Autrefois le rivage de Paul Yoon

Autrefois le rivage de Paul Yoon
(Once the shore)

Catégorie(s) : Littérature => Nouvelles , Littérature => Anglophone

Critiqué par Ellane92, le 23 décembre 2014 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 48 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 345ème position).
Visites : 3 141 

70 ans d'une île coréenne

Autrefois le rivage est un recueil de huit nouvelles de l'américain Paul Yoon. Ces huit nouvelles couvrent chronologiquement soixante-dix ans de la vie de l'île de Solla, une île fictive située en Corée du Sud, avec sa montagne et ses forêts, et celle de ses habitants. Au cours de ces soixante-dix ans, le lecteur est amené à découvrir la vie de ces pêcheurs sous l'occupation japonaise puis américaine.
Ce recueil invite le lecteur à partager la vie intime d'une touriste en quête du souvenir de son mari et d'un serveur qui vient de perdre son frère, d'un couple vieillissant qui ne partage plus que la crainte du devenir de leur fils, pêcheur parti en mer lors d'un essai nucléaire américain imprévu, d'une jeune femme au père grabataire qui voit revenir son amour d'enfance, d'une jeune fille au pied bot dont le village accueille un déserteur américain, d'une jeune femme volontaire dans un hôpital et qui guette, aux frontières de la folie, l'arrivée de celui qu'elle aime, d'une vieille plongeuse qui prend sous son aile un jeune garçon infirme…
Toutes ces nouvelles ont en commun d'évoquer pour nous un peuple, dont la culture, les rituels, le fonctionnement, sont étouffés par les diverses occupations militaires dont il est l'objet. Toutes évoquent des personnages attachants, qui ont du mal à s'inscrire aussi bien dans le passé que dans leur présent. Tout en retenue poétique et pudique, la plume de Paul Yoon se fait la voix doucement mélancolique de ces destins communs d'un peuple et d'individus qui peinent à conserver leur identité dans un monde géré par d'autres et dont ils n'arrivent pas toujours à suivre les évolutions.
Ce recueil regroupe des nouvelles d'une grande qualité aussi bien littéraire "qu'historique", et même si toutes ont leur intérêt, "La fille du potier" m'a particulièrement touchée. A lire !


Il soufflait un grand vent à l'odeur saline. Bey regarda Soni tremper ses doigts dans le thé et en humecter ses lèvres craquelées. A travers ce geste, il mesura à quel point elle avait vieilli, comme si elle s'amenuisait avec chaque jour qui passait. Lui aussi, d'ailleurs. Peut-être le temps les rognerait-il suffisamment pour qu'ils soient de taille à entrer dans une poche. C'était en ces termes qu'il concevait la mort. Un amoindrissement.
[Au milieu du naufrage]

"Est-ce que c'était Kori ?" demanda-t-elle une dernière fois. Elle lui tint les mains pour les empêcher de bouger. Elle essuya avec ses pouces son menton humide de salive, frottant la peau mal rasée. "Je vais te le décrire, ça t'aidera à ta souvenir." Sojin ramassa la canne qui lui avait échappé et la posa en travers de ses genoux. Elle se tourna pour s'asseoir dos contre ses jambes. "Je l'ai connu enfant, mais ensuite il est parti."
Son père demeura immobile.
"Il a voyagé loin. Il a allumé des incendies."
Elle entendit son père remuer, respirant lentement.
"Je trouvais que c'était beau. Et je l'aimais."
[La forêt incendiée]


Un soir il y avait eu une pluie de météores, et Linn et ses parents avaient veillé pour aller l'observer du haut de la colline. Ils avaient bu du thé, drapés dans une couverture, et pour chaque étoile qui tombait, ils avaient rendu hommage à un de leurs défunts. Et les vivants, alors ? Linn avait posé la question, et son père avait pointé son doigt vers toutes les étoiles suspendues, celles qui ne tomberaient pas avant de longues années.
[Cherche-moi dans le camphrier]

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Les éditions

  • Autrefois le rivage [Texte imprimé], nouvelles Paul Yoon traduit de l'anglais (États-Unis) par Marina Boraso
    de Yoon, Paul Boraso, Marina (Traducteur)
    Albin Michel / Les Grandes traductions
    ISBN : 9782226256171 ; 20,00 € ; 02/04/2014 ; 275 p. ; Format Broché
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Hommage aux pays inconnu

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 9 avril 2015

Pour héberger les histoires de ce recueil, Paul Yoon a inventé une île comme toutes celles qui sont dispersées à l’est de la Corée, qui ont longtemps balancé, au gré des aléas de l’histoire, entre ce pays et le Japon. Ses nouvelles racontent la vie des îliens de Sola, le plus souvent des gens de la terre qui sont, comme tous les îliens, fascinés par l’étendue de la mer et ce qui se cache derrière l’horizon.

Les textes de Paul Yoon sont empreints d’une grande sensibilité, ils évoquent ce qui touche les êtres, souvent des femmes fragiles en rupture avec leur milieu, abandonnées par des maris partis et parfois restés à la guerre, des femmes qui ont déjà vécu, au plus profond de leur intimité, à la limite du conscient et du subconscient, parfois même aux confins de la folie quand le réel s’évapore pour laisser place à l’imaginaire et aux fantasmes. L’auteur saisit toujours ses héros, plus souvent ses héroïnes, au moment où ils sont en équilibre entre un monde difficile mais supportable et un état nouveau provoqué par un drame imprévu, souvent la mort d’un être cher qui vient tout bousculer dans leur existence déjà bien précaire.

J’ai eu l’impression à la lecture de ces nouvelles que Paul Yoon cherchait à faire revivre des gens qu’il n’a pas connus mais qu’il aime profondément. En effet, il est né en 1980 aux Etats-Unis où il a suivi tout son cursus scolaire et universitaire, et il raconte souvent des histoires qui concernent des gens qui vivaient avant sa naissance, des îliens toujours marqués par la guerre du Pacifique ou sa suivante, celle de Corée. J’ai ainsi eu le sentiment que ce jeune homme voulait rendre un hommage à ses ancêtres en leur adressant ces textes qui évoquent avec une touchante nostalgie le pays d’origine où il n’est pas né, les ancêtres qu’il n’a pas connus et les racines culturelles qu’il cultive dans son œuvre littéraire. Son écriture, même si elle est marquée par sa culture américaine, m’a rappelé des auteurs coréens dont j’ai lu les œuvres il y a déjà plusieurs années : Yi Munyol, Cho Sehui, Ch’oe Inho, …, des auteurs qui s’expriment souvent, comme lui, à travers des nouvelles d’une grande sensibilité, des textes un peu elliptiques où la chute est souvent remplacée par des points de suspension imaginaires, un silence en suspens laissé à la disposition du lecteur.

Ces nouvelles rappellent toujours la fragilité et l’éphémérité de la vie de ces gens simples et innocents, suspendue en équilibre très précaire, exposée à des aléas brutaux et imprévus que personne ne peut anticiper surtout pas ces pauvres îliens coincés entre terre et eaux, entre Corée et Japon, entre rêve et réalité, quotité négligeable devant l’histoire et les éléments, l’eau, la terre et le feu, qui jouent un rôle important dans chacun des textes.

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