Le chagrin de la guerre de Bảo Ninh

Le chagrin de la guerre de Bảo Ninh
( Nôi buôn chiên tranh)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Romans historiques

Critiqué par Falgo, le 4 octobre 2008 (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 84 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 555ème position).
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Plongée au coeur de la guerre

"La guerre, comme l'amour, ne se raconte pas", écrit le traducteur dans sa préface à cette oeuvre hallucinée qui tente, justement, de raconter la guerre.
Kiên est revenu dans son village après dix ans d'une guerre épouvantable (y en a t'il d'autres?). Il rassemble ses souvenirs et les jette en désordre sur des papiers. Il s'en suit un récit criant de vérité qui mêle faits du passé et difficultés de se retrouver chez soi, scènes de guerre et de bombardement, amours passagères et amour sans fin.
S'il ne suit pas un plan chronologique, le texte fait pénétrer dans la tête d'un écrivain qui rassemble des évènements passés et tente de leur trouver un sens. Le désordre des souvenirs est tenu par ce fil rouge de la recherche du sens de la vie, de la mort, de la guerre. C'est un livre terrible où la guerre elle-même voisine à chaque page avec l'horreur de la faire (il faut sauver sa peau) et l'espoir d'un monde meilleur qui, par moments, apparaît.
Nous connaissons généralement mieux la guerre du Vietnam du côté des américains qui de littérature en cinéma nous ont montré leur point de vue. Cette plongée du côté nord-vietnamien est dérangeante, exigeante, en un mot salutaire.

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Après la guerre, après l'amour

9 étoiles

Critique de Poignant (Poitiers, Inscrit le 2 août 2010, 57 ans) - 29 juillet 2012

1975, la guerre du Vietnam vient de se terminer avec la chute de Saigon.
Kiên, 30 ans, soldat de l'armée communiste du nord, fait partie de l'unité qui recueille les ossements des combattants éparpillés dans les multiples zones de combat. Au bout de 10 ans de guerre, seul survivant de sa brigade d'éclaireurs, il rentre chez lui à Hanoï et retrouve Phuong, son amour de jeunesse.
Mais son retour à la vie civile se révèle vite catastrophique. Kiên se met à boire et à écrire...

Nous connaissons tous la guerre du Vietnam à travers le cinéma ou la littérature américaine, mais je ne savais rien du point de vue vietnamien. Pour le découvrir, lire le « Chagrin de la guerre » est idéal.
Ce roman nous fait plonger dans l'univers confus et chaotique d'un survivant hanté par les morts, traumatisé par l'horreur, qui ne sait plus retrouver une vie normale, aimer sa femme.
L'auteur, Bao Ninh, authentique héros de guerre, développe dans cet unique récit une écriture puissante et intense. L'absence de structure nous fait ressentir avec force le désarroi de Kiên, son incapacité à dissiper les fantômes du passé.
Ce grand roman, symbole de la renaissance littéraire de son pays, a connu une existence chaotique : paru au Vietnam en 1987, d'abord rejeté par le pouvoir communiste, diffusé par photocopie, puis publié en occident au début des années 90 pour enfin connaitre un succès mondial.

L'évocation superposée des trois vies de Kiên (avant, pendant et après la guerre), crée des changements de rythme. On passe de la douce nostalgie de la jeunesse à l'horreur des combats, puis au vide d'une vie dépourvue de sens. La lecture n'en est pas toujours facile. On a parfois l'impression de subir des répétitions, les pages deviennent longues et la dynamique du récit s'épuise pour finalement rebondir.
Mais ce livre mérite que l'on s'accroche tant il est authentique, beau, fort et émouvant. C'est un témoignage exceptionnel sur la guerre du Vietnam et ses traumatismes, mais il sait se dégager du contexte local pour prendre une dimension vraiment universelle.
A découvrir et à faire lire.

LA GUERRE POUR SOLDE DE TOUT COMPTE

9 étoiles

Critique de TRIEB (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans) - 23 mai 2012

Comment exorciser l’agonie de ses guerres ? Par la littérature, canal efficace dans ce domaine en Occident pour la description des conséquences des première et seconde guerres mondiales, pour ne nommer que celles-là. Dans Le chagrin de la guerre, Bao Ninh, membre d’une nouvelle génération d’écrivains au Viêtnam, tente cet exorcisme par la fiction romanesque.

Kiên, homme de trente ans, ancien combattant de la guerre du Viêtnam, revient sur les lieux de son adolescence prématurément écourtée par la mobilisation. Pour reconstituer sa vie, lui redonner une cohérence rétrospective, Kiên écrit sa vie, son engagement, son amour, toujours vivace pour Phuong, rencontrée dans les jardins de Hanoï.

