Shelton
avatar 19/12/2020 @ 14:12:33
Après discussion avec certains et ayant lu et intégré quelques remarques faites, je pense qu’il me faut préciser mes remarques préalables sur ces personnages, ces reines en particulier.

Certains ont pu croire, à tort, que je ne voyais pas d’un bon œil la présence politique des femmes dans notre histoire. Bien au contraire, cela ne me pose aucun problème par contre d’une part je n’aime pas les personnages providentiels qui portent sur eux toute la gloire (ou la honte) et, d’autre part j’intègre la façon dont étaient traitées les femmes à l’époque considérée car il me semble effectivement dangereux d’appliquer au passé nos visions du monde, de la femme, de l’écologie…

Donc, tout d’abord, les personnages de l’histoire… Effectivement, un homme – ou une femme bien sûr – ne porte jamais tout sur ses petites épaules. Un personnage historique n’a jamais tout décidé seul et dès que l’on étudie l’histoire on est bien obligé d’intégrer cet homme dans une dimension sociale. Un roi a son conseil, ses ministres, ses chefs de guerre, ses maitresses, ses frères et sœurs… Il en est de même pour les reines, les régentes, les grandes de notre histoire… Certes, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et affirmer que les grands ne décident jamais seuls, qu’ils ne sont responsables de rien… En fait, la réalité navigue entre les deux extrêmes et c’est pour cela qu’il faut lire des biographies et des études spécifiques. Par exemple, une biographie de Catherine de Médicis et un ouvrage sur les Guerres de Religion… Par exemple, dans le cas du « funeste » traité de Troyes, ne limitons surtout pas notre regard critique à l’action – réelle ou supposée – d’Isabeau de Bavière ! Je ne sais pas s’il s’agit d’une particularité française mais il semblerait que nous aimions beaucoup les acteurs providentiels ou les personnages presque magiques… Nous attendons tout d’eux et s’ils échouent on les voue à la géhenne pour l’éternité !!!

D’autre part, avant de juger une femme, je tente de comprendre comment elle était traitée à son époque. Effectivement, une femme de roi est avant tout un « utérus potentiel ». Il est effectivement vrai que quelques femmes ont réussi à exister autrement soit parce qu’elles furent régentes soit parce qu’elles apportèrent au royaume, à son peuple et à sa culture quelques nouveautés, richesses ou autres spécificités… Tout cela est indéniable mais pour autant toutes les grandes régentes furent entourées d’acteurs, spécialistes et autres bons conseils… Donc, là encore, ne nous précipitons pas dans la catégorisation : unetelle ne fut pas une grande régente, mais sa régence fut grande ! Il s’agit d’une petite nuance mais qui signifie beaucoup et qui n’a pas pour objet de minimiser l’action d’une reine…

Enfin, avant de consacrer plus de temps à cette chère Isabeau de Bavière, quand on trouve au dix-neuvième siècle le texte suivant la concernant :

« Aidé d’une misérable Allemande sans cœur ni moralité, la reine Isabeau de Bavière, épousé par Charles VI avant qu’il ne fut atteint de démence, le duc de Bourgogne fit signer le honteux Traité de Troyes ».

… il ne faut pas y attribuer trop d’importance car c’est tellement excessif que l’on peut être certain d’être assez éloigné de la vérité…

Mais qu’est-ce que la vérité, me direz-vous ! Alors, comme je ne sais pas répondre à coup sûr, je continue de chercher… Qui sait… Peut-être un jour…

Fanou03
avatar 19/12/2020 @ 16:24:14

« Aidé d’une misérable Allemande sans cœur ni moralité, la reine Isabeau de Bavière, épousé par Charles VI avant qu’il ne fut atteint de démence, le duc de Bourgogne fit signer le honteux Traité de Troyes ».

… il ne faut pas y attribuer trop d’importance car c’est tellement excessif que l’on peut être certain d’être assez éloigné de la vérité…



C'est sûr que George Duruy n'y est pas allé de main morte avec Isabeau ! D'ailleurs je n'y connais rien mais le fait de qualifier Isabeau "d'Allemande" n'est-il pas un anachronisme ?

Fanou03
avatar 19/12/2020 @ 23:29:33
Ce sont de vraies pépites, Fanou, on en redemande...


