L'année de la pensée magique de Joan Didion

L'année de la pensée magique de Joan Didion
(The year of magical thinking)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Sciences humaines et exactes => Psychologie

Critiqué par Gabri, le 10 janvier 2011 (Inscrite le 28 juillet 2006, 37 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 297ème position).
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La mort et ceux qui restent

"La vie change vite. La vie change dans l’instant. On s’apprête à dîner et la vie telle qu’on la connaît s’arrête."

Ainsi s’ouvre le récit autobiographique de l’auteure américaine Joan Didion, qui y relate l’année suivant la mort de son mari. Le 30 décembre 2003, au retour d’une visite à leur fille qui se trouve hospitalisée en soins intensifs, John Gregory Dunne est victime d’une fulgurante crise cardiaque à laquelle il succombe aussitôt. La journée qui s’annonçait ordinaire devient alors pour Joan Didion celle de la mort brutale de son mari. C’est ainsi que commence pour elle "l’année de la pensée magique". Cette année où, malgré tout le rationnel qui caractérise l’auteure, une partie d’elle-même restera persuadée que son mari reviendra un jour. Parallèlement à son deuil, l’état de sa seule et unique fille ne progresse pas. Celle-ci vit de sérieux problèmes médicaux et repose entre la vie et la mort.

On aura compris que ce n’est pas un récit très joyeux. C’est un livre qui est dur parce qu’il renvoie à cette peur universelle de perdre quelqu’un qui nous est proche. Ceux qui ont vécu un deuil ou qui ont entouré un proche l’ayant vécu se reconnaîtront assurément dans cette dissection de l’année suivant la mort. Entre autres, parce que Joan Didion ne se laisse jamais aller dans le pathos ou dans l’apitoiement. Son récit, bien que personnel, se veut une analyse rationnelle des effets de la mort d’un proche sur ceux qui restent. C’est une prise de conscience sur les réactions, pensées et convictions spontanées qui suivent et qui restent malgré la conscience du caractère émotif qu’elles comportent.

"Lis, apprends, révise, va aux textes. Savoir, c’est contrôler". Cette philosophie, inculquée à l’auteure tôt dans son enfance, va aussi marquer le récit. Tout au long du livre, des références à d’autres écrits et recherches sont parsemées ici et là. Au bout du compte, c’est dans la littérature que Joan Didion trouve le plus de réconfort.

Ce récit a remporté plusieurs prix, dont celui de "livre de l’année" en 2006 aux États-Unis et le prix Médicis de l’essai en 2007. On le dit déjà considéré comme un classique de la littérature sur le deuil. Personnellement, je l’ai lu presque d’une traite. J’ai beaucoup aimé, malgré le côté très noir de cette lecture.

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Les éditions

  • L'année de la pensée magique [Texte imprimé] Joan Didion traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
    de Didion, Joan Demarty, Pierre (Traducteur)
    B. Grasset
    ISBN : 9782246712510 ; 19,20 € ; 05/09/2007 ; 281 p. ; Broché
  • L'année de la pensée magique [Texte imprimé] Joan Didion traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
    de Didion, Joan Demarty, Pierre (Traducteur)
    le Livre de poche / Le Livre de poche
    ISBN : 9782253126331 ; 7,70 € ; 18/11/2009 ; 281 p. ; Poche
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Un deuil

9 étoiles

Critique de Clara33 (, Inscrite le 29 septembre 2008, 76 ans) - 8 novembre 2014

Joan DIDION raconte cette première année qui suit la mort brutale de son mari. C'est un récit sincère, à l'état brut, sans fioritures, sans larmes.

Une urgence s'impose d'abord: reconstituer les derniers moments, comprendre l'enchainement fatal qui conduit à la mort, revenir encore et encore sur cette soirée où ils étaient ensemble et où la seconde d'après tout s'est figé, arrêté pour toujours, faisant voler en éclat une complicité de quarante ans.

C'est aussi un enchainement dramatique qui se produit alors, puisque au même moment J. Didion doit s'occuper de sa fille, Quintana, entre la vie et la mort aux urgences, confirmant qu'un malheur n'arrive jamais seul.

J. Didion nous confie avec beaucoup de pudeur toute l'horreur de cette première année de deuil. Elégance de la femme de lettres qui a appris à se raisonner, à rationaliser, à comprendre, mais la mort ne peut être raisonnée.
Le véritable chagrin est indicible. Il est au delà des mots...

