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- T’as de beaux yeux tu sais.
Paul, du haut de ses quinze ans, fixait hardiment Virginie, sa petite voisine, celle qui habitait la hutte d’à côté. Mais Virginie semblait ne pas écouter. Elle dessinait dans le sable des figures hasardeuses avec son bâton, songeuse. Les palmes bruissaient doucement au-dessus d’eux, s’interposant entre le bleu sans discussion de ce ciel tropical et les deux enfants.
- Virginie ! T’as de beaux yeux tu sais !
Elle leva brièvement les yeux vers lui puis de son pied effaça les signes cabalistiques qu’elle avait tracés. Elle ouvrit enfin la bouche …
- Tu te rends compte qu’ils veulent l’appeler maintenant « Réunion ». Elle ne s’appellera plus « Ile Bourbon». Et nous, notre « Ile de France », qu’est-ce qu’ils vont en faire ? C’est le seul lien qu’il nous reste avec le pays !
Depuis que leurs mères respectives étaient venues s’installer sur « l’Ile de France », Paul et Virginie avaient toujours vécu côte à côte, avaient été élevés ensemble et se considéraient comme frère et sœur. Mais si Paul s’intéressait aux yeux de Virginie – qu’elle avait fort beaux, par ailleurs – Virginie avait une conscience, qu’on pourrait qualifier de politique, déjà bien marquée. Et en cette année 1793, la nouvelle avait débarqué avec le dernier vaisseau venu de France ; l’île voisine, « l’Ile Bourbon », allait être rebaptisée « La Réunion ».
Et Virginie s’échauffait :
- Qu’est-ce qu’elle va devenir notre « Ile de France » ? Et pourquoi ?
Paul, qui devant les vitupérations de sa compagne, avait laissé tomber ses yeux, s’absorba dans la contemplation du lagon, des vagues qui venaient se briser sur le récif corallien, là-bas avant la pleine mer …
Se préoccuper du nom de « l’Ile Bourbon » …, il se demandait comment c’était possible tant il y avait de beauté autour d’eux : cette nature, cet océan, ce ciel, les yeux de Virginie …
En cette soirée de Juillet 1949, le vieux général, passablement excentrique, se balançait mollement dans un hamac surréaliste, installé dans son appartement du XVème, à Paris. Il avait conservé de son enfance à La Réunion l’habitude du hamac et recevait même chez lui les visiteurs allongé voluptueusement, à la mode tropicale. C’était le cas justement avec ce réalisateur de film et son assistant qui venaient le consulter dans le cadre, précisément, de son expérience des îles Mascareignes. Ils avaient le projet d’exploiter l’histoire de Paul et Virginie et d’en faire un film romantique, mais surtout commercial. Ils avaient expliqué que la France sortait de la guerre, qu’il fallait élever le moral des Français, les faire rêver, et qu’une belle histoire comme celle de Paul et Virginie … Ils voulaient de l’authenticité mais, n’ayant jamais dépassé Marseille au sud, ils venaient chercher auprès du maintenant retraité général confirmation de la justesse de leurs idées.
Question justesse, ils n’en prenaient pas le chemin. Le vieux général fulminait.
- Qu’est-ce que vous me racontez ? Une Virginie aux idées politiques, qui se préoccuperait du nom de « l’Ile Bourbon » ou de de «l’Ile de France » ? Un Paul, futile, qui ne penserait qu’aux beaux yeux de Virginie ? C’est mal connaître les Tropiques. Et les adolescents. Ces deux-là étaient amoureux, et croyez-moi, dans le cadre idyllique des îles là-bas le nom de « l’Ile Bourbon », c’était forcément le cadet de leurs soucis. A fortiori de Virginie !
- Il va falloir revoir votre copie, Messieurs !
Les messieurs en question étaient fascinés par ce général, se balançant doucement dans son hamac et si plein de bon sens. Ils le regardaient, bouche bée.
