Eric Eliès
avatar 07/06/2012 @ 20:08:04
En relisant ma critique, je m'aperçois que j'ai un peu trop passé sous silence les idées d'Andrei Vieru sur ce qu'est la musique. Sans doute parce que c'est un domaine que je ne connais pas : mon talent ne va pas plus loin que mettre un CD dans ma chaîne ! Or Viéru est avant tout un musicien et un interprète (de Bach notamment).
Pour Andrei Vieru, la musique est une forme d'art qui présenterait la spécificité d'être une émanation directe de la pensée (i.e. elle serait de la pensée pure) et non une traduction de la pensée dans un langage ou une forme d'expression codifiée. L'interprète incarne et actualise cette pensée, avec la volonté, à chaque fois, de dépasser les interprétations précédentes en exprimant toutes les potentialités contenues dans l'oeuvre.

Numanuma
avatar 08/06/2012 @ 09:57:53
je n'ai pas lu ce livre mais la définition que donnes Vieru, que je ne connais pas du tout, mes connaissances en musique classique sont extrêmement limitées, correspond à ce que je pense.

Cependant, si l'interprète incarne l’œuvre, ce qui, à mon sens, permet de différencier le bon technicien du musicien talentueux, que dire du compositeur? L'expression directe de sa pensée ne passe-t-elle pas par une forme codifiée sous la forme de notes sur une portée?

Pieronnelle

avatar 08/06/2012 @ 13:55:36
Ce qui est fantastique dans la musique c'est qu'avec les mêmes notes, les mêmes instruments, on parvient à quelque chose de différent. L'interprétation est intimement lié à la composition. Certains compositeurs ont découvert une autre musique que la leur grâce aux interprètes et les compositeurs ne sont pas forcément les meilleurs interprêtes de leur musique. Les grands compositeurs comme Schubert et Beethoven qui ont composé dans leurs têtes sans avoir pu être interprétés ou avoir entendu leur musique démontrent bien l'universalité de la musique. Certains pianistes prétendent que tous appuient sur la touche de piano de la même façon et pourtant qu'est-ce qui fait la différence ? La différence c'est la façon de s'approprier la musique tout en respectant les règles ce qui parait paradoxal ; car si les règles ne sont pas respectées on fait une autre musique. Le compositeur offre sa création, l'interprète lui offre sa diffusion qui part de son mental (certains diront son âme...) jusqu'au bout des doigts.
Je ne vois pas comment on peut "dépasser les interprétations précédentes" (selon Vieru) chaque interprétation étant unique ou alors c'est parce cette échelle de valeur est justement codifiée et cela va à l'encontre, à mon avis, de l'interprétation personnelle.

Eric Eliès
avatar 13/06/2012 @ 20:49:40
je n'ai pas lu ce livre mais la définition que donnes Vieru, que je ne connais pas du tout, mes connaissances en musique classique sont extrêmement limitées, correspond à ce que je pense.

Cependant, si l'interprète incarne l’œuvre, ce qui, à mon sens, permet de différencier le bon technicien du musicien talentueux, que dire du compositeur? L'expression directe de sa pensée ne passe-t-elle pas par une forme codifiée sous la forme de notes sur une portée?


C'est la raison pour laquelle j'ai écrit au conditionnel car, pour moi, la musique est aussi un langage et n'échappe à la conceptualisation syntaxique imposée par l'écriture des notes, etc. Après, il se peut que l'interprétation cherche à restituer, dans la musique jouée ie incarnée dans l'instant présent, la "pensée musicale pure" qui était latente dans la partition écrite et avait d'ailleurs présidé à sa naissance...
Il me semble aussi que Viéru, comme Gould, accorde beaucoup moins d'importance au compositeur qu'à l'oeuvre. L'auteur n'est pas le propriétaire de l'oeuvre. Idéalement, à travers ce qu'il dit de Gould, je crois que Viéru aimerait que les grandes oeuvres soient anonymes (même s'il faut des génies pour les produire) pour qu'elles n'existent plus que par elles-mêmes.