Comme beaucoup d'endeuillés, elle ne veut pas se confronter à la réalité de la disparition. Elle cherche alors des explications, elle ressasse. Qui n'a pas connu ces moments où la douleur est telle qu'elle confine à une sorte de folie, l'irrationalité fait alors le nid de la "pensée magique" qui s'insinue subrepticement : "et s'il revenait? et si je pouvais le faire revenir".

Fort

9 étoiles

Critique de Anonyme12 (, Inscrite le 27 février 2010, 14 ans) - 11 août 2014

C'est au détour d'une interview de Fanny Ardant que j'ai découvert Joan Didion , un peu par hasard.
J'avais déjà été attirée par son écriture ciselée, sèche de "Maria avec ou sans rien", et j'avais envie de continuer d'approcher cette sensibilité avec un recueil qui parle de la mort... Drôle d'idée qui faisait sans doute écho à des épreuves personnelles et je dirais: quelle évocation , toute en pudeur et retenue, qu'est ce que la mort si difficile à rationaliser. Qu'apprend on d'elle ? L'expérience suffit-elle ?
Alors, et c'est le titre, la pensée magique sauve, colmate, transfigure, complète la pensée rationnelle, le chagrin crée un monde parallèle, hors du codifiable , où l'on s'attache aux souvenirs de dîners , d'une paire de chaussures ou de phrases entendues.
J'y vois aussi une critique mordante de la vacuité de l'existence, de l'effet" paillettes", et une certaine désillusion de cette Amérique.
Très juste et touchant témoignage du "comment faire face", Didion nous transmet une étonnante énergie.

La mort brutale

8 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 30 décembre 2013

Comment passe-t-on de la vie ordinaire au cauchemar absolu ? C'est très simple : en une fraction de seconde. « Et puis plus rien - disparu », commente Joan Didion. L'instant d'avant, l'écrivain John Gregory Dunne, son mari depuis quarante ans, buvait son whisky du soir au salon, L'instant d'après, il était ce corps que les pompiers ne parviendront pas à réanimer. Commencé « neuf mois et cinq jours » après cette soirée funeste, le livre de Joan Didion est une tentative pour comprendre,mais comprendre quoi...

Il faut dire aussi que tous deux revenaient d'un service de réanimation où leur fille unique, Quintana, était entre la vie et la mort ( Quintana est morte après la sortie du livre...).

« Savoir, c'était contrôler », écrit-elle. Hélas non. Et on lit là le récit d'une femme habituée à tout contrôler, et qui, là, ne comprend pas pourquoi il en est autrement.
Alors elle écrit. Tout. Avec tous les détails, les souvenirs, comme si , comme dans les scénarios qu'elle écrivait avec son mari, elle pouvait changer la fin du film...
Elle entre dans les univers bien connus ( enfin, que seuls peuvent comprendre ceux qui l'ont connu de très près) du deuil. La culpabilité, bien sûr ( et si j'avais fait autrement, est ce que???) . La prise de conscience de ses jugements très sévères sur d'autres:
"Je me souviens du mépris que m'avait inspiré le livre écrit par la veuve de Dylan Thomas, Caitlin, après la mort de son mari, Leftover life to kill. Je me souviens de mon dédain, de ma sévérité envers sa façon de ‘s'apitoyer', de ‘geindre', de ‘s'appesantir'. Leftover life to kill est paru en 1957. J'avais vingt-deux ans. Le temps est l'école où nous apprenons".

Et puis aussi, la conscience de ce qu'elle perd, qui n'est pas seulement l'homme aimé, mais aussi son regard sur elle:

Le mariage, ce n'est pas seulement le temps ; c'est aussi, paradoxalement, le déni du temps. Pendant quarante ans, je me suis vue à travers le regard de John. Je n'ai pas vieilli. Cette année, pour la première fois depuis mes vingt-neuf ans, je me suis vue à travers le regard des autres ; pour la première fois, j'ai compris que j'avais de moi-même l'image d'une personne beaucoup plus jeune. Nous sommes d'imparfaits mortels, ainsi faits que lorsque nous pleurons nos pertes, c'est aussi, pour le meilleur et pour le pire, nous-mêmes que nous pleurons. Tels que nous étions. Tels que nous ne sommes plus. Tels qu'un jour nous ne serons plus du tout"..

Ce texte , qui a quelquefois la froideur clinique des rapports médicaux, m'a fait penser à certains rescapés d'accidents indemnes , mais dont des membres de la famille sont morts. Le contact n'est plus possible, ils sont eux aussi dans un autre monde. C'est très retenu, presque sec, mais on sent que Joan Didion écrit ainsi parce que tout ce qui lui reste est justement le contrôle de l'écriture, et que sinon, elle sombre.

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