A son invitation, un ton au-dessus, de revoir leur copie, ils s’avouèrent vaincus. Ils baissèrent les yeux …
Paul, du haut de ses quinze ans, fixait hardiment Virginie, sa petite voisine, celle qui habitait la hutte d’à côté. Mais Virginie semblait ne pas écouter. Elle dessinait dans le sable des figures hasardeuses avec son bâton, songeuse. Les palmes bruissaient doucement au-dessus d’eux, s’interposant entre le bleu sans discussion de ce ciel tropical et les deux enfants.
- Virginie ! T’as de beaux yeux tu sais !
Elle leva brièvement les yeux vers lui puis de son pied effaça les signes cabalistiques qu’elle avait tracés. Elle ouvrit enfin la bouche …
- Tu te rends compte qu’ils veulent l’appeler maintenant « Réunion ». Elle ne s’appellera plus « Ile Bourbon». Et nous, notre « Ile de France », qu’est-ce qu’ils vont en faire ? C’est le seul lien qu’il nous reste avec le pays !
Depuis que leurs mères respectives étaient venues s’installer sur « l’Ile de France », Paul et Virginie avaient toujours vécu côte à côte, avaient été élevés ensemble et se considéraient comme frère et sœur. Mais si Paul s’intéressait aux yeux de Virginie – qu’elle avait fort beaux, par ailleurs – Virginie avait une conscience, qu’on pourrait qualifier de politique, déjà bien marquée. Et en cette année 1793, la nouvelle avait débarqué avec le dernier vaisseau venu de France ; l’île voisine, « l’Ile Bourbon », allait être rebaptisée « La Réunion ».
Et Virginie s’échauffait :
- Qu’est-ce qu’elle va devenir notre « Ile de France » ? Et pourquoi ?
Paul, qui devant les vitupérations de sa compagne, avait laissé tomber ses yeux, s’absorba dans la contemplation du lagon, des vagues qui venaient se briser sur le récif corallien, là-bas avant la pleine mer …
Se préoccuper du nom de « l’Ile Bourbon » …, il se demandait comment c’était possible tant il y avait de beauté autour d’eux : cette nature, cet océan, ce ciel, les yeux de Virginie …
En cette soirée de Juillet 1949, le vieux général, passablement excentrique, se balançait mollement dans un hamac surréaliste, installé dans son appartement du XVème, à Paris. Il avait conservé de son enfance à La Réunion l’habitude du hamac et recevait même chez lui les visiteurs allongé voluptueusement, à la mode tropicale. C’était le cas justement avec ce réalisateur de film et son assistant qui venaient le consulter dans le cadre, précisément, de son expérience des îles Mascareignes. Ils avaient le projet d’exploiter l’histoire de Paul et Virginie et d’en faire un film romantique, mais surtout commercial. Ils avaient expliqué que la France sortait de la guerre, qu’il fallait élever le moral des Français, les faire rêver, et qu’une belle histoire comme celle de Paul et Virginie … Ils voulaient de l’authenticité mais, n’ayant jamais dépassé Marseille au sud, ils venaient chercher auprès du maintenant retraité général confirmation de la justesse de leurs idées.
Question justesse, ils n’en prenaient pas le chemin. Le vieux général fulminait.
- Qu’est-ce que vous me racontez ? Une Virginie aux idées politiques, qui se préoccuperait du nom de « l’Ile Bourbon » ou de de «l’Ile de France » ? Un Paul, futile, qui ne penserait qu’aux beaux yeux de Virginie ? C’est mal connaître les Tropiques. Et les adolescents. Ces deux-là étaient amoureux, et croyez-moi, dans le cadre idyllique des îles là-bas le nom de « l’Ile Bourbon », c’était forcément le cadet de leurs soucis. A fortiori de Virginie !
- Il va falloir revoir votre copie, Messieurs !
Les messieurs en question étaient fascinés par ce général, se balançant doucement dans son hamac et si plein de bon sens. Ils le regardaient, bouche bée.