Eric Eliès
avatar 13/06/2012 @ 21:04:57
Je ne vois pas comment on peut "dépasser les interprétations précédentes" (selon Vieru) chaque interprétation étant unique ou alors c'est parce cette échelle de valeur est justement codifiée et cela va à l'encontre, à mon avis, de l'interprétation personnelle.


Le paragraphe sur lequel je m'appuyais pour expliquer la conception de Vieru est assez long (dans l'article intitulé "Art et interprétation") mais je vais en recopier des bribes :

" La vérité d'une oeuvre ne réside nullement dans l'interprétation qu'en avait donné son siècle, ni même son auteur, lequel est tout sauf le propriétaire de ses oeuvres. La question de la vérité d'une oeuvre musicale nous amène à considérer celle de savoir : pourquoi, en général, les jouer ? Gagner sa vie est sans doute un but honorable mais on pourrait aussi bien y parvenir par des moyens [...] plus faciles. Jouer, alors, pour tenter de devenir célèbre ? [...] Ou bien pour plaire pour proposer une version de plus [...] ? Non, jouer n'a de sens que si l'on en propose une lecture qui rende caduques toutes les autres, passées et surtout futures, en les englobant, en les ramenant au rôle de cas particulier ; que si l'on propose une interprétation intemporelle, sortie des contextes culturels, mais dont on pourrait en quelque sorte les déduire, les entrevoir tous. "

Il s'agit là d'une position théorique. Viéru sait très bien que sa définition de l'interprétation idéale n'est pas accessible car il écrit plus loin, dans un autre article, qu'il ne peut exister de lecture principale d'une oeuvre car toutes sont nécessairement marquées par le contexte (sensibilité, instruments, etc.) de leur époque.

Pieronnelle

avatar 14/06/2012 @ 00:51:30
Il est clair que des interprètes de très haut niveau comme Viéru ont des exigences...infinies. Alfred Brendel est revenu à la tâche sur les sonates de Beethoven tout au long de sa carrière et il est extrêmement interessant d'écouter ces différentes versions de la jeunesse jusqu'à ses plus de 60 ans. A chaque fois il est toujours grand pianiste soucieux de respecter l'oeuvre tout en l'intériorisant et pourtant...c'est différent. Je pense qu'il cherche lui aussi sa version idéale. Mais est-ce si important ? Car l'appréciation d'un pianiste de lui-même varie au fil du temps . Brendel avait des réticences sur le fait de jouer Chopin et il était très sévère sur les rares pièces qu'il avait enregistrées. De nombreuses années plus tard il a trouvé que finalement elles étaient bien...
Pour Vieru, quand il propose de rendre caduques les autres versions fait-il référence aux siennes ou à celles d'autres interprètes ?

Eric Eliès
avatar 14/06/2012 @ 22:59:13
Viéru fait référence à toutes les interprétations, non seulement les siennes mais aussi celles des autres interprètes passés et à venir. Une telle déclaration peut paraître extrêmement prétentieuse donc il s'en explique dans une note en bas de page, qui précise qu'il ne s'agit en aucun cas d'une vaine "compétition" avec les autres interprètes mais d'une (impossible) interprétation idéale, qui parviendrait à échapper au contexte de l'époque et, en accédant à l'intemporalité, serait de toutes les époques.
Viéru dit ailleurs qu'il pense, comme Glenn Gould, que l'interprétation d'une oeuvre et son enregistrement est de l'art à part entière.

Pieronnelle

avatar 14/06/2012 @ 23:18:47
Je crois que je vais lire ce livre :-)

Eric Eliès
avatar 15/06/2012 @ 00:53:30
Attention, le livre ne porte pas que sur la musique !!! Les parties sur les mathématiques et la psychanalyse (la théorie des égo) sont conséquentes, parfois indigestes parfois saugrenues... Il faudra le tri selon votre goût ! Bonne lecture :)

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