AmauryWatremez

avatar 29/11/2011 @ 19:45:56
On n'oublie jamais son enfance, on la renie parfois en se disant que si le monde est ainsi il faut bien s'y résoudre alors que les réactions des enfants sont souvent largement plus saines, les tout petits enfants car la sottise prend rapidement le dessus ainsi que l'auteur le montre fort justement dans « les Bottes de Sept Lieues » qui montre aussi un Montmartre poétique comme jamais, et réel, bien loin des chromos retouchés à la palette graphique. Je pense toujours à ses histoires quand je me promène dans Paris. Dans cette nouvelle en particulier, les enfants sont déjà marqués au fer rouge par les préjugés de leurs parents. On peut également relire à tous les âges les « Contes du chat perché », bleus ou rouges, qui montrent des petites filles qui dialoguent avec les bêtes de la ferme de leurs parents, dialogues animaux et enfantins parfois teintés de cruauté et lucides quant à leurs maîtres ou géniteurs. Et les deux gamines ne sont pas des enfants de papier, trop parfaits ou chahuteurs stéréotypés, ou gamines exemplaires, la psychologie enfantine y est extraordinairement bien rendue.

Marcel Aymé n'était pas un beau parleur, un type loquace, il lâchait de temps à autres un mot, ou une phrase, dans les grands jours, entre deux grands longs silences. Il avait souffert de la grippe espagnole et elle lui avait laissé une paralysie faciale dont il souffrit jusqu'à la fin de sa vie. La littérature, l'écriture lui étaient donc fondamentales. Non pas pour noyer ses contemporains sous le flot d'une logorrhée prétentieuse mais juste pour dire deux ou trois choses sur l'espèce humaine et le dire par la puissance de son imagination qui mêle étroitement le quotidien et le rêve, les fantasmes, comme « la Vouivre » que l'on peut croiser dans les bois jurassiens, ou une « Jument Verte » révélatrice des désirs et des tentations des personnages du roman qui porte ce titre.

On cherche souvent à le classer politiquement, enfin surtout les idéologues ou les dogmatiques pour qui hors de leur camp point de salut. On le dit souvent « anarchiste de droite », ce qui me semble un tant soit peu réducteur malgré tout. Si il n'aimait pas les cuistres qui vous expliquent sans frémir qu'il faut que les trois quarts de la planète meurent de faim pour que le reste de l'humanité en profite, il rejetait aussi ceux qui préconisent le massacre des profiteurs. Pour un tout petit enfant, c'est normal de partager, d'être fraternel. En principe.

Ce qui est intéressant est que quand Marcel Aymé veut se faire plus didactique ou soutenir une cause il est beaucoup moins intéressant sauf peut-être avec « la Tête des autres » et bien sûr "Uranus", « Le confort intellectuel » étant plus lourd tout comme « les Maxibulles ».
On le dit anti-clérical mais il comprend mieux le salut et la miséricorde que bien des croyants pour qui la foi est surtout un machin social ou une doctrine totalement sèche se prévalant malgré tout d'amour du prochain, de souci des pauvres, comme la femme du pauvre saint auréolé de « la Grâce » (Michel Serrault et Pérette Pradier ci-contre), obligé, forcé de pêcher pour que son épouse acariâtre ne rejette pas Dieu, car celle-ci se soucie plus du monde, de ses ragots et commérages, que du paradis, qu'elle laisse à l'intérieur de l'église, ou comme les exécuteurs de ce pauvres Dermuche qui ne comprennent pas le miracle que le Créateur lui accorde en le faisant redevenir enfant, finissant guillotiné quand même. Force doit rester à la stupidité humaine.

On songe aussi à l'huissier qui consigne sur carnets toutes ses bonnes actions alors que Saint Pierre lui a donné une seconde chance et qui finit par être sauvé pour le seul acte, grandiose, qu'il ait jamais commis gratuitement : défendre une veuve harcelée par un de ses confrères et crier « à bas les propriétaires! ». On se rappellera également du pauvre diable, Machelier, qui pose pour des photos saints-sulpiciennes du Christ et finit par se prendre réellement pour son personnage. La fin pourrait être extrêmement sombre si l'auteur ne la teintait d'un peu d'espoir, ou d'ironie, les deux clodos qui observent Machelier descendre vers la Seine croient brièvement le voir marcher sur l'eau du fleuve. Et bien sûr, comment oublier la figure de Clérambard ? Noble ruiné, impossible avec sa famille qu'il exploite dans un atelier de couture, violent, chasseur sanguinaire, il croit voir Saint François d'Assise lui apparaître et l'enjoindre à plus de douceur. Il reste tout aussi impossible, violent et extrême, voulant marier son fils malingre et cauteleux à la putain locale, la fameuse « Langouste » qui n'est pas exactement d'accord contrairement au fils qui entrevoit des lendemains sardanapalesques. Clérambard est un gosse trop gâté, un grand enfant trop exigeant et dominateur qui finit par se laisser aller complètement à tout laisser tomber pour partir sur les routes. Bigard, dont je déteste les textes, aurait sans doute fait un excellent Clérambard, dommage qu'à Marcel Aymé le public préfère des conneries drôledement et pseudo « concernées sur le couple et ses tracas » ou du boulevard joué par des « has-been » sans talent (je ne citerai pas les noms de Steevy, Eve Angéli, Jean-Pierre Castaldi, etc...entre autres, non je ne jetterai pas leurs noms en pâture).

Beaucoup lui font actuellement les mêmes reproches que ceux qu'Agnès Desarthe adressait à Alain-Fournier : ce n'est pas assez moderne, en lien avec l'époque, ou le nombril de l'époque, il n'y a pas d'engagements suffisants pour que les lecteurs adultes ou non aient des « prises de conscience ». On préfère faire lire aux gosses des histoires de divorce, de famille recomposée, de drogue, de sexe, en bref on leur renvoie un miroir faussé. Personne ne voit donc que la poésie, l'imagination, le rêve permettent de mieux comprendre la bêtise de nos semblables et de la dépasser, sans haine ni rancœur ? Les adultes quant à eux lisent de préférence les romans Harlequin de luxe de Guillaume Lévy ou Marc Musso (à moins que ce ne fût le contraire) ou les tribulations égocentrées de quadragénaires plus ou moins névrosés, à cause de l'autre sexe, de leur bêbé ou des "zôtres" en général qui appellent ça de l'autofiction ou leurs carnets littéraires avec un grand "l".

Marcel Aymé était simplement lucide comme le montre l'extrait ci-dessous, généralement, cela déplait, les gens préfèrant le plus souvent s'embourber dans l'erreur...

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