avatar 07/07/2023 @ 18:29:39
Pas trop surprise de voir Tistou m’attribuer le choix du sentiment :-)
Bien sûr, j’ai pensé à l’amour, trop simple, puis à celui qui régit ma vie, le respect, avant de choisir la nostalgie, sentiment que je ne dois pas être la seule à éprouver et puis je trouve ce mot très joli.
Alors au vu des deux époques douloureuses choisies (et je fais l’impasse sur l’actualité), j’ai construit mes textes autour de ces trois sentiments.
@Tistou.
C’est le deuxième essai. Au fil du temps, j’arrive à moins stresser. Ma participation à un atelier mensuel de Jeux de mots y est sans doute pour quelque chose.
Mais surtout, comme vous l’avez dit, le plaisir de faire « groupe » et de ranimer CL.
Merci à Spirit et bien sûr Tistou, qui, même s’il lui arrive (rarement) de baisser les bras, répond toujours présent.
Et merci à tous pour vos sympathiques commentaires.

Darius
avatar 07/07/2023 @ 20:00:16
Bravo .. le meilleur texte . On voit que vous avez l’habitude d’écrire . Et vous devez bien connaître l’Espagne. Vraiment très intéressant ces épisodes espagnols dont j’ignorais tout à fait qu’ils avaient eu lieu à ces deux époques .
Tout est parfait

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