Oui je ne me lasse pas relire ce livre d'histoire...Je l'ai en ma possession depuis le collège pourtant. Maintenant bien sûr j'ai pris de la hauteur par rapport à tous ces jugements de valeur tranchés, mais le livre reste très agréable à lire: il rendait l'Histoire de France extrêmement vivante. C'était le but assumé de George Duruy dans une remarquable préface de l'époque où il affirmait qu'il ne fallait pas noyer les élèves de dates inutiles. Il voulait mettre en avant des évènements marquants (comme les batailles) ou les caractères des grands hommes, pour ça c'est réussi, ça se lit (presque) comme un roman.

Martin tu serais en tout cas sans doute enchanté de le compulser (mais tu en as eu peut-être d'équivalent entre les mains).

Fanou03
avatar 19/12/2020 @ 23:39:36
En fait, la réalité navigue entre les deux extrêmes


Tout à fait d'accord Shelton. C'est par exemple le cas d'un personnage méconnu maintenant: le Connétable de Bourbon qu'on a voué à l'infamie car il est connu pour avoir "trahi" François 1er en se mettant au service de Charles Quint. Je peux te dire que George Duruy en dit du mal...La réalité en fait est infiniment plus complexe puisque François et le Connétable étaient engagées dans un procès inextricable et complexe sur l'héritage du duché de Bourbon. Certains historiens estiment que le Connétable a été "exproprié" honteusement de son Duché et qu'il n'a pas trahit puisque rappelons-le il était aussi le vassal de Charles-Quint par les possessions qu'il avait dans l'Empire (les Dombes en particulier je crois). Tout est en nuance donc...A-t-elle point que les Rois Bourbons furent bien embêtés avec cet illustre aïeul grand Capitaine mais "traître" aux Rois de France de l'ancienne "dynastie"...

Martin1

avatar 20/12/2020 @ 00:48:49
Doit-on condamner la vieille Histoire de France, le vieux roman national ? Il est important de distinguer l'Histoire scientifique et le roman national, c'est certain. Le Puy du Fou, ce n'est pas Marc Bloch et inversement.

Mais est-ce si inutile de construire un roman national?
Autrefois on admirait ces hommes dits providentiels. Richelieu, Mazarin, Louis XIV, Colbert, Fleury, Maupeou, Napoléon, Napoléon III, Pétain, De Gaulle. Mais le bonapartisme est passé de mode ; on ne veut plus croire dans les visionnaires ; on a l'impression qu'ils sont par définition, des esquisses de régime autoritaire. Et l'on met leur vénération sur le compte de la naïveté, voire d'un nationalisme béat et dangereux.

Comprenez-bien : Moi, en tant que passionné d'histoire, j'aime des personnages plus faibles, ambigus, comme par exemple Louis XVI ou Auguste Poniatowski, le roi de Pologne à qui j'ai consacré mon mémoire.
Mais en tant que français, soucieux de l'avenir de mon pays, je serai sot de ne pas reconnaître combien les grands hommes d'Etat ont été doués d'une vision politique. Tout n'était pas au beau fixe sous leur gouvernement. Sans doute certains péchaient par bellicisme ou feignaient d'ignorer des crimes affreux (comme l'esclavage pour Colbert). Ils donnaient une priorité absolue à l'autorité de l'Etat et se défendaient contre leurs opposants par les fers ou même le crime. Mais au moins permettaient-ils, dans leur pays, de restaurer la stabilité après le chaos, la santé économique après la gabegie, la paix civile après la guerre civile, l'ordre après l'anarchie, la justice après la faute de droit commun, la méritocratie après le nivellement. Ils avaient un flair politique que la démocratie, parce que trop bavarde, trop ballotée entre l'indignation des uns et l'idéologie des autres, trop éphémère dans ses quinquennats, ne se laisse jamais le temps de posséder.
C'est cela qui justifie l'autorité de l'Etat, c'est cela la tradition politique française qui s'est désagrégée après De Gaulle. Aujourd'hui, notre Etat est obèse et endetté, mais surtout impuissant. Il abandonne ses pouvoirs régaliens pour enfiler tour à tour le rôle du médecin, de l'instructeur, du pourvoyeur de pensions, du défenseur du droit des étrangers ou des minorités. Hélas ce n'est pas pour rendre des services humanitaires ou sanitaires que les rois de France avaient fondé l'Etat, mais bien pour instaurer la justice : le roi était avant toute chose un juge, c'était même LE juge par excellence.

