Fee carabine 01/09/2004 @ 04:36:48
Je n'ai pas lu le livre de Jean Hladik, et les commentaires qui suivent sont donc à prendre avec les réserves d'usage... Mais je suis pour le moins sceptique.

C'est vrai que j'ai tendance à être très méfiante en matière de "vulgarisation" scientifique, domaine où il se publie beaucoup de bêtises et où les malentendus abondent. Je crois qu'il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, pour rendre des théories scientifiques très pointues accessibles au grand public, il faut les simplifier et qui dit simplification, dit trahison. Ensuite, j'ai souvent l'impression que les profanes (et j'emploie ce mot sans aucune connotation péjorative!) ont une vision très "romantique" de la recherche scientifique. C'est l'image de Newton assoupi sous un pommier et qui découvre la gravitation universelle dans une illumination soudaine parce qu'une pomme vient de lui atterrir sur le nez. Dans la pratique, le travail de chercheur, c'est avant tout un travail de bénédictin. On part de ce que d'autres chercheurs ont publié, on remet en question un point de détail dans leur travail, on essaie de mettre au point une expérience pour vérifier une de leurs hypothèses (en soi, cela représente des mois de travail, qui ne seront pas nécessairement couronnés de succès... et je sais de quoi je parle). Bref, on ergote, on coupe des cheveux en quatre et finalement on avance à tout petits pas (tellement petits parfois qu'il faut être un spécialiste du sujet traité pour percevoir l'avancée en question). Et puis de temps en temps, mais il faut bien dire que c'est extrêmement rare, un des ces tout petits pas ouvre des perspectives immenses. Evidemment, l'histoire de Newton et de sa pomme, le coup de génie en somme, ça fait des bouquins infiniment plus captivants que le travail d'un chercheur au jour le jour, et ça se vend nettement mieux.

Alors, pour en revenir à Einstein et Poincaré et si je me souviens bien de mon cours de "Compléments de Physique" de 2ème candi (un fourre-tout, introduction à la mécanique quantique, introduction à la théorie de la relativité restreinte et à la thermodynamique statistique), mon - très bon - prof de l'époque nous avait expliqué que Poincaré avait formulé le cadre mathématique à partir duquel Einstein avait construit une interprétation physique qui est devenue la théorie de la relativité restreinte. Pour illustrer ce propos, je voudrais citer un court extrait de "The meaning of relativity" (Princeton University Press, 1974, traduit en Français chez Payot... ma critique suivra). Einstein traite de notions de géométrie analytique (choix de référentiel, notion d'invariants...) et il ajoute: "But for our purpose it is necessary to associate the fundamental concepts of geometry with natural objects; without such an association geometry is worthless for the physicist." Interpréter les équations de Poincaré en termes de grandeurs physiques, là se trouverait la contribution d'Einstein à la théorie de la relativité restreinte (un de ces petits pas qui ouvre de grandes perspectives dont je parlais plus haut).

Alors qui dit la vérité dans cette histoire? Jean Hladik lorsqu'il dit que toute la théorie de la relativité se trouvait déjà chez Poincaré, ou bien mon professeur pour qui Poincaré avait proposé des concepts mathématiques "abstraits", dont Einstein avait à son tour proposé une interprétation physique "concrète"? Pour le savoir le mieux serait de se plonger dans les articles originaux de Poincaré et d'Einstein. A ce sujet, j'aimerais d'ailleurs ouvrir une parenthèse: il ne suffit pas de comparer les dates de publication de deux articles pour établir sans ambiguïté l'antériorité de l'un ou de l'autre, il faut aussi tenir compte des délais de publication (qui peuvent varier très fort d'une revue à l'autre) et des conditions de diffusion, du choix de la langue de publication notamment (pour donner un exemple tiré de mon domaine de travail - la science des matériaux, surtout métallurgie physique - je ne lis pour ainsi dire jamais la revue de métallurgie, je pourrais puisque cette revue publie en Français mais je sais très bien que les articles qui y paraissent ne sont pas très novateurs... Un chercheur francophone qui a sous la main des résultats vraiment intéressants se donnera généralement la peine de rédiger son article en Anglais et de le soumettre à une revue d'envergure internationale...). Mais j'imagine que la situation en matière de publications scientifiques doit avoir beaucoup évolué depuis l'époque d'Einstein, en tout cas, ce serait intéressant d'en savoir plus à ce sujet (mais peut-être que Jean Hladik traite de cette question dans son livre?).

Et puis, autant être honnête ;-), je n'ai pour ma part nullement l'intention de lire les articles de Poincaré et d'Einstein parce que je suis bien convaincue que je n'y comprendrais goutte! Dans ces conditions, il ne reste plus qu'à s'en référer à une personne "compétente", ce qui m'amène à m'interroger sur le curriculum de Jean Hladik: est-il un chercheur (et dans ce cas, quel est son domaine de recherche?), ou bien un journaliste scientifique? Il me semble que ce serait intéressant, Sahkti, si tu pouvais nous donner un peu plus d'informations à ce sujet.

