Martin1

avatar 03/04/2020 @ 22:48:06
- Maximilien, ramène-toi ! cria Jean-René d’une voix basse.
« Crier d’une voix basse » fait partie de ces oxymores théoriquement impossibles, mais chacun sait pertinemment à quel genre de performance vocale je fais ici référence. Maximilien venait de foncer dans un taillis, puis s’était relevé, clignant des yeux, retenant son souffle. Il actionna le tourniquet bruyant de sa lampe de poche, ce qui permit à Jean-René de le localiser. Avec l’aide de son bras, Maximilien sortit du taillis en maugréant et en jurant. Dans le flot de paroles qui sortit de sa bouche, Jean-René comprit orties, ronces, lierres, au milieu d’autres mots, qui eux, ne se trouveraient pas dans un dictionnaire de botanique.
- Max, tais-toi. J’essaie d’écouter.
Dans l’attente des lueurs matutinales, nos deux apprentis détectives se trouvaient embusqués. Que le temps paraît long pour l’œil qui observe en silence. Le moindre passage de lièvre leur fait serrer les dents ; chaque branche craquante, craque aussi leur cou. Mais bientôt, les sursauts répétés devenaient bien lassants. Maximilien se plaignait que le sang ne circulait plus dans son bras droit ; mais dès qu’il tentait de se retourner, son pardessus se froissait dans un bruit terrifiant.
- Max, quel mot tu n’as pas compris hier soir lorsque je t’ai demandé de faire preuve de discrétion ?
Mais Jean-René aussi commençait à fatiguer. Ses vieilles paupières n’avaient plus l’habitude de jouer à la sentinelle. Pourtant il fut bientôt récompensé de ses efforts.

Un homme en cape, venait d’apparaître sur le sentier. Dans la brume la silhouette était incertaine, mais il semblait tout de noir vêtu. Il marchait d’un pas étrange, sautillant et clopinant, traversant le brouillard. Son ombre sinistre suivait le creux du chemin de terre.
Jean-René posa sa main sur les lèvres de Max, pour lui intimer de se taire ; ordre inutile par ailleurs car Max s’était totalement figé. C’est qu’il craignait que l’homme marche dans leur direction. Il n’avait sûrement qu’une vingtaine de mètres à parcourir et leurs respirations haletantes les trahiraient alors sans difficulté.

Les pas de l’homme étaient sourds, amortis par quelque chose que nos observateurs ne pouvaient identifier. Sous une lune blafarde et éphémère, l’homme révéla quelques instants un profil nasal étonnamment étiré. Mais aussitôt basculant sa tête, on ne pouvait bien le voir. Un cri rauque, inhumain s’échappa de son visage et tournant vers nos deux amis ses jambes filiformes, il laissa apercevoir un bec de quatre-vingt centimètres.
L’homme n’était pas un homme. Un immense marabout noir, les ailes boueuses et les serres atroces, se tenait à sa place. Ses deux échasses, comme de graciles tiges de fer, le faisaient marcher par à-coups. Parvenu devant les deux amis, qui se recroquevillaient sur eux-mêmes, il avait tourné son bec lourd vers le visage rubicond de Jean-René. Délicatement, sa patte se posa sur le crâne du vieux briscard ; trois griffes épaisses lacérèrent ses joues. Le lugubre marabout, en avançant son jabot, fit basculer son propre poids sur cette tête humaine qu’il semblait posséder comme un globe.
Il écarta doucement son squelette empenné, agita sensiblement ses ailes anémiques, et après quelques secondes, ayant relâché son appui, approcha inexorablement son bec vers l’œil de Maximilien. L’oiseau et l’homme se dévisagèrent longtemps ; pas un son ne brisa cette rencontre inouïe. Il ne suffisait que d’une becquetée, d’une simple picore, et l’œil de Maximilien en eût été crevé. Mais déjà à l’horizon, l’éclat de l’aurore jetait ses premiers rayons sur un plumage encrotté et abject. Jean-René serra son poing à s’en faire craquer tous les os. Tout serait rompu dans neuf, huit, sept…
Six, cinq, quatre…
Trois, deux, un…
Dans le village, les pics tambourinèrent comme jamais. A en échancrer les écorces jusqu’à l’aubier. A en faire vibrer la moelle des troncs. A en limer pour toujours l’éperon de leurs becs.
Le marabout fit virevolter son cou, et écarta d’un mètre ses deux mandibules. Un cri rauque, presque inaudible, s’échappa de cette bouche gigantesque, et levant des yeux hagards vers le ciel en pénombre, la créature pointa son bec comme une hallebarde à l’assaut, creva les taillis, transperça les sous-bois, dans des bonds et des voltiges qui trahissaient sa force torrentueuse.
"Les pics sont nos veilleurs de l’aurore." dit Jean-René entre ses dents. A côté de lui, Maximilien lui répondit par un juron mémorable.

Nathafi
avatar 04/04/2020 @ 10:22:09
Stressant ton texte, Martin ! On y est, planqués avec Jean René et Maximimien, en train de guetter ! Je suis impressionnée par l'ambiance que tu as su décrire, pour emmener le lecteur avec les protagonistes ! Bravo Martin !