On peut sourire des Lavisse et des Duruy. Néanmoins le roman national, tout partial qu'il était, avait le mérite de rappeler, par son origine régalienne, la raison d'être d'un Etat.

Aujourd'hui, notre pays souffre de cette absence de roman national. Oublieux de l'histoire, les Français ont fini par se convaincre que l'Etat existait avant tout pour servir de robinet à caprices.

L'homme providentiel, c'est fini. Il ne viendra pas en France pour deux raisons :
- D'abord parce qu'aujourd'hui il n'existe plus d'hommes d'Etat mais seulement des hommes de campagne électorale. Par conséquent un tel homme n'aurait nulle part où se former politiquement parlant.
- Ensuite parce que le consentement populaire lui est indispensable - le plébiscite - et que les Français sont trop attachés au rêve démocratique pour le lui donner.

Martin1

avatar 20/12/2020 @ 08:48:44
Martin tu serais en tout cas sans doute enchanté de le compulser (mais tu en as eu peut-être d'équivalent entre les mains).

Ahah, peut-être... comme je l'ai dit, je n'ai pas d'a priori contre ce type d'ouvrage. Mais en ce moment, je privilégie les historiens récents. Le roman national est utile pour commencer, pour se former politiquement, mais il est bon de le dépasser et là je ne cherche plus à y revenir.
Nous vivons l'âge d'or de la discipline ! Depuis les années 70, on n'a jamais connu d'aussi bons historiens. Moi qui suis souvent sceptique sur mon époque, je ne le suis pas sur ce point : Il faut profiter des auteurs universitaires récents, ils sont parfois d'une finesse d'analyse, d'une objectivité historique impressionnante. Emmanuel Le Roy Ladurie, John Scheid, Jean-Christian Petitfils, Thierry Lentz, Eric Anceau ont du génie, il faut les lire.

Martin1

avatar 20/12/2020 @ 09:24:26
Donc, tout d’abord, les personnages de l’histoire… Effectivement, un homme – ou une femme bien sûr – ne porte jamais tout sur ses petites épaules. Un personnage historique n’a jamais tout décidé seul et dès que l’on étudie l’histoire on est bien obligé d’intégrer cet homme dans une dimension sociale. Un roi a son conseil, ses ministres, ses chefs de guerre, ses maitresses, ses frères et sœurs… Il en est de même pour les reines, les régentes, les grandes de notre histoire… Certes, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et affirmer que les grands ne décident jamais seuls, qu’ils ne sont responsables de rien… En fait, la réalité navigue entre les deux extrêmes
D’autre part, avant de juger une femme, je tente de comprendre comment elle était traitée à son époque. Effectivement, une femme de roi est avant tout un « utérus potentiel ». Il est effectivement vrai que quelques femmes ont réussi à exister autrement soit parce qu’elles furent régentes soit parce qu’elles apportèrent au royaume, à son peuple et à sa culture quelques nouveautés, richesses ou autres spécificités… Tout cela est indéniable mais pour autant toutes les grandes régentes furent entourées d’acteurs, spécialistes et autres bons conseils… Donc, là encore, ne nous précipitons pas dans la catégorisation : unetelle ne fut pas une grande régente, mais sa régence fut grande ! Il s’agit d’une petite nuance mais qui signifie beaucoup et qui n’a pas pour objet de minimiser l’action d’une reine…

Entièrement d'accord

Shelton
avatar 20/12/2020 @ 10:14:28
J'ai lu et interviewé plusieurs fois Thierry Lentz et une fois Jean-Christian Petitfils et Emmanuel Le Roy Ladurie. Je n'ai ni lu ni rencontré Eric Anceau mais ses écrits concernent une période que j'aime moins... Quant à John Scheid, je ne le connais pas du tout...

Martin1

avatar 20/12/2020 @ 12:34:06
Tu as eu de la chance ! Moi j'ai été l'élève de Thierry Lentz. John Scheid est un spécialiste de la religion traditionnelle romaine. J'ai lu "Religion et piété à Rome", et "La religion des Romains"... j'ai beaucoup, beaucoup appris sur le fait religieux grâce à lui.

