Le lys de Brooklyn de Betty Smith

Le lys de Brooklyn de Betty Smith
(A tree grows in Brooklyn)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Myrco, le 10 août 2014 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 10 étoiles
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Un beau roman d'apprentissage, culte...

Qui (au moins dans ma génération) n'a jamais entendu parler du "Lys de Brooklyn" paru en 1943, porté à l'écran par Elia Kazan dès 1945 et qui demeure un roman culte de la littérature américaine? Ne voit-on pas, dans un épisode de la fameuse série "Band of brothers" consacré, je crois, à la bataille des Ardennes, un soldat américain trompant son attente au fond de son trou de souris avec un exemplaire de "A tree grows in Brooklyn" ?

Cet arbre "certaines gens (l') appellent "monte au ciel", où que tombe sa graine, un petit arbre sort de terre qui se met à lutter pour vivre, comme s'il s'efforçait vraiment d'atteindre le ciel (...). C'est le seul arbre au monde qui puisse pousser dans du ciment. Il grandit, regorgeant de force et de sève, survivant à tout..."
Francie Nolan, notre jeune héroïne, grandira à l'aube du XXème siècle dans le quartier de Williamsburg, le plus déshérité de Brooklyn, à l'image de cet arbre devenu "lys" dans la belle traduction originale de Maurice Beerblock, titre plus poétique quoique moins fidèle à l'intention de l'auteure.

Ce sont cette enfance, puis cette adolescence d'une fillette solitaire et rêveuse, au sein d'une famille pauvre issue de l'immigration, que nous raconte Betty Smith, jusqu'au seuil d'une vie de jeune femme qui s'ouvre pour elle vers la fin de la Première guerre mondiale.
Entre un père aimant et compréhensif, quelque part au-dessus du lot, mais résigné et fantaisiste, incapable de faire face à ses responsabilités et se réfugiant dans l'alcool, une mère courageuse, fière et volontaire mais peu démonstrative et ne pouvant s'empêcher de lui préférer son petit frère Neeley, les incursions de ses tantes maternelles dont une Sissi pétillante, volage et généreuse... Francie fera l'apprentissage de la vie ponctuée de drame et de petits bonheurs, et des vicissitudes liées à sa condition.
Dans le foyer Nolan, on connait la valeur d'un sou durement gagné et Katie, la mère, ne manque pas d'ingéniosité pour gérer la pénurie. Confrontée à la société, Francie connaîtra l'humiliation (la vaccination), celle de la pauvreté que de plus nantis vous jettent au visage avec parfois les meilleures intentions du monde (la poupée) ...mais aussi parfois une certaine solidarité même si elle est rarement totalement désintéressée (Mc Garrity) .

Pourtant, jamais le roman ne sombre dans le misérabilisme. L'amour infini de la fille pour son père, qui ne veut retenir de lui que ses dons et sa prestance, l'admiration malgré tout éprouvée pour les comportements positifs de la mère (qui lui aura transmis sa fierté et sa force de caractère) ne cesseront de transfigurer une réalité difficile.
Contrairement à beaucoup d'enfants de son milieu comme ces "garçons qui se ressemblaient (...) étroits d'épaules et le dos rond, penchés en avant, le cou tendu de convoitise (qui) grandiraient ainsi, toujours pareils à eux-mêmes" soumis à leur fatalité sociale, Francie cultivera une double passion salvatrice : l'amour des livres et de l'écriture qui lui permettra de s'élever par l'éducation comme l'avaient rêvé sa mère et sa grand-mère pour leurs enfants. Elle apprendra que d'autres mondes peuvent être accessibles à une enfant intelligente pourvu qu'on le veuille vraiment même s'il faut parfois hélas tricher un peu (sa nouvelle école) et bien d'autres choses encore...

Par ailleurs, Betty Smith nous fait revivre le pittoresque du Brooklyn de ces années-là, nous immerge dans la vie d'un quartier où se côtoyaient des communautés d'origines différentes entretenant souvent entre elles un racisme ordinaire. Elle porte également un regard lucide sur certains aspects de la société américaine : la discrimination en fonction du nombre de générations nées sur le sol américain, la condition des travailleurs, l'importance des syndicats, le manque de solidarité même entre plus démunis (échos à J. London), le clientélisme des partis politiques...

On a souvent souligné le caractère très autobiographique de ce roman. Betty Smith a effectivement grandi dans le quartier de Williamsburg; l'extrême justesse ressentie de certaines notations ne peut qu'avoir été puisée dans son propre vécu. Il apparaît néanmoins très probable que nombre de séquences relèvent d'une pure imagination dont elle fait d'ailleurs une apologie en forme de clin d'œil lorsqu'elle évoque les recommandations de son professeur: "A l'avenir, quand un évènement se produira, rapporte le exactement comme il s'est produit; mais écris la façon dont tu trouves qu'il eût dû ou pu se produire" (...) "le meilleur conseil que Francie eût jamais reçu"

L'une des forces de ce roman et son charme me semblent venir du fait qu'il joue de manière subtile, sous une apparente simplicité, sur un double regard : celui de l'enfance et de l'adolescence, et celui, décalé, de l'adulte qui raconte, entre tendresse et nostalgie, lucidité et vision magnifiée d'une réalité plutôt triste mais néanmoins précieuse parce qu'à jamais perdue. Si je regrette de ne pas avoir lu ce roman dans ma jeunesse car il aurait fait partie de mes inoubliables, je me demande si j'aurais alors été si réceptive à cette sensibilisation au temps qui passe, à cette invitation à porter un regard intense sur certains moments pour mieux être en mesure de les revivre en conservant leur richesse intacte.

Pour conclure, même s'il me semble s'adresser à un lectorat plutôt féminin (?), je ne puis que recommander ce roman sensible, juste, accessible à tous (700 pages à dévorer sans s'en apercevoir) : un beau moment de lecture toute indiquée pour ces vacances pluvieuses !

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Les éditions

  • Le lys de Brooklyn [Texte imprimé] Betty Smith traduit de l'américain par Maurice Beerblock
    de Smith, Betty Beerblock, Maurice (Traducteur)
    Belfond / [Vintage] (Paris. 2012)
    ISBN : 9782714457325 ; 19,00 € ; 20/03/2014 ; 708 p. ; Broché
  • Le lys de Brooklyn [Texte imprimé] Betty Smith traduit de l'anglais (États-Unis) par Maurice Beerblock
    de Smith, Betty Beerblock, Maurice (Traducteur)
    10-18 / 10-18
    ISBN : 9782264068163 ; EUR 9,60 ; 02/06/2016 ; 696 p. ; Poche
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  Oui un livre culte 7 Pieronnelle 12 août 2014 @ 17:36

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