A son invitation, un ton au-dessus, de revoir leur copie, ils s’avouèrent vaincus. Ils baissèrent les yeux …
C'est une bonne exploitation de l'histoire que ce texte. Il nous entraine sous le soleil et nous ramenent vers une réalité plus matérielle. Les personnages sont agréables à suivre et j'attendrait une suite à l'une comme à l'autre. Du trés bel ouvrage, agréable à lire.
Chapeau ! ça mérite un verre de...Bourbon. C'est fou la diversité des sources d'inspiration ayant sucité ces textes. Et le tien nous ramène à la littérature, avec plein de soleil et d'amour ingénu entre ces tourtereaux si éloignés des tourmentes du Paris de 1793. Un grand coup de chapeau !
ça fait du bien de partir au soleil, de changer des décors sombres de la métropole.
Et utiliser le premier texte comme scénario du second, quelle superbe trouvaille ! Chapeau Tistou !
Et utiliser le premier texte comme scénario du second, quelle superbe trouvaille ! Chapeau Tistou !
Que va devenir l'Isle de France ? demande Virginie.
Réponse (selon Wiki) : n'aie crainte, elle conservera son nom... du moins pour encore dix-sept années. En 1810, les Britanniques entreprennent sa conquête et lui donnent alors le nom qu'elle portait à l'époque hollandaise : l'île Maurice.
Je ne connais rien de cette île, ce qui me laisse tout le loisir de m'y laisser bercer par le récif, les vagues, le lagon...
Que signifie pour un enfant, au fond, un changement de nom ? Est-ce préoccupant ? Le scénario est-il si improbable ?
Virginie est de parents français, peut-être planteurs, peut-être hostiles au régime. On peut imaginer qu'elle ait été influencée par eux. Le basculement des valeurs sociales ... pourquoi ne serait-il pas aussi, le basculement des simples petits repères d'enfant ?
Tistou, tu connais personnellement l'île Maurice peut-être ?
Réponse (selon Wiki) : n'aie crainte, elle conservera son nom... du moins pour encore dix-sept années. En 1810, les Britanniques entreprennent sa conquête et lui donnent alors le nom qu'elle portait à l'époque hollandaise : l'île Maurice.
Je ne connais rien de cette île, ce qui me laisse tout le loisir de m'y laisser bercer par le récif, les vagues, le lagon...
Que signifie pour un enfant, au fond, un changement de nom ? Est-ce préoccupant ? Le scénario est-il si improbable ?
Virginie est de parents français, peut-être planteurs, peut-être hostiles au régime. On peut imaginer qu'elle ait été influencée par eux. Le basculement des valeurs sociales ... pourquoi ne serait-il pas aussi, le basculement des simples petits repères d'enfant ?
Tistou, tu connais personnellement l'île Maurice peut-être ?
J'ai trouvé le style charmant et dépaysant. Le thème pertinent. Merci
Quelle idee originale d'avoir situé l'histoire, très romantique par ailleurs, au moment de la révolution , dans l'île si éloignée de la Reunion...Ile Bourbon (nous avons gardé le nom pour la vanille:-),île Maurice (j'ai pensé à Le Clezio avec l'histoire de sa famille),île de France ,pourquoi pas...Quant à la romance de Paul et Virginie et leurs interrogations sur le nom de leur île, elle se comprend dans le sens où le sentiment d'appartenance à un pays est important et déroutant quand on en change le nom en fonction de la politique...
La note d'humour fréquente dans les textes de Tistou, se présente par lle vieux général ,drôle dans son balancement "hamacien"
Je note que le personnage principal n'est pas une femme mais un couple :-) et pas vraiment révolté...pas de violence , mais un général qui ne s'en laisse pas compter !
J'aimerais savoir si l'histoire de Paul et Virginie est vraiment sortie à la fin de la guerre de 40 ?
La note d'humour fréquente dans les textes de Tistou, se présente par lle vieux général ,drôle dans son balancement "hamacien"
Je note que le personnage principal n'est pas une femme mais un couple :-) et pas vraiment révolté...pas de violence , mais un général qui ne s'en laisse pas compter !
J'aimerais savoir si l'histoire de Paul et Virginie est vraiment sortie à la fin de la guerre de 40 ?