Shelton
avatar 21/12/2020 @ 09:39:01
Avant de revenir à mon sujet, si certains veulent approfondir leur regard sur l'Histoire, je vous conseille "Les écoles historiques" de Guy Bourdé et Hervé Martin, dans la collection Points Histoire... Car le débat sur l'histoire ne se limite pas, heureusement, à quelques échanges amicaux sur critiques Libres...

Shelton
avatar 21/12/2020 @ 09:45:19
Revenons-en, doucement mais surement, à ce fameux Jean II le Bon... On peut lire dans "Histoire de France du Brevet élémentaire" de A. Ammann et E C Coutant :

"Jean II le Bon qui régna de 1350 à 1364, était plus incapable encore que son père Philippe VI. La guerre de Cent ans recommençant, il se fit battre honteusement et prendre par les Anglais à Poitiers (1356)."

L'ouvrage date de 1919 et certains des résumés sont simplement édifiants !

Martin1

avatar 21/12/2020 @ 10:11:59
Disons que la légende noire de Jean le Bon permet de se souvenir combien 1356 et les deux ou trois années qui suivirent furent terribles. L'état d'anarchie qui a suivi la bataille Poitiers fut tel qu'on connut quasi-simultanément la révolte du prévôt des marchands, la grande jacquerie, l'essor des grandes compagnies de mercenaires et la trahison du prince Charles de Navarre, sans oublier les regains d'épidémies de peste qui se faisaient sentir ça et là.
L'action énergique du dauphin Charles (futur Charles V) sera d'ailleurs largement à la hauteur de la catastrophe.

On oublie aussi qu'Etienne Marcel n'est pas seulement un rebelle et un traître. C'est aussi un innovateur en philosophie politique puisqu'il tente de mettre en place une monarchie contrôlée par les Etats Généraux, assemblée composée des trois états, et que l'on peut comparer au Parlement anglais (Lords temporels, Lords spirituels, Communes). La monarchie française s'est construite en lutte absolue contre ce modèle anglais.

Shelton
avatar 21/12/2020 @ 13:46:00
Pourquoi Jean II dit le Bon est-il un roi si déprécié dans notre histoire, car telle est bien la question que je me posais initialement ? Je vais tenter de donner des pistes de réponse après avoir lu plusieurs ouvrages dont la biographie de Jean Deviosse et l’ouvrage de Jean Favier sur la guerre de Cent ans.

La première chose à préciser est que Jean II ne porte pas le surnom de « Bon » en raison de sa bonté ou de ses qualités humaines mais parce qu’il a été courageux au combat. Bon signifie brave, fougueux, courageux, combattif… Car Jean II et cela explique bien des jugements portés sur lui au dix-neuvième siècle, est avant tout un chevalier, un homme du Moyen-âge…

Jean II ne conçoit la vie que comme un grand jeu dont la règle serait de toujours être capable d’aller plus loin dans le courage, dans le combat, dans la fidélité à la parole donnée. Il n’a aucun sens politique au sens moderne du mot, il ne voit pas l’intérêt d’une diplomatie européenne, il considère les autres rois comme des camarades de jeu, comme des chevaliers… Du coup, il est quasiment hors jeu dès le départ, il ne vit plus dans la bonne époque…

Dans la longue lignée de la famille royale, il est quasiment l’un des premiers dont on a un portrait authentique, véridique avec ce tableau de Girard d’Orléans de 1359. Le tableau a été d’ailleurs mis sur un timbre poste français en 1964… à l’occasion du sixième centenaire de sa mort à Londres.

Quand Jean II arrive sur le trône, la situation n’est pas des meilleures. Il faut se souvenir que les trois fils de Philippe le Bel ne vont avoir aucun descendant masculin. Les filles de Philippe le Bel sont volontairement oubliées de la succession ainsi que son petit-fils né d’une de ses filles. Tout est né, de façon confuse et progressive, de l’idée que la dignité de roi – comme celle d’empereur et de pape – était trop haute pour échoir à une femme. Ce concept va devenir la loi salique… C’est ainsi que Charles VI Valois, père de Jean II, devient roi. Mais son autorité n’est pas encore installée et de nombreux prétendants guettent le trône dont Edouard III, fils d’Isabelle de France, elle-même fille de Philippe le Bel… Edouard III n’est pas le seul, on a aussi le roi de Navarre, Charles le Mauvais, le cousin de Jean II… Et encore plusieurs membres de la famille royale, bien sûr !

