Radetsky 17/05/2023 @ 20:19:09
Inopinément une controverse surgit entre mon épouse et sa collègue, Grenobloise de pure souche.
J'ai donc été sollicité afin d'éclaircir l'existence d'un mammifère que les locaux (Dauphinois) nommeraient "lure"...
Mobilisant les quelques connaissances zoologiques déjà anciennes que je dois à mes vénérés professeurs du Quai Saint-Bernard (ça ne date pas d'hier...), j'ai donc entrepris quelques investigations : en voici le résultat.

Objet : Morphologie, biotope, moeurs et usages de la lure, éléments historico-zoologico-linguistiques controversés à verser au dossier

Lure : n.f.(dérivatif du lat.pop. lis, liris,). petit mammifère rongeur apparenté au genre Eliomys, famille des Gliridés.
La lure, contrairement à bien d' autres espèces animales, montre un dimorphisme sexuel de l'épiderme très accentué au profit de la femelle, tandis que les belles couleurs, les parures et autres colifichets plumeux ou poilus appartiennent en général aux mâles dans le règne animal, afin d'agrémenter leurs parades annuelles (chez les humains, plus de colifichets masculins mais les parades, à base de vanités, ont été renforcées, hélas...).
Ainsi donc, la femelle, appelée lurette, pourvue d'une surprenante fourrure particulièrement fournie et montrant une infinité de nuances couvrant, au fur et à mesure du déroulement des saisons, à peu près l'ensemble du spectre visible, a-t-elle gagné avec le temps une réputation qui lui a valu d'entrer dans des expressions telles que "belle lurette", dont le sens s'est perdu, l'animal étant devenu aussi rare que le dahut exanthémateux ou la loutre hydropique (un comble...). Ce qui explique l'acharnement mis de tout temps pour sa capture, qui a conduit malheureusement à la quasi extinction de l'espèce, sous nos longitudes tout au moins.
Les petits de la lure, en général des portées de quatre à six, sont appelés lurons, et les jeux désopilants, les mimiques drôlatiques et les multiples farces que les rejetons combinent, ont favorisé par comparaison la fortune des expressions "joyeux lurons" ou "gais lurons", encore usitées de nos jours.

Les techniques de capture de ce petit animal devaient s'adapter aux trésors d'astuce qu'il déployait afin d'échapper à ses prédateurs. D'où certaines expressions passées dans le vocabulaire cynégétique telles que "forcer la lure", lorsqu'il fallait exciter et stimuler les chiens de manière appropriée.
Comme pour bien des espèces, les cas d'albinisme n'étaient pas rares, l'exemplaire concerné méritant alors, en raison de sa candeur resplendissante, le qualificatif d' "ange-lure", quand bien même sa fourrure immaculée n'eût-elle esthétiquement rien de plus que d'autres peaux d'une nuance identique.

L'aire primitive de développement de cet animal couvre à peu près l'Asie centrale des hauts plateaux du piémont himalayen occidental (essentiellement autour de la Porte de Dzoungarie), sur le parcours de l'ancienne route de la soie. Il semblerait que son introduction en Europe aux alentours du XIe siècle devrait beaucoup à cette dernière particularité : des marchands ou des soldats, séduits par la beauté de ces animaux et la qualité de leurs peaux, ont pu en transporter un ou plusieurs couples qui se seraient très bien adaptés au climat continental de leur région d'accueil à savoir les contrées montagneuses de l'Europe centrale danubienne.
Leur dispersion consécutive notamment dans les Carpates, les Tatras et une portion très restreinte des Alpes slovènes, aurait permis à l'espèce de proliférer, pour le plus grand avantage des tanneurs, peaussiers fourreurs et tailleurs locaux qui, en raison de leur prononciation marquée par le yiddisch, appelaient notre rongeur "la lire" (contrairement aux marchands Turcs, Arabes ou Perses utilisant le terme "loure", lequel, en raison de son inélégance, finit par disparaître). A tel point qu'on en vint à régler les échanges locaux non plus en monnaie métallique mais en peaux. Les banquiers escomptaient d'ailleurs des effets en utilisant l'expression "tire-lire" (qui devait aussi donner en français "tire-lure", dégradé en "tirelure-lanlaire" lorsque les gens n'honoraient pas leurs dettes).

