La Terre Promise - Flamands en Wallonie de Pascal Verbeken

La Terre Promise - Flamands en Wallonie de Pascal Verbeken
( Arm Wallonië : een reis door het beloofde land)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par B1p, le 16 mai 2010 (Inscrit le 4 janvier 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
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Flux et reflux

A l'aube du 20e siècle, le journaliste et activiste wallon Auguste de Winne* parcourt les Flandres. Il est porté par ses idéaux socialistes et veut rendre compte de la pauvreté des ouvriers flamands, maintenus dans un état de misère à peine descriptible par les nantis et l'Eglise.

Plus d'un siècle plus tard, le journaliste flamand Pascal Verbeken enfourche sa moto et s'en va sur les routes de la Wallonie. Pas n'importe laquelle : celle qui a jadis importé la main-d'oeuvre flamande sans le sou pour nourrir les industries avides d'hommes facilement corvéables, pouvant travailler dans des conditions qu'on jugerait maintenant dégradantes. Mais malgré les difficultés, la mine et la sidérurgie wallonnes leur apportaient alors un salaire, de quoi échapper à la misère et à tout ce qui s'ensuit.

Il est difficile de résumer le livre ici présent. Je me contenterai de rendre compte de ce qui m'a semblé affleurer à travers ces pages de témoignages et ces récits de périples à moto à travers les paysages wallons marqués par leur passé glorieux dont ils n'ont pas réussi à se dégager.

Ce qui me semble d'emblée assez remarquable, c'est l'approche de Pascal Verbeken. Il délaisse les approches journalistiques qui consistent à utiliser des formules toutes faites. Grâce à lui, on s'éloigne des clichés qui nous sont trop facilement balancés au détour des journaux. Il laisse la parole aux gens et se garde de juger. Il suggère au plus, mais ce sont ses intervenants qui émettent leurs propres conclusions. Il faut dire que Verbeken s'abandonne lui aussi à la poésie de chaque endroit, fût-il débarrassé de sa richesse passée, ce qui rend l'ouvrage aussi émouvant qu'il est informatif.

Il y a un siècle, donc, vivait une Wallonie glorieuse, avec ses industries de pointe qui faisait de cette région l'une des plus prestigieuses au monde pour la qualité de son entreprenariat. Le prolétariat flamand venait y chercher un travail qu'il ne trouvait pas au nord du pays.
La situation n'était certes pas idyllique : la Wallonie, qui se plaît à se proclamer terre d'intégration, ne rendait pas la vie facile à ceux qui venaient y chercher du travail. Les journaux d'époque relataient inlassablement les faits (réels ou imaginaires) des "Flamands", prompts à boire et à jouer du couteau dans les kermesses des environs de Charleroi, La Louvière ou Liège. Les Flamands constituaient alors la première vague d'immigration et faisaient la une des faits divers des journaux, bien avant que les Italiens puis les Turcs et les Marocains viennent les y remplacer alors même que l'industrie wallonne amorce son déclin dans les années 60.

Que reste-t-il de cet afflux de travailleurs du nord qui commença il y a un siècle et demi ? Des noms, à la devanture des maisons et sur les dalles des cimetières. Des dizaines de milliers de descendants de la 1e, 2e voire 5e génération. (Les "Cools", "Onkelinx" et "Van Cauwenberghe" n'en sont pas des moindres !) Mais comme en témoigne la recherche de témoins poursuivie par Pascal Verbeken, il en subsiste surtout un chose : l'oubli.

Car tout le monde semble se plaire à effacer le fait historique. Bart De Wever lorsqu'il vient déverser de faux billets au pied des ascenseurs de Strépy (pour symboliser les transferts financiers du nord vers le sud), alors même qu'il est au bord d'un canal qui a été creusé par des centaines d'ouvriers besogneux venus du nord. Mais surtout (et nous éviterons par là de trop parler de politique), par les descendants eux-mêmes, dont l'appartenance à la nation flamande est presque complètement effacée. Car l'intégration rapide à leur terre d'accueil a été réalisée par leur complète assimilation : les flamands immigrés en Wallonie se sont un jour réveillés wallons.

Il n'empêche. Le passé et la curieuse façon dont les médias et les politiques interprètent le présent laissent des traces et appellent l'amertume. Car Pascal verbeken laisse parler ses témoins. Et l'image de la Wallonie qui s'en dégage tranche avec les interprétations qu'on se plaît d'habitude à propager.

Oui, le chômage dans les régions qui ne se sont pas reconverties après l'écroulement de l'industrie lourde dépasse parfois les 30%. Mais on aurait tort de chercher un bouc émissaire parmi ses habitants. L'apogée de la mine et de la sidérurgie a provoqué un afflux de main-d'oeuvre qui est malheureusement restée sur le carreau lorsque la vague de la réussite industrielle s'est retirée.
Les pouvoirs publics se sont accrochés à leur passé sans penser à préparer un avenir. Et un plan Marshall pour la Wallonie ne changera pas grand chose à la situation pour l'écrasante majorité des laissés pour compte peu instruits et peu formés qui ne pourront prendre le train de la Wallonie qui gagne, où instruction et qualifications seront requises.

La faute à qui ? Difficile à dire. Les "affaires" du parti socialiste de Charleroi ne sont qu'anecdotiques dans le processus.
Le politique est-il responsable du déclin ? On peut le croire. Le Wallon a peut-être simplement cru que la solution des problèmes venait par l'action politique. Or, on sait bien que le pouvoir économique décide en des lieux qui dépassent les actions des politiques de gauche ou de droite.

Une certitude tout de même : pour que la Wallonie se redresse, il faudra que le Wallon recommence à y croire et à faire confiance à ses propres capacités. C'est moins dans la politique wallonne qu'en lui-même qu'il devra trouver la conviction et l'énergie pour rebondir. Encore faudra-t-il qu'on l'aide à redorer son image de lui-même...

Alors que Pascal Verbeken enfourche sa moto pour retourner tout là haut, là d'où il vient, à la sortie de Liège, un panneau routier lui permet encore d'y croire, dans son approche lyrique.

"La sortie menant à l'échangeur se trouve juste en face. Et près de cette sortie, un panneau indique : "Toutes directions"."

Tout n'est en effet jamais perdu.

*descendant d'une famille flamande issue de Ninove

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Les éditions

  • La terre promise [Texte imprimé], Flamands en Wallonie Pascal Verbeken d'Auguste de Winne essai traduit du néerlandais (Belgique) par Anne-Laure Vignaux préface de Geert van Istendael
    de Verbeken, Pascal Vignaux, Anne-Laure (Traducteur)
    le Castor astral / Escales des lettres
    ISBN : 9782859208011 ; 12,06 € ; 07/01/2010 ; 316 p. ; Broché
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