C’est Edouard III qui va prendre l’initiative et la tête des hostilités. La grande peste avait interrompu la guerre, le roi d’Angleterre la remet au goût du jour et avec force et réussite ! L’Angleterre et ses alliés menacent Rouen, le Prince Noir, fils ainé du roi Edouard III, part de Bordeaux pour conquérir le Nord… Jean II et les chevaliers français vont à sa rencontre. Ils sont beaucoup plus nombreux mais n’ont aucun sens tactique et la bataille aura lieu près de Poitiers. Défaite cinglante des Français et capture du roi et de nombreux chevaliers français. Seul ou presque, le dauphin Charles arrive à quitter la zone des combat pour assurer la continuité du pouvoir. Il se proclame « Lieutenant du Royaume ».

On entre alors dans une grande période de difficultés politiques. Jean II, à Londres, tente de négocier sa remise en liberté contre une rançon. Mais Edouard III lui propose un traité de paix qui est si dur pour la France que les Etats-Généraux du Royaume le refusent. De son côté, le Dauphin essaie de continuer le combat contre les Anglais et ses succès lui permettent de tenter de trouver un chemin de paix avec le Prince Noir. Enfin, à Paris, Etienne Marcel et Robert Le Coq s’appuient sur les Etats-Généraux pour prendre le pouvoir, installer Charles le Mauvais de Navarre sur le trône et obtenir pour Paris une forme d’indépendance fiscale… Ce serait la victoire du commerce sur la chevalerie !

Malgré l’alliance informelle entre Etienne Marcel et les campagnes de France qui se soulèvent –Jacqueries), le dauphin nommé Régent arrive à prendre le dessus, entre triomphalement dans Paris, ce qui permet d’envisager la signature du traité de Brétigny et le retour de Jean II sur les terres de France…

Seulement ce traité a un coup exorbitant : un tiers du pays est cédé à l’Angleterre et une terrible rançon doit être payée aux Anglais. Malgré des mesures légères – création d’une nouvelle monnaie, le Franc – et des impôts et taxes décrétés en grand nombre, le royaume est si affaibli qu’il ne peut payer la rançon. De plus, lorsque le fils du roi resté en otage à Londres s’échappe, le roi, toujours fidèle à sa parole et à son image du chevalier, retourne se constituer prisonnier. Sa santé faiblit et il décède à Londres le 8 avril 1364.

Si je résume tout cela à ma manière, Jean II le Bon fut d’abord un roi d’un autre siècle incapable de comprendre les enjeux économiques de la guerre de Cent ans, incapable de mener une guerre moderne (mais il n’était pas le seul dans cette France qui fantasmait encore sur la chevalerie) et, enfin, qui a été jugé par le dix-neuvième siècle comme dépensier et centralisateur (impôts, taxes, et défaite d’Etienne Marcel battu par le régent). Il fut donc courageux au combat mais cela n’intéressait plus personne !

Martin1

avatar 22/12/2020 @ 08:33:26
à Shelton : Je pense que ta version des faits est la bonne, vu ce que j'avais lu dans Favier et dans la biographie de Charles V de Françoise Autrand.