L'extension d'une telle faveur fit que les marchands Lombards en particulier et de la péninsule italienne d'une façon générale, finirent quant à eux par donner au fil du temps ce nom insolite "la lire" (ou plutôt la lira) à leur unité de compte monétaire notamment et c'est ainsi que la lire dura jusqu'à l'adoption de l'Euro (à ne pas confondre avec le lérot, qu'il est rare de voir adopté par qui que ce soit en tant qu'unité monétaire...).
On a signalé, vers le milieu du XVIIe siècle, vu l'engouement mégalomaniaque de Louis XIV pour les ornements somptuaires, une tentative de l'Administration Royale des Eaux et Forêts, aidée en cela par quelques zélés lieutenants de louveterie, afin
d'introduire en France ces animaux en leur attribuant un territoire protégé, devenu depuis la Montagne de Lure.
Hélas, en l'absence d'une nourriture appropriée (essentiellement les glands de chênes rouvres - quercus robur) la lure, contrainte de se satisfaire des fruits de résineux, vit son pelage se ternir et sa peau s'amincir et se friper. Au point qu'on donna, par comparaison, à une certaine qualité de papier le sobriquet de "pellis lura" ou encore "papier pelure".
Parmi les espèces voisines, on peut citer justement le lérot, le loir, etc, toutes catégories dont on a tenté par le passé d'utiliser la fourrure, mais aujourd'hui comme on sait, le loir est cher....et les lérots sont fatigués.

A ce propos, une sous-espèce très proche vivant dans la région de Khabarovsk et pourvue d'un surprenant pelage aux reflets rouges avait été "labellisée" sous l'appellation de "lérots de l'Union Soviétique", dont la silhouette cocasse ornait même la médaille militaire correspondante, jusqu'au début des années 90.
Depuis, l'incurie capitaliste a laissé ces élégantes et précieuses bestioles s'accoupler avec les rats des champs, des villes, de cave, visqueux, etc, entraînant une dégénérescence pigmentaire fatale à cette variété et l'évanouissement de ses valeurs esthétiques et marchandes. Et on qualifia par la suite de "déluré" l'artisan contraint d'abandonner le travail de cette matière première.
Ceci dit, aucune trace de lure en Dauphiné, ce qui tend à prouver une fois encore que la "cinquième colonne" n'a pas désarmé, en y introduisant rumeurs et fausses espérances.
je poursuis mes recherches.

P.S. Sérieux s'abstenir.

Martin1

avatar 17/05/2023 @ 20:36:54
Content de te retrouver.
Haha ! J'aime bien le ton absurde de cet article que tu as écrit comme un journal scientifique.
Mais je comprends mal comment t'es venu l'envie d'écrire ce texte ! Tu cherches un prétexte pour gambader dans le Dauphiné ? Tu me diras si il y a des dauphins, aussi.

Martin1

avatar 17/05/2023 @ 20:39:55
"Les lérots sont fatigués" ! La référence... On sait que tu n'es plus tout jeune, mais préserve quelques apparences au moins.

Radetsky 17/05/2023 @ 22:02:46
"Les lérots sont fatigués" ! La référence... On sait que tu n'es plus tout jeune, mais préserve quelques apparences au moins.
"Les héros sont fatigués", film d'Yves Ciampi datant de 1955....C'était une allusion presque homophonique. Mais bien sûr, 1955 c'est le paléolithique pour toi ;-)
C'est parce que je ne suis plus jeune du tout que je dispose de ce type de référence !