Martin1

avatar 04/04/2020 @ 10:51:01
Merci !
Voilà l'image à laquelle je pensais quand je parle d'un marabout : https://flickr.com/photos/157145054@N02/…

Pieronnelle

avatar 04/04/2020 @ 11:42:07
J'adore ! Je pressentais quelque chose comme ça autour de ce village ; un côté surnaturel , prenant, superbement décrit, qui cotoie un côté burlesque avec ces deux compères qui ridiculisent un peu les villageois ." Les veilleurs de l'aurore" quelle belle idée ; en fait ce sont eux les protecteurs du village contre ce cruel marabout. Je me disais bien que mes pics verts étaient porteur d'un autre message...mais je me demande si ce village mérite bien ces "veilleurs...ton marabout me fait penser à ces masques au long nez qu' on portait pour se proteger de la peste...et si ce village...
J'aime vraiment tes écrits Martin, merci !

Evaetjean
avatar 04/04/2020 @ 11:57:06
"- Max, quel mot tu n’as pas compris hier soir lorsque je t’ai demandé de faire preuve de discrétion ?" me suis un peu reconnu dans le concept "quel mot tu n'as pas compris" vu le nombre de fois où je peux le dire à mon fils ;) !

Bon et bien punaise tu m'as foutu les chocottes ! Heureusement que je ne t'ai pas lu hier soir c'était cauchemars assurés ! Tout lu d'une traite me semble que j'en ai oublié de respirer pour être sûr de ne pas faire de bruit !! Les pics verts prennent à présent une tournure de protecteur contre cet espère de chose étrange ! Chapeau bas pour ce texte, merci Martin !


Cyclo
avatar 04/04/2020 @ 14:33:58
" Que le temps paraît long pour l’œil qui observe en silence". Voilà, tout est dit. belle surprise que ce marabout. J'avais l'impression d'être dans du Conan Doyle ou du Maurice Leblanc !

Darius
avatar 04/04/2020 @ 14:38:27
quel texte !! On peut tous aller se rhabiller.. tellement de belles images que cela en donne le tournis, on ne peut plus les compter.. tu es trop fort pour nous, Martin.. tu as atteint un niveau tel qu'on ne peut te rattraper..

Et l'idée de cet immense marabout noir, c'est génial, et ce suspense jusqu'au bout, va t'il attaquer ou non ?

merci Martin..

Magicite
avatar 05/04/2020 @ 15:47:29
Et bien je ne sais que dire sur ce texte.
Il y a du style une ambiance par ta belle écriture, recherchée. La première fois que je l'ai lu le mot marabout m'a plutôt fait penser à ces types qui (disent) prédisent l'avenir et guérissent des maux divers. Après plusieurs relecture ce point est clair mais je ne comprends pas tout. Peut-être est ce voulu, pensé comme un mystère mais ce n'est pas le côté fantastique qui ressort bien qu'un animal sauvage si familier avec des humains c'est plutôt étonnant.
Reste la description qui m'a un peut fait penser à du Poe. Incongru et baroque vision de la nature par l'homme et aussi poésie noire.
Le suspense, l'angoisse y sont, cette inexorable et détaillée vision horrifique mais je sait qu'en penser de ces veilleurs de l'aurore et j'aurais voulu comprendre autrement que par la vision du personnage de Jean-René qui pour moi exprime une terreur d'avoir surprit un oiseau à l'esthétique peu ragoûtante.

Tistou 03/03/2021 @ 22:39:42
Pour bien comprendre à distance les enjeux, rappelons que ceci était un exo en direct dont les données étaient :

Fake news, infox, faits alternatifs, …. Avec l’arrivée de Donald pour diriger l’Oncle Sam le phénomène a pris de l’ampleur et constitue une plaie.
Alors bien sûr on ne va pas suspecter un Média intègre tel que Critiques Libres de pratiquer cette déviance, et, pour sûr, l’épisode n°2 relaté par Arundhati révèle la vérité à la suite de l’épisode n°1 de Garance. Bien sûr, c’est la version officielle et recoupée.
Mais ce que je vous propose c’est d’écrire votre « version alternative », de faire votre Donald en prenant la suite de l’épisode n°1 de Garance (lien ci-dessous) :

http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Ca nous permettra de montrer à quel point la vérité peut être déformée par des mal-intentionnés ou des incultes. Du « fake news » pour de faux, pour la bonne cause.
Donc la contrainte est celle-ci : partant à la suite de l’épisode 1 de Garance, écrire votre version alternative (alternative à l’officielle, qui est là ; http://critiqueslibres.com/i.php/forum/… )
(ça peut porter sur des détails comme ça peut n’avoir rien à voir, être délire total, ce sera juste votre version alternative)
En 3 à 5 000 signes, que vous posterez sous l’extension :
Faits alternatifs : xxxxxx(votre titre)
On se donne quoi, … 1h15 – 1h30 ?

Du coup il m'a fallu me replonger dans le MM7, je ne me souvenais plus que c'était aussi bien !
Donc version alternative à "l'officielle" d'Arundhati ...

Alors c'est un marabout qui orchestrerait cette cacophonie pic-verdienne ? Ben voyons ! Le pourquoi du comment resterait à développer pour les suivants mais pourquoi pas. Une chose est certaine la vision du marabout est bien traitée. Pour avoir fréquenté ces oiseaux en Afrique Centrale, c'est tout à fait ça. Manque juste l'espèce de goître qui lui pendule sous le cou et qui le rend particulièrement ridicule. Bon mais le tien n'a pas fait rire nos deux acolytes. Ni certaine lectrice si j'en crois les commentaires !
Enfin, exit la version marabout, elle n'était qu'alternative, c'était la règle du jeu. Que chacune et chacun avait bien respectée par ailleurs. Ce fut un bel exo.

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