Saint Jean-Baptiste 18/06/2005 @ 11:12:09
Waterloo, ce 18 juin 1815

Je me souviens de ce 18 juin, c'était il y a tout juste 190 ans.
Ce jour là tout allait mal. Le soleil ne s'était pas levé. Les nuages étaient bas. La nuit avait été mauvaise, nous avions dormi dans nos vêtements trempés. La veille nous avions chevauché toute la journée sous une pluie battante.
"La drache" comme disent les gens d'ici !
La nuit précédente, aux Quatre-Bras près de Ligny, nous n'avions pas dormi du tout : une bande de soudards, des Prussiens, ou des Autrichiens, ou des Néerlandais, ou d'autres barbares de l'Europe avaient ferraillé toute la nuit.
Et cet imbécile de Maréchal Ney cuvait son vin ! Ah il est loin le Brave des Braves ! Naguère, le Grand Maréchal les aurait tous étendus raides à lui tout seul en moins d'une heure !
Non ce matin, ici à Waterloo, il n'y a rien qui va : je suis fatigué, mort foutu ! C'est que je deviens vieux : j'ai l'âge de l'Empereur : 45 ans ! C'est vieux pour un soldat !
L'Empereur n'est pas bien non plus : son génie est intact mais le corps ne va plus, il a mal au dos, il chevauche de travers ; et puis il a grossi, il souffre de l'estomac et il se bourre de remontants.
L'Empereur n'est pas un dieu, l'Empereur est un homme ! Il ne croit plus en son étoile et ce matin il a vu s'approcher l'heure de son destin !
Non, tout est fichu ! L'Empereur le sait et moi aussi : aujourd'hui je vais mourir, l'aventure est finie !
Qu'on me laisse fumer une dernière fois ma pipe ; le soleil va percer. Tout à l'heure je mourrai en héros dans la garde rapprochée de mon Empereur en criant : "vive la France, vive l'Empereur ! Vive mon Empereur ! "
Et je n'ai pas de regret. Sans lui, j'aurais eu la vie qu'à eue mon père ; j'aurais été le serviteur d'un Aristo arrogant, ma femme aurait été la servante d'un Ecclésiaste débauché. Moi j'ai vécu en homme ! J'ai connu la gloire, en Italie, en Egypte, .. ..à Moscou ! Ah ! Moscou !
J'ai été reconnu, honoré ; ce matin encore, l'Empereur m'a serré la main, il m'a appelé par mon nom.
J'ai connu les honneurs, la gloire, la liberté ! Oui, la liberté ! J'ai vécu, moi ; et j'ai aimé la vie.
Tiens, le voilà, c'est lui, là : Napoléon !
- Vive l'Empereur, vive l'Empereur, vive l'Empereur !

Spirit
avatar 18/06/2005 @ 12:11:54
Au niveau du style j'aime bien c'est prenant et intéréssant mais au niveau du fond,un tel amour pour Napoléon moi je ne comprend pas,se faire trouer la peau pour la gloire des dirigeants c'est pas mon truc. Malgré ça l'émotion est bien rendu et je répéte j'aime bien l'écriture.Bravo.

Tistou 18/06/2005 @ 12:20:22
Quelque chose de trop détaché, d'avec trop de recul, m'empêche de penser qu'un soldat de 45 ans, fou à mort de son chef, vit sa dernière pipe et sa dernière matinée. Il me manque plus d'adrénaline ou de hargne, je ne sais pas.
Mais dis moi SJB, serais-tu un admirateur de Napoléon ?

Loupbleu 18/06/2005 @ 13:14:18
"On aura beau dire, on aura beau faire, il y aura de moins en moins de gens qui ont connu Napoléon de son vivant" :o)

J'ai bien aimé ce témoignage qui nous revient de presque deux siècles. C'est bien rendu, et tout ça sonne de façon crédible, pour le souci du détail historique, et pour l'état d'esprit de ce grognard. Je pense qu'on arrive à comprendre ses motivations.