Radetsky 17/05/2023 @ 22:13:06
Content de te retrouver.
Haha ! J'aime bien le ton absurde de cet article que tu as écrit comme un journal scientifique.
Mais je comprends mal comment t'es venu l'envie d'écrire ce texte ! Tu cherches un prétexte pour gambader dans le Dauphiné ? Tu me diras si il y a des dauphins, aussi.
L'envie m'est venue en 2006, alors que mon épouse me rapporta une conversation tenue avec sa collègue de bureau...j'ai sauté sur l'occasion de faire quelques jeux de mots absurdes, en adoptant le ton d'un l'article scientifique tel qu'en pondaient mes profs en fac des Sciences, quai St Bernard, à Paris.
Ceci dit, je gambade bel et bien en Dauphiné et dans les contrées circumvoisines, en compagnie d'un sac à dos, dont le mutisme me contraint à emporter toujours un bouquin...du coup je ne suis plus seul !

Spirit
avatar 18/05/2023 @ 10:54:02
Génial! on a l'impression de lire une vieux manuscrit scientifique d'un autre siècle. L'humour est bien distilillé et me fait penser par moment à Pierre Dac;

Saint Jean-Baptiste 18/05/2023 @ 12:21:22
Génial, Rad, tu t’es surpassé. Je vais pousser ta candidature à l’Académie des Sciences Animales. Tu arriverais à faire rigoler les pires des scrogneugneux.

Mais je l’avoue bien honteusement, j’ai mis un petit temps à comprendre que c’était « sérieux s’abstenir ».
;-))

Tistou 03/09/2023 @ 17:04:15
Excellent Radetsky. Ca m'a irrésistiblement évoqué un confrère (Célien et de Vos Ecrits) hélas disparu, facétieux autant que talentueux, qui appréciait jeux de mots et collisions de sens, j'ai nommé : Bolcho.
Quand je dis disparu, ce n'est pas hélas de C.L. mais bien de manière définitive. Il t'aurait plu, sans aucun doute. Tiens je vais essayer de te donner un lien illustratif.
On peut en faire des pirouettes sur "lure" ! Et tu ne les a pas ratées. Tu as enfiler les perles les unes après les autres jusqu'à constituer ce magnifique collier d'absurdies (non ça n'existe pas les absurdies mas tout le monde voit bien ce que je veux dire).
Le petit crochet vers le lérot est le bienvenu aussi et "les lérots sont fatigués" n'était pas ratable. De fait tu ne l'as pas raté.
Excellent.

Tiens, de Bolcho :

https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
Il est bien mais je viens de voir que je te l'avais déjà mis sous les yeux. Alors, celui-là ?

https://critiqueslibres.com/i.php/forum/sujet/7538

En fait tout Bolcho est bon à lire.
Comme tout Radetsky ...

Radetsky 03/09/2023 @ 21:02:42
Excellent Radetsky. Ca m'a irrésistiblement évoqué un confrère (Célien et de Vos Ecrits) hélas disparu, facétieux autant que talentueux, qui appréciait jeux de mots et collisions de sens, j'ai nommé : Bolcho.
Quand je dis disparu, ce n'est pas hélas de C.L. mais bien de manière définitive. Il t'aurait plu, sans aucun doute. Tiens je vais essayer de te donner un lien illustratif.
On peut en faire des pirouettes sur "lure" ! Et tu ne les a pas ratées. Tu as enfiler les perles les unes après les autres jusqu'à constituer ce magnifique collier d'absurdies (non ça n'existe pas les absurdies mas tout le monde voit bien ce que je veux dire).
Le petit crochet vers le lérot est le bienvenu aussi et "les lérots sont fatigués" n'était pas ratable. De fait tu ne l'as pas raté.
Excellent.

Tiens, de Bolcho :

https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
Il est bien mais je viens de voir que je te l'avais déjà mis sous les yeux. Alors, celui-là ?

https://critiqueslibres.com/i.php/forum/sujet/7538

En fait tout Bolcho est bon à lire.
Comme tout Radetsky ...

Merci Tistou.... mais c'est vrai : Bolcho était excellent et irremplaçable.

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