Rempli de poésie cette première partie . Le bleu des yeux de Virginie t’a bien inspiré. Et j’en ai appris sur l’île de la Réunion dont j’ignorais le premier nom .
Et quelle suite…! intelligent d’être resté dans le même thème et d’utiliser les souvenirs du général qui en avait connu d’autres .
Merci à toi d’avoir lancé l’idée de cette soirée d’écriture qui m’a redonné le goût d’écrire
Et quelle suite…! intelligent d’être resté dans le même thème et d’utiliser les souvenirs du général qui en avait connu d’autres .
Merci à toi d’avoir lancé l’idée de cette soirée d’écriture qui m’a redonné le goût d’écrire
Que va devenir l'Isle de France ? demande Virginie.
Réponse (selon Wiki) : n'aie crainte, elle conservera son nom... du moins pour encore dix-sept années. En 1810, les Britanniques entreprennent sa conquête et lui donnent alors le nom qu'elle portait à l'époque hollandaise : l'île Maurice.
Je ne connais rien de cette île, ce qui me laisse tout le loisir de m'y laisser bercer par le récif, les vagues, le lagon...
Que signifie pour un enfant, au fond, un changement de nom ? Est-ce préoccupant ? Le scénario est-il si improbable ?
Virginie est de parents français, peut-être planteurs, peut-être hostiles au régime. On peut imaginer qu'elle ait été influencée par eux. Le basculement des valeurs sociales ... pourquoi ne serait-il pas aussi, le basculement des simples petits repères d'enfant ?
Tistou, tu connais personnellement l'île Maurice peut-être ?
Mes enfants sont de là-bas. Maurice m'est cher.
https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
Quelle idee originale d'avoir situé l'histoire, très romantique par ailleurs, au moment de la révolution , dans l'île si éloignée de la Reunion...Ile Bourbon (nous avons gardé le nom pour la vanille:-),île Maurice (j'ai pensé à Le Clezio avec l'histoire de sa famille),île de France ,pourquoi pas...Quant à la romance de Paul et Virginie et leurs interrogations sur le nom de leur île, elle se comprend dans le sens où le sentiment d'appartenance à un pays est important et déroutant quand on en change le nom en fonction de la politique...
La note d'humour fréquente dans les textes de Tistou, se présente par lle vieux général ,drôle dans son balancement "hamacien"
Je note que le personnage principal n'est pas une femme mais un couple :-) et pas vraiment révolté...pas de violence , mais un général qui ne s'en laisse pas compter !
J'aimerais savoir si l'histoire de Paul et Virginie est vraiment sortie à la fin de la guerre de 40 ?
Non, elle semble avoir eu un grand retentissement dès sa sortie, fin XVIIIème siècle.
C'est beau, Paul et Virginie !!!
Un Tistou romantique, et nostalgique à titre personnel, qui nous fait voyager sur une île paradisiaque.
La transition par le projet de film est astucieuse ! Malgré les contraintes qui semblaient t'effrayer tu t'en es bien sorti !
De Paul et Virginie, je ne connais que cette histoire de noyade provoquée par le poids de la robe. Nulle doute que si la Virginie du livre/film avait eu le caractère bien trempé que toi tu lui prêtes, ça ne se serait pas passé de la même façon !
C'est un beau texte, fort agréable à lire. Cette phrase m'a beaucoup fait sourire "Ils voulaient de l’authenticité mais, n’ayant jamais dépassé Marseille au sud, ils venaient chercher auprès du maintenant retraité général confirmation de la justesse de leurs idées." Ah, quelle idée de venir chercher des confirmations quand on n'y connait que dalle !
C'est un beau texte, fort agréable à lire. Cette phrase m'a beaucoup fait sourire "Ils voulaient de l’authenticité mais, n’ayant jamais dépassé Marseille au sud, ils venaient chercher auprès du maintenant retraité général confirmation de la justesse de leurs idées." Ah, quelle idée de venir chercher des confirmations quand on n'y connait que dalle !
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