Martin1

avatar 29/01/2018 @ 18:10:24
La théorie du Big Bang : conflit entre deux disciplines fermées

Ce texte est un avis très personnel au sujet des disciplines fermées, concept qui m’est venu en analysant le problème de la théorie du Big Bang et des conflits nés entre science et religion. Je reconnais m’être inspiré d’arguments que j’ai entendu de la bouche d’Etienne Klein, le physicien. Il est adressé à toute personne ayant le malheur (ou le bonheur) d’être simultanément passionné de science et de religion. Je ne vais rentrer ni dans les détails scientifiques ni théologiques (quoique ça m’en démange) ; car le sujet est plutôt une sorte de « conflit de compétences »entre deux disciplines dont la rivalité historique est bien connue. Je suis intimement persuadé que l’immense majorité des gens qui croient avoir un avis définitif sur ce qu’il faut penser – ou tirer – de la querelle science-religion qui a éclaté après la théorie du Big Bang se trompent.

La théorie du Big Bang est née des travaux théoriques de l’abbé Lemaître et des mathématiciens russes Alexandre Friedmann et George Gamow dans les années 1920 ; appuyée par les observations de Edwin Hubble à peu près à la même époque. Lorsque ce mot siffle à vos oreilles, comme un tir au pistolet, « Big Bang » plusieurs réactions, assez contradictoires, se produisent. Si vous avez reçu une éducation religieuse, vous craindrez peut-être d’y voir surgir une contestation imbattable du récit de la Genèse, et vous serez sur la défensive. Si vous avez reçu une éducation globalement athée qui vous a mis en garde contre les dogmes religieux, vous ressentez peut-être la satisfaction du scientifique qui a mis à genoux les étroits dogmes religieux.
Mais d’autres attitudes sont possibles ; celle de Pie XII qui y voyait une confirmation scientifique de l’origine temporelle du monde (j’entends, une origine survenue à un instant t dans la ligne du temps) ; ou celle de scientifiques qui craignaient justement de faire le jeu des religions.

La théorie du Big Bang, déduite initialement de solutions de l’équation de champ d’Einstein (celle qui décrit les courbures de l’espace-temps) est une théorie qui a 3 assises expérimentales :
- la loi de Hubble vérifiée par le décalage vers le rouge des rayons provenant des galaxies (ce qui a été observé en 1929), ce qui serait un indice de l’expansion de l’espace-temps décrit par Einstein.
- la découverte du fonds diffus cosmologique (1965), qui serait le rayonnement émis par le Big Bang encore détectable aujourd’hui (cela peut surprendre mais rappelons-nous qu’en regardant les étoiles nous voyons en fait leur passé, il faut y soustraire le temps qu’a mis la lumière pour nous parvenir).
- la mesure des abondances des éléments (à partir de 2006). La théorie prévoit que les éléments les plus légers seraient ceux émis en plus grand nombre. Il est difficile de juger, à notre humble niveau, un argument aussi suspect et aussi ambitieux (en particulier quand on regarde la rareté du lithium sur Terre, et l’immensité de l’univers qu’il faudrait fouiller). Néanmoins, cet argument pourrait donner lieu à une preuve plus aboutie.

La théorie du Big Bang ne doit pas être considérée au même titre que les théories relativistes d’Einstein, dont la remise en cause est quasiment impossible tant nos prédictions semblent se confirmer dans les mesures. Il est vrai qu’elle est un peu plus fragile, mais je n’ai pas les compétences de vous décider à la considérer comme vraie ou fausse. Ce que je peux dire, c’est qu’elle est sans aucun doute incomplète, car les équations d’Einstein, qui semblent nous y mener, sont contredites par les équations probabilistes de la physique quantique. Les premières nous conduisent à un univers qui se rétrécit au fur et à mesure que l’on recule dans le temps ; et nous arrivons tout naturellement à un univers ponctuel (qui est un point, sans dimensions). Les équations de la physique quantique ne nous conduisent pas à un tel résultat (elles préfèrent un univers dimensionné, petit mais d’une certaine taille). On pourrait écarter cet argument en mettant en avant que jamais l’univers que nous observons dans le ciel n’obéit aux lois quantiques ; mais il existe un instant (appelé mur de Planck) pour lequel l’univers est si petit qu’on est en droit de se demander quelles sont les lois qui s’y appliquent : celles du monde macroscopique (Einstein) ou celles du monde microscopique (la physique quantique)