Enfin, il faut bien dire aussi que les scientifiques sont des hommes - ou des femmes - comme les autres. Ce ne sont pas des êtres purement rationnels (mais alors là, vraiment pas), et ils peuvent être d'une mauvaise foi crasse en fonction de leurs antipathies ou sympathies personelles (je ne m'exclus d'ailleurs pas du lot ;-)).

Et pour en finir avec Einstein le pillard, j'avais déjà entendu des rumeurs selon lesquelles il aurait abondamment pillé les travaux de sa première femme, elle aussi physicienne. Mais vraiment il faut un sacré flair que pour aller piller les travaux d'autrui concernant un bon nombre des questions qui se révèleront fondatrices pour la physique moderne (effet photoélectrique - ce qui lui valut son Nobel, relativité, mécanique quantique et statistique...). Si Einstein était un pillard, et bien, c'était un pillard de génie!

Monique 01/09/2004 @ 08:18:52
Magistral petit exposé, digne de figurer en exemple dans un stage d'Analyse de la Valeur pour expliquer qu'avant de dire quelque chose, il faut avoir rassemblé suffisamment d'éléments certifiés. J'aime bien cette rigueur et aussi cette modestie, finalement. Ca manque un peu de poésie, mais...

Sahkti
avatar 01/09/2004 @ 10:31:44
Jean Hladik est physicien, professeur et spécialiste de la relativité restreinte (il a rédigé plusieurs ouvrages sur le sujet), il me semble qu'en matière de théorie physique, il sait de quoi il parle.

Ensuite, je tiens à préciser si besoin en était que Jean Hladik parle de la relativité restreinte et non de la relativité générale, dont Einstein est bien l'heureux papa.
Il s'est basé sur les notes originales de Poincaré, sur les publications qui ont été faites au début du siècle et sur divers documents ( je crois qu'il a fait un bon boulot de recherche) avant d'affirmer que Einstein a vraisemblablement utilisé les notes de Poincaré et s'en est inspiré.
Ce n'est pas la première fois que j'entends parler de ces rumeurs d'usurpation et à chaque fois c'est pareil, il semble impossible qu'un grand monsieur comme Einstein ait pu, un jour ou l'autre, succomber à la faiblesse. Les mythes ne sont pourtant pas intouchables.

Je précise également dans mon commentaire sur le livre que Hladik est subjectif et que c'est parfois gênant, on sent qu'il a une dent contre Einstein et du coup, cette possibilité que le génial savant ait pu s'inspirer honteusement d'autrui est une bénédiction pour laisser libre cours à sa rancune, mais est-ce que cela signifie pour autant que l'ouvrage ne soit pas bon? Je ne pense pas, Hladik étaie ses faits, il s'est bien documenté, il a beaucoup fouillé et il nous livre un tas d'informations. A nous sans doute ensuite d'en faire ce que nous voulons et croire qui nous voulons.
Le fait qu'Einstein n'était pas une lumière pendant une bonne partie de sa vie n'est pas secret du tout, alors recopier un peu sur un camarade physicien, pourquoi pas?

Benoit
avatar 02/09/2004 @ 20:07:38
C'est vrai que c'est très intrigant, cette histoire.
Au départ, je pensais plutôt comme Fée Carabine : peut-être que la relativité restreinte était à l'état latent dans les travaux de Poincaré mais il a fallu qu'Einstein intervienne pour donner corps à la théorie.
Et sur le Net, je suis tombé sur un texte disant que les travaux de Poincaré n'étaient pas complets et l'intervention d'Einstein était nécessaire pour assembler le tout.
D'un autre côté, il y a quelques détails troublant : dans son texte de 1905, Einstein ne fait état d'aucune référence alors que ses résultats ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux de Poincaré. Pire, il dit qu'il n'avait jamais lu les travaux de Poincaré avant 1905... Alors qu'il avait un accès complet à ses travaux, ses résultats sont les mêmes et dans son texte apparaît le terme mathématique "groupe", ignoré des physiciens mais connu récemment des mathématiciens comme Poincaré...
Bref, il y a des trucs pas clairs dans l'histoire.

Quant au Prix Nobel qu'Einstein a reçu pour l'effet photoélectrique, il aurait dû le recevoir pour la théorie de la relativité restreinte. Mais Lorentz, sur les travaux duquel repose cette théorie, s'est rebiffé car il pensait que c'était Poincaré l'inventeur de la relativité... Et le comité Nobel s'est rabattu sur l'effet photoélectrique...
Mystère, mystère...
Jamais on saura le fin mot de l'histoire : tous les protagonistes sont morts et on peut faire dire tout et n'importe quoi à leurs travaux maintenant...

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