Je suis assez d'accord avec Tistou, peut-être plus de souvenirs, (comparaison des sentiments avec les batailles passées ?) pourraient nous faire encore mieux entrer dedans.

Bien vu ce texte SJB, je l'ai apprécié.

Sibylline 19/06/2005 @ 21:47:07
Très beau récit à la première personne!Très bien mené, cohérent et crédible. Je crois, moi, que le soldat fatigué, peut accepter sans cri ni hargne ce qu'il pense être son destin, d'autant que survivre à la gloire de Napo ne lui semble pas un avenir très tentant.
Je ne discuterai pas des qualité et des défauts du petit caporal, c'est une autre histoire, mais ce bref récit est excellent. Bravo SJB

Saint Jean-Baptiste 19/06/2005 @ 23:42:42
Dormez morts héroïques !

A Waterloo, en ce beau dimanche du 19 juin 2005, "d'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France". Le choc des géants a bien eu lieu et tout s'est très bien passé.
J'étais parti en vélo mais je me suis rendu compte que je risquais d'arriver en retard, comme Grouchy en 1815, alors je suis revenu prendre ma moto. Les voitures ne passent pas, c'est trop dangereux pour la cavalerie.

Chemin faisant, j'ai rencontré un détachement de l'armée de Blücher à quelques kilomètres de Waterloo. J'ai couru pour prévenir le Maréchal Soult mais une dame du service d'ordre m'a dit :
- Vous devez faire la queue comme tout le monde et payer cinq euros !
- Comment ? Moi qui suis tombé ici même, il y a 190 ans plus un jour ?
- Ca m'est bien égal, m'a-t-elle répondu, aujourd'hui vous devez payer comme tout le monde !
Alors j'ai été voir à la ferme d'Hougoumont où le Prince Jérôme se faisait aplatir.
L'Empereur lui avait commandé de faire diversion sur l'aile gauche pour étendre le front anglais ; et au lieu de ça, il s'est mis en tête d'occuper cette ferme barricadée comme un château-fort et truffée d'Anglais, qui lui descendront 6000 hommes comme au tir aux pipes !
Il y avait là une stèle à la mémoire du soldat Bernier, tombé au moment où il allait franchir la porte de la ferme.
J'ai entendu une petite fille qui demandait :
- Dis, papa, pourquoi il est mort le monsieur ?
Et comme le papa ne disait rien, j'ai répondu, comme le poète :
- Pour la gloire et pour des prunes !

Il y avait la foule des grands jours : toute la Prusse, la Hollande, l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie étaient là ; la France aussi. La journée était magnifique et le soleil était chaud.
Il y avait beaucoup de Prussiennes authentiques, achtung ! avec des yeux bleus et des blues-jeans taille basse, plus basse que la normale. Des Italiennes, la taille moins basse mais plus ondulantes. Des Françaises aussi mais je n'en ai regardé qu'une, qui avait des yeux de louve, et qu'un homme tenait méchamment par la main.

Je suis revenu au champ de bataille au moment où le Maréchal Ney sonnait la charge.
Le Maréchal Ney était superbe ! Il est redevenu le foudre de la guerre, le dieu des armées, le héros de la Bérésina !.
Seulement, il a attaqué trop tôt ! L'Empereur lui avait commandé d'attendre l'arrivée de Grouchy, mais il piaffait d'impatience autant que son cheval ! Il a voulu défoncer le front anglais, tout seul !
Au fond, il voulait se racheter de ses forfaitures de la veille.
Waterloo est peut-être une morne plaine, mais c'est surtout une plaine vallonnée.
Wellington a placé ses artilleurs en carré, camouflés par un pli du terrain.
Les rouages de la Grande Armée sont décidément bien rouillés : personne n'a repéré le terrain pendant la nuit et Le Maréchal Ney a donné dans le panneau ! Il perd beaucoup d'hommes, il perd surtout beaucoup de temps ! Les Anglais ont le temps de recharger leurs canons entre les charges de cavaleries.
Pourtant, le Brave des Braves a failli réussir ! Il s'en est fallu d'un cheveu !
Ah, si Grouchy était arrivé à temps, comme il était prévu ! Mais Grouchy s'est planqué !
Ah, si Murat avait été là ! Mais Murat a trahi, comme combien d'autres !
Ah, si, si, si.. .. !
Si Napoléon avait fait donner la Garde à ce moment là ! Nous serions ce soir à Bruxelles à fêter la victoire !
J'avais acheté un porte clés à l'effigie de Napoléon, j'ai été l'échanger contre un autre à l'effigie du Maréchal Ney.