Je vais essayer d'ajouter quelques éléments pour compléter :
- Une vision trop chevaleresque de la guerre, oui, c'est certain. Il reste qu'il existe des moyens d'intégrer la chevalerie dans l'ordre politique, notamment en créant une élite militaire, du type de l'ordre de la Jarretière (1348) en Angleterre. La tentative de Jean II en 1351 c'est l'ordre de l'Etoile, qui, comme on le devine, a été complètement décrédibilisé par Poitiers. C'est dommage car en soi l'idée n'est pas mauvaise et annonce l'ordre du Saint-Esprit sous Henri III.
- Par rapport à cette captivité, elle est étrange. Payer une rançon si élevée - nous savons, aujourd'hui, que la guerre va reprendre, que Brétigny n'est pas la fin, que Jean II ne reviendra que brièvement entre 1360 et 1364 et qu'il eut été bien plus salutaire que l'on laisse le dauphin Charles... Tout cela est d'une ironie qui nous fait dire : les choses auraient été beaucoup plus faciles si Jean II était mort à Poitiers. C'est cela qui fait de lui un personnage "bon" (au sens où tu l'as dit), mais surtout embarassant.
- Les Grandes Compagnies sont des mercenaires pillards, souvent Anglais ou Gascons qui ravagent les campagnes et brûlent les récoltes : il faudra attendre 1369, sous Charles V, pour qu'elles soient intégrées à l'armée française après l'expédition d'Espagne. Ces compagnies rendent détestables le souvenir du règne de Jean II.
- Enfin, il y a un autre élément que tu n'as pas mentionné : la politique des apanages. Jean II a tendance a doté ses fils d'apanages trop énormes : l'Anjou pour Louis, le Berry pour Jean, la Bourgogne pour Philippe le Hardi... cela va causer des tracas futurs à la couronne de France (notamment ce que va devenir la Bourgogne, sous Jean Sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire). Au XVe siècle, ces apanages sont regardés comme des reliquats de la politique des partages des Carolingiens (traité de Verdun, par exemple), et donc une injure à la politique de construction du Domaine Royal entamé par Philippe Auguste.

Enfin, petite précision : si les femmes ne peuvent ni porter ni transmettre la couronne en France, ce n'est pas à cause de la "loi salique" (qui est une loi de droit privé remontant aux Francs Saliens qui a servi d'argument a posteriori) mais c'est une loi fondamentale du royaume, qui vise entre autres à protéger l'indépendance du royaume (le cas d'Edouard III, le cas de Charles de Navarre pourraient devenir très nombreux). Elle est une loi coutumière, bien sûr, c'est-à-dire non écrite et consacrée par l'usage.

Shelton
avatar 22/12/2020 @ 09:55:57
Le Charles V de Brigitte Autrand est excellent !

Shelton
avatar 22/12/2020 @ 10:24:59
Françoise Autrand, suis-je distrait !

Shelton
avatar 23/12/2020 @ 10:04:18
Bientôt le tour d'Isabeau de Bavière... C'est en cours d'écriture !

Shelton
avatar 23/12/2020 @ 19:50:33
« Destin pathétique en vérité que celui de cette femme affrontée à toute les mésententes, à toutes les ambigüités, au chaos des ambitions rivales qui sont celles de la noblesse de son temps. Isabeau de Bavière nous fait surtout l’effet d’être une victime : victime de cette période de transition pendant laquelle le pouvoir de la reine subit les premières attaques, celles qui seront décisives »

Régine Pernoud

Shelton
avatar 23/12/2020 @ 19:50:54
« Le fils de Jean sans Peur, Philippe le Bon, se jeta dans les bras des Anglais. La reine Isabeau de Bavière, d’accord avec lui, voulut déshériter le dauphin Charles et signa avec le roi Henri V le traité de Troyes par lequel elle lui donnait sa fille en mariage et lui livrait le royaume (1420). »

Notions élémentaires d’Histoire générale et d’Histoire de France, G. Ducoudray, 1905

Shelton
avatar 24/12/2020 @ 12:42:35
Avant de livrer une vision sur cette pauvre Isabeau de Bavière, je voudrais vous donner à méditer avec ces quelques lignes de l’historien Jean Verdon dans son ouvrage sur la femme au Moyen-âge. Car ce qui est vrai pour la femme en général l’est pour Isabeau en particulier…

« Ecrire un ouvrage sur la femme au Moyen-âge tient de la gageure, et ceci pour plusieurs raisons. Ce sont essentiellement des hommes, et particulièrement des clercs soucieux en principe d’éviter les contacts avec le sexe faible, qui parlent des femmes. Et les sources sont pour la plupart normatives, c'est-à-dire définissent un idéal sans indiquer en quoi consiste la réalité… »

On sait ce qu’est la reine idéale mais la reine réelle est-elle connue ? On ne retiendrait qu’une seule chose, qu’elle n’est pas conforme au modèle idéal… Pauvre Isabeau !

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