La littérature sans estomac de Pierre Jourde

La littérature sans estomac de Pierre Jourde

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire , Littérature => Francophone

Critiqué par Balamento, le 12 août 2004 (Inscrit le 7 août 2004, 59 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 380ème position).
Visites : 6 350  (depuis Novembre 2007)

Rafraîchissons-nous un peu.

Si vous faites partie de ces gens qui ouvrent plus de livres qu'ils n'en finissent et qui se demandent un peu pourquoi, sans néanmoins que ça leur bouscule de trop le ciboulot. Si vous aimez vous rafraîchir aux écritures jouissives et regrettez de n'en dénicher que trop peu dans les rayons. Si vous n'avez rien contre les types malaimés qui en viennent à pousser la subversion joyeuse, pied à pied, jusqu'à accéder au statut de vilains petits canards. Alors, alors, peut-être devriez vous découvrir cette très amusante, fraîche et indépendante critique de quelques modernes et nullissimes auteurs auxquels vous n'avez que peu de chance d'avoir échappé (et tout ça sans compter quelques pistes quant à de véritables écrivains, aussi, oui, oui).


Un extrait (à propos d'Angot) :

C'est ainsi que, dans un esprit toujours résolument moderne, Christine Angot fait un usage très personnel de la répétition :

'Il met des clémentines sur son sexe pour que je les mange. C'est dégoûtant, dégoûtant, dégoûtant, dégoûtant.'

Déplorons ici un peu de timidité dans la redite. Une page, une page et demie de "dégoûtant" auraient donné à la phrase sa pleine puissance. Autres exemples (les cas sont innombrables) :

'Tous ces gens là, c'est impossible, impossible, impossible, impossible de les appeler.

J'accouchais Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore Léonore Léonore Léonore Marie-Christine Léonore Léonore Léonore. Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore. Léonore Marie-Christine Marie-Christine Léonore.'

On regrette d'interrompre un tel régal. Car cela continue. La prose ici se fait musique, on songe à "la fille de Minos et Pasiphaë", du regretté Jean Racine, ou à l'alexandrin d'Alphonse Allais : Jen-Louis François Mahaut de la Quérantonnais". Et puis, c'est toujours une demi-page de remplie. Au prix où se négocie la demi-page de Christine Angot, elle aurait tort de se priver. D'ailleurs on sent la nécessité rythmique de la redite, la scansion puissante qui fait de cette prose un battement d'ailes lyrique :

'Excitation et excitation, jouie et joie, et puis déception et déception et déception et déception et déception encore, et déception, déception, déception, déception.'

C'est déjà très fort, mais intervient ici l'effet suprême, plus lourd de sens de se produire après un point :

'Déception.'

Là, on ne peut que ressentir pleinement la déception.


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Et, à signaler, le label qualité décerné à cet ouvrage : le prix de la Critique de l'Académie française.

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Les éditions

  • La littérature sans estomac [Texte imprimé] Pierre Jourde
    de Jourde, Pierre
    Pocket / Agora (Paris. 1985)
    ISBN : 9782266126205 ; 7,36 € ; 02/10/2003 ; 412 p. ; Poche
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Pour éclairer le lecteur

9 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 26 septembre 2015

C'est un livre très instructif que nous propose Pierre Jourde, surtout pour le lecteur qui découvre les écrivains contemporains et se sent un peu perdu dans la masse de livres proposés.

Par des analyses très argumentées, l'auteur passe en revue plusieurs écrivains qui connaissent ou ont connu un beau succès. Il évoque leurs faiblesses, leurs défauts, met en avant toutefois certaines qualités qu'ils ne semblent pas utiliser à bon escient.

Peu tendre avec certain(e)s, M. Jourde a dû se faire des ennemi(e)s à la sortie de cet ouvrage, mais éclaire bien le lecteur de ses connaissances, même si certaines études sont plus ardues.

De quoi se conforter dans ses choix, car qui n'a pas un jour lu un livre inintéressant, faible, plat, et pourtant... Le lecteur lambda oserait à peine en faire une mauvaise critique, car après tout, cet auteur a été publié...

L'auteur propose en fin d'ouvrage des analyses d'écrivains qu'il apprécie et soutient, pour prouver que tout n'est pas faible et que le lecteur a le droit d'être plus exigeant.

Un livre pour sourire, pour rire au vu de certains extraits choisis, mais aussi pour prendre conscience qu'il est difficile de ne pas se tromper dans nos choix de lecture puisque rien n'est fait, ou peu, pour nous guider réellement.

Quelle lecture-plaisir!

10 étoiles

Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 11 ans) - 18 janvier 2014

Oui, une véritable jouissance, cette lecture!
Les neurones exultent et le parasympathique s’éclate!

Ah!Ce "Toto écrit un roman" m'a fait mourir de rire!
Quant a la poésie...:-)))

(Je ne suis pas certaine que l'auteur apprécie un avis aussi chloroforme et aussi mou du g'nou mais j'assume!).

S'il est vrai que certains de ses choix peuvent prêter à débats entre lecteurs, son petit pamphlet, coup de gueule, est drôle mais percutant comme chacun de ses écrits, d'ailleurs.