Et puis, je suis repassé par le chemin creux d'Ohain, qui n'est plus creux. On l'a nivelé en prenant la terre des talus pour édifier cette magnifique bute de Waterloo, sur laquelle un lion regarde la France en souriant.
Victor Hugo et moi, nous l'avons toujours regretté : le champ de bataille en a perdu de son authenticité. D'un autre côté, aujourd'hui quand on doit se rend à Waterloo, cette bute sert de point de repère et on ne se perd plus. S'il elle avait été là en 1815, peut-être que Grouchy serait arrivé à temps ! Quoique .. .. ?!
Je suis passé par La Hulpe et j'y ai rencontré le fameux Grouchy. Je lui ai dit :
- L'Empereur vous attend ! Il m'a répondu :
- Moi, j'attends les ordres !
Pendant ce temps là, à Waterloo, "des régiments, comme des pans de murs, tombaient !"
Comme en 1815, il y avait des fraises dans les jardins de La Hulpe mais aujourd'hui les habitants des lieux ne laissent pas entrer des gens déguisés en soldat dans leur jardin pour y manger des fraises !

Je suis repassé par le bois de taillis où j'ai vu Blücher entrer dans la fournaise comme on va à la curée ! Le soir tombait. J'ai versé un pleur en regardant Waterloo "où s'évanouit ce bruit que fut la Grande Armée" !
Quand les feux de la bataille se sont éteints, j'ai parcouru les bivouacs où, toutes armées réunies dans la grande fraternité du souvenir, on trinque ; pas à la victoire, ni à la bataille, mais à la belle journée qu'on a vécue en ce beau dimanche du 19 juin 2005.
Là, où il y a 190 ans plus un jour, le sang coulait à flot, ce soir c'était la bière.
Et personnellement, j'y ai vu le signe, qu'aujourd'hui, le monde était devenu meilleur !

FéeClo 20/06/2005 @ 08:36:21
Je préfère le deuxième... plus moderne ;o)

On ressent vraiment le mélange des époques, comme on pouvait le voir hier...

Et la fin... la bière qui coule à la place du sang ;o) Oui c'est tellement plus sympathique!

SJB, bravo!

(même si j'avoue que moi Napoléon je l'aime pas trop... son code n'était pas vraiment en faveur des femmes).

Charles 20/06/2005 @ 09:05:21
j'aime beaucoup les deux textes qui se répondent. j'aurais même bien vu quelque chose de plus longs. très réussi, interessant, prenant et très original par rapport aux thèmes habituels que l'on rencontre sur le forum.

bravo et ... encore !!

Tistou 20/06/2005 @ 09:28:42
Reportage et sur les festivités Waterlooiennes et sur SJB enquêteur. Un reportage mis en scène avec point de vue calé au 2ème degré et demi. J'ai personnellement mieux aimé cette 2ème partie où un souffle de vie balaie le texte. Bon c'est vrai, il y a 190 ans, c'est dur de s'y sentir encore, dans le cadre d'un reportage !

Sahkti
avatar 20/06/2005 @ 12:55:26
L'un ne peut se lire sans l'autre. Le second donne tout son sens au premier qui, lui, donne beaucoup de force au deuxième. Version revisitée d'une épopée napoléonienne, modernité tellement réelle avec cette dame et ses 5 euros!!! Napoléon a encore de beaux jours devant lui :)
Je ne t'ai pas vraiment reconnu dans le premier récit SJB, trop narratif et calme à mon goût, mais heureusement, ta verve légendaire peut se laisser aller dans la suite!