Ce n’est pas à une plate apologie de la guerre que nous conduit le roman, mais à une suite de descriptions d’états d’âme, à l’exposition d’interrogations, de questionnements graves, que les peuples les plus éprouvés par un long conflit ont connu, ce qui est le cas du peuple vietnamien.
Ainsi, de la perception de la guerre, de sa nature cruelle : « Hélas, la guerre, c’est un monde sans foyer, sans racine, une errance pitoyable, grandiose, sans fin, un monde sans hommes, sans femmes, sans sentiments, sans désirs, le monde le plus désolant (…) qu’aient inventé les hommes. »

Autre point, commun à la littérature occidentale de la guerre, l’espoir immense exprimé que cette guerre est la dernière de l’espèce : « Pour lui, c’était la dernière des guerres. Malgré le caractère sacré, douloureux de cette lutte contre les Américains, la guerre s’inscrivait dans son cœur comme les paroles d’un testament, qui n’apportaient rien à sa vie présente, mais qui restaient profondément ancrées dans sa conscience. »
Le long de ce récit, Kiên se pose bien sûr la question : comment surmonter la guerre, ses séquelles, ses blessures. Les réponses sont données par le père de Kiên, mourant : « Le temps nouveau viendra. Radieux. Magnifique… Mais jamais la tristesse ne s’éteindra …Il restera la tristesse …La tristesse immémoriale qu’on se passe de génération en génération .Je n’ai rien d’autre à te laisser qu’elle, la tristesse. »

A la fin de l’ouvrage, l’auteur laisse entrevoir une victoire des forces de vie « Nous avons survécu à la guerre, pour revenir, chacun par un chemin qui lui est propre, dans la vie (….) mais c’est la meilleure vie qu’il nous soit donné d’espérer car c’est une vie dans la paix. »
La littérature vietnamienne contemporaine vient de conquérir à coup sûr ses lettres de noblesse . Le chagrin de la guerre est un grand roman, à multiples facettes, d’une grande finesse psychologique . A découvrir de toute urgence.

Triste retour du bout de l'enfer

10 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans) - 29 janvier 2012

Bao Ninh, auteur de ce seul et unique roman interdit au Vietnam, fait partie des 10 survivants -sur 500 partis en 69-de la "27ème Glorieuse de la Jeunesse".

Son "Chagrin de la guerre" constitue moins un récit de guerre -il l'est néanmoins (*)-qu'une réflexion, une variation, au travers d'une expérience de création littéraire singulière, sur l'inanité de la guerre et en particulier de cette guerre là.

Kiên, son héros, engagé comme lui à 17 ans, seul survivant d'un peloton de 13 éclaireurs, réintègre la vie civile après dix années de guerre. Il tente au début de se tracer un avenir, retrouve son premier amour, Phuong, le seul qu'il connaîtra jamais, devient écrivain. Mais, ni lui, ni Phuong, ne seront plus jamais ce qu'ils ont été, et bâtir l'avenir devient impossible, l'oubli devient impossible. Peu à peu, s'impose à kiên la nécessité d'écrire le roman de "sa" guerre, d'accoucher par l'écriture de ces souvenirs, de ces images, de ces compagnons morts qui le hantent, le dévorent de l'intérieur. Au fur et à mesure de cette écriture qui consume totalement sa vie, cette écriture qu'il ne parvient pas à maîtriser, à ordonner, à structurer, qui tourne en rond et le ramène de plus en plus loin dans le passé, sa vie sombre dans l'alcool, le chaos. . . vouant son manuscrit au vent, à la poussière, au silence.

Ce livre résonne comme l'expression infiniment triste-tristesse est d'ailleurs le maître-mot qui revient, lancinant, presqu'à chaque page - du drame de toute une génération sacrifiée. Ils sortaient tout juste de l'adolescence; ils sont partis, purs, pleins d'illusions, avec la foi en un idéal, un avenir radieux; ils se sont battus aux limites de l'humain. La plupart d'entre eux sont morts. Quant à ceux qui sont revenus, ce ne sont pas seulement l'empreinte, les ravages de la guerre, la torture de la mémoire de l'horreur, les traumatismes subis qui en ont fait des morts-vivants. Et c'est là, peut-être, la spécificité de cette guerre-là. En rentrant de ce voyage au bout de l'enfer, ils n'ont trouvé dans la paix que l'écroulement de leurs rêves, le désenchantement, l'amertume. De vainqueurs, ils étaient passés au statut de vaincus.
Laissons parler Kiên et son chauffeur dans un dialogue qui les réunit lors d'une mission de ramassage des squelettes (eh! oui) dans la jungle, dans les premiers jours de la paix :
"cette paix. . . (. . . ) il me semble que tous les masques dont on s'affublait ces dernières années sont tombés. Ils sont hideux les vrais visages. Tant de sang pour çà. . . (. . . ) saloperie de paix. Elle s'est nourrie de tant de chair et de sang de nos frères (. . . ) Et les meilleurs, ceux qui méritaient le plus de vivre, on les a laissés là, à garder la jungle.
_ Tu exagères (. . . ) Il en reste tout de même des gens bien. Et il en naîtra (. . . ) à eux de vivre (. . . ) comme il convient à des hommes. Sinon, à quoi ça sert la guerre, et à quoi ça sert la paix?"

. . . dans le Vietnam d'aujourd'hui, il semble que la réponse ne soit pas encore venue.

(*) dans la même veine, on pourra lire "Roman sans titre" de Duong thu Huong.

P.S: une mauvaise note au laxisme de l'éditeur (cela est devenu , hélas, monnaie courante ) qui laisse passer en titre intérieur "tigresse de la guerre" en lieu et place , je suppose, de "tristesse de la guerre".

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