La vraie littérature existe, oui, et elle est à relire.

Vive la polémique

8 étoiles

Critique de Béatrice (Paris, Inscrite le 7 décembre 2002, - ans) - 22 septembre 2009

Je n’adhère pas systématiquement à ses prises de position. Il attaque Philippe Sollers et cela me semble un règlement de compte trop appuyé. Les choix des auteurs qu’il porte aux nues me paraît discutable.

En revanche je salue la démarche : adieu critique consensuelle, vive la polémique. Les sections Rouge, Blanche et Ecrue et l’analyse consacrée à Houellebecq sont brillantes. Discours et argumentaire sans faille. Tout ce que j’attends d’un bon critique.

Piqure de rappel

10 étoiles

Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 14 août 2009

On se souvient (si peu...) de Julien Gracq et de son pamphlet "La littérature à l'estomac" (José Corti, éditeur). Il fallait que quelqu'un fît un travail comparable cinquante ans plus tard. Mission accomplie, grâce à un choix judicieux d'exemples parcourant à peu près tout le spectre éditorial contemporain. Ce travail était nécessaire et salutaire, n'en déplaise aux bibliothèques de gares ou d'aéroports...
Je ne vais pas paraphraser TELEMAQUE...il a tout dit !

Sur le fil du Rasoir

9 étoiles

Critique de TELEMAQUE (, Inscrit le 9 février 2006, 76 ans) - 19 avril 2007

Il y a dans la chaîne des Aravis une montagne qui s'appelle le Jallouvre. Petit sommet des Alpes du Nord, il se distingue de la montagne à vache des randonneurs du dimanche par un accès difficile et un passage vertigineux. L'accès se fait par une pente qui est constituée d'un pierrier, pente abrupte dont la montée sur les éboulis se fait deux pas en avant, un pas en arrière. Lorsqu'après des efforts dignes de Sisyphe on se trouve à proximité du sommet, il reste à franchir pour atteindre celui-ci une crête nommée "le Rasoir". Largeur: deux pieds, hauteur vertigineuse- n'ayons pas peur des qualificatifs hardis- à droite un trou, à gauche un gouffre. Longueur impressionnante ( ne craignons pas non plus les poncifs hardis, petit), qui donne l'impression (l'impressionnante impression que voila) renforcée par celle du vide, que l'on n'atteindra jamais ce sommet, d'où la vue pourtant est l'une des plus belles que l'on a sur les Alpes du Nord (et hop! comme dirait Achille Talon).
Voilà l'impression que j'ai eue en lisant le livre de Pierre Jourde. Sur le rasoir, à ma droite ce qu'il nomme l'écriture blanche, à ma gauche ce qui a nom chez lui écriture rouge. Et puis il y a l'écriture écrue, un peu devant, sous le sommet. Si je puis risquer un oxymore hardi, ces gouffres ont des sommets, des sommets qui touchent le fond, si je puis me permettre (vraiment comment osais-je?). Et je me permets, car ces sommets, sont pour certains des sommets de la pensée, tel Mao et le feu Conducator, Génie des Carpathes. Ces sommets qui touchent le fond, Pierre Jourde les nomme. Les sommets de la pensée d'abord: Philippe Sollers Combattant Majeur et son organe le Monde des Livres. Frédéric Beigbeder: et c'est Toto qui écrit un roman. Les autres qui sont les sommets du vide vertigineux (osons, osons l'image renversante et renversée), ont nom ... et puis non je ne suis pas ici pour cafter.
Laissons la parole à l'auteur. Page 206: " vous n'avez rien à dire, vous ne savez pas écrire, apprenez à faire résonner la platitude". Et d'ailleurs ils ne suffit pas de faire résonner la platitude, on peut même pour certains tenter de la faire raisonner. L'écriture blanche, l'écriture rouge: page 39 "dans les deux le désir de la singularité pour elle-même engendre le poncif".
L'écriture blanche, ainsi Roland Barthes nommait-il une écriture "innocente" par son "absence idéale de style". Elle a, selon Pierre Jourde "l'avantage de permettre aux plus dénués de talents de se prendre pour des écrivains". "Ils fabriquent donc des romancules qui ne s'engagent pas et qui n'engagent à rien" (page 189).
Le nouveau nouveau roman cherche à exploiter les ficelles du Nouveau Roman. Ou bien c'est une littérature de confort, romans de gare, compilations d'aphorismes qui trouve, grâce à un petit monde de l'édition plus que complaisant, un public subjugué par les dithyrambes de la critique. Et pour l'auteur, la littérature dans tout ça? Je n'ai pas envie de vous le révéler. Lisez "la littérature sans estomac" et sans l majuscule, de Pierre Jourde, puis lisez ou relisez Zola, Maupassant, Camus, Sartre, Kafka, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Umberto Eco, Georges Pérec, John le Carré, Conrad, Makine, Malraux, voire Philippe Gelück et Achille Talon, Flaubert et Simenon et l'inévitable, tant ma mémoire est défaillante, Jean Pacé Démeilleur. Alors vous en saurez plus sur la vie, les mots pour la dire, et vous re aimerez les mots pour eux-mêmes.

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