Provis

avatar 20/06/2005 @ 14:19:35
Bravo, SJB.. Pour moi, les deux parties se lisent avec le même plaisir..
Balade nostalgique entre la gloire des aigles et la douleur du sang versé.. De toute cette grande épopée, il me reste une question : Napoléon, ou Bonaparte, s’il avait été plus sage et moins orgueilleux, aurai-il pu sortir la France de la Révolution sans l’horreur de toutes ces guerres ?

Krystelle 20/06/2005 @ 17:16:14
Ces deux textes se font écho et pourtant ils sont tellement différents. C'est intéressant de prendre l'épopée napoléonienne comme support, ça donne envie de se replonger un peu dans cette pèriode.

Mentor 20/06/2005 @ 18:39:49
J'ai bien aimé le deuxième texte SJB, notamment après avoir lu le premier. J'y ai trouvé l'humour qui manque dans l'autre. Et ce recul dû au décalage des époques. Qu'on apprécie Napoléon et ses oeuvres ou pas, la narration est plaisante dans les 2 cas.

Saint Jean-Baptiste 20/06/2005 @ 22:17:41
La question de Provis : Napoléon ou Bonaparte ?
Mon choix est fait ! Pour moi, c'est Bonaparte !

Un grand merci à tous de m'avoir lu.
:o)

Loupbleu 21/06/2005 @ 00:42:14
La seconde partie est excellente, de la vie, la touche d'humour, toujours autant d'érudition qui passe avec beaucoup de naturel. Et de l'énergie, de la vivacité qui ressort de ce texte là. Très jolie fin également. Cette façon de faire du texte vivant plus que du beau est réussie. Techniquement, peut-être juste un peu trop d'exclamations mais je mets cette fougue sur le compte de la jeunesse ;-)

J'ai donc trouvé ça mieux que le premier, mais le premier donne aussi une cohérence à l'ensemble.

Bravo SJB pour ces bons textes, j'ai eu sincèrement beaucoup de plaisir à les lire !

Sibylline 25/06/2005 @ 23:53:26
J'ai du retard dans mes lectures, SJB. Je n'avais pas encore pu lire la suite de tes aventures napoléoniennes
"Pour la gloire et pour des prunes ! " Ca résume bien la situation!
J'ai beaucoup aimé ce récit que tu aurais pu te permettre de faire encore plus hugolien (puisque tu dis si bien "Victor Hugo et moi")
Et si tu me remplaces ce vilain "j'ai été" par son "je suis allé", je t'applaudis des deux mains pour ce récit guerrier qui a perdu l'horreur de son carnage. Signe qu'il est entré dans la fiction?

Saint Jean-Baptiste 26/06/2005 @ 00:06:44
J'ai été, ou je suis allé ?
Je me suis posé cent fois la question ! Merci Sibylline.
("j'ai été" c'est très belge, non ?)

Sibylline 26/06/2005 @ 00:47:40
C'est la différence entre le verbe être et le verbe aller. Tu vas l'échanger et non tu es l'échanger ;-)))
Bonne nuit

Dirlandaise

avatar 04/07/2005 @ 14:47:40
Bonjour SJB,

C'est un texte très court mais qui en dit long. C'est pour ça qu'il est si intéressant. Ce soldat qui rend hommage à son empereur qui lui a procuré une vie d'un niveau qu'il n'aurait jamais atteint dans le civil. Cependant, je n'aime pas cette adulation, cette soumission à un autre homme me dérange, cette dépendance... Ça me lève un peu le coeur...
C'est un très bon texte agréable à lire tout de même. ;-)

Provis

avatar 04/07/2005 @ 18:28:02
J'ai été, ou je suis allé ?
Je me suis posé cent fois la question ! Merci Sibylline.
("j'ai été" c'est très belge, non ?)

Je gagne quelque chose si je sors un extrait de Gide où on trouve "j'ai été" pour "je suis allé" ?? .. :o)
Je pense que c'est juste une forme un peu vieillote, et qui tend à disparaître ..

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