BREF. Vous n’avez peut-être pas compris mon charabia plus haut ; en fait, c’est passionnant, mais il faut prendre le temps de s’y plonger. L’essentiel est de comprendre que la théorie du Big Bang n’est pas une Loi Immuable et Sacrée que les scientifiques auraient établi ; elle est une théorie, qui se heurte aux difficultés habituelles des théories , c’est-à-dire la recherche désespérée de cohérence, d’une part avec les observations, d’autre part avec ce que l’on connaît déjà – ou que nous croyons connaître – du monde qui nous entoure.

Et la Genèse dans tout ça ? Plongé dans ces affaires grandioses, la Genèse nous paraît loin. Le physicien la fait tomber du bureau ; la physique est une affaire sérieuse, qui demande de la concentration ; il vaut mieux que les récits de sa grand-mère ne le distraient pas.

Et il n’a pas tout à fait tort ; il ne faut pas tout mélanger. Prenons exemple sur l’abbé Lemaître, qui est l’un des fondateurs de la théorie du Big Bang. Apprenant l’aboutissement de ses travaux, le pape Pie XII avait prononcé en 1952 un remarquable discours à l’Académie Pontificale, affirmant que la science venait de découvrir l’origine de l’Univers. L’abbé Lemaître se crut obligé de lui rendre visite afin de tempérer un peu son avis sur la question : ne mélangeons pas tout. Pie XII n’insista pas sur le sujet.

C’est-à-dire, ne pas tout mélanger ? De vérité il n’y en a qu’une. Il n’y a pas de relativisme, de vérités multiples, de chacun-sa-vérité, de post-vérités, pas plus chez les théologiens que chez les scientifiques. Tous croient à un « au-delà de l’esprit » (Etienne Klein). C’est d’ailleurs le plus grand des points communs entre scientifiques et théologiens : ils ne recherchent pas une vérité, ils recherchent LA vérité, persuadés de son unicité, qu’elle ne peut se contredire elle-même. Certains petits malins pourraient rétorquer le fameux théorème d’incomplétude de Gödel (1931) . Mais ce théorème n’a jamais dit qu’il existait des vérités contradictoires, il a juste dit que dans un raisonnement scientifique, aucun système d’axiomes choisis au départ ne suffirait pour pouvoir se décider sur tous les énoncés qu’on lui proposerait ; il reste toujours des énoncés indécidables (qu’on ne peut ni réfuter ni démontrer). Cela ne change pas les motivations du scientifique, mais l’acculent à l’imperfection perpétuelle.

Et pourtant, malgré cela je crois quand même devoir le dire : oui, « même si elles ne sont pas incompatibles, il vaut mieux les séparer » (Hubert Reeves). Pour m’expliquer, il faut prolonger l’exemple que j’ai donné sur le Big Bang. Je vais donc vous écrire les étapes de mon raisonnement, postulat après postulat :

- 1) A aucun moment, la Genèse ne prétend tenir un discours scientifique. Elle mentionne le premier jour, le deuxième jour… alors que le Soleil, qui sert de repère universel pour compter les jours, ne paraît qu’au troisième jour (celui des luminaires) ! N’allons pas plus loin. Il est évident que le récit de la Création est un récit allégorique. En oubliant l’inerrance biblique, on peut d’ailleurs accéder à des sens plus profonds : une relation de confiance établie entre Dieu et l’homme, la brisure de cette confiance, la beauté d’une Création qui n’est là que pour l’homme, la vulnérabilité au péché, l’existence du libre-arbitre et de la curiosité de connaître le Bien et le Mal, voilà les thèmes qui hanteront les lecteurs de ce récit pendant ces milliers d’années. Dès le IIIème siècle, le grand exégète Origène nous mettait en garde contre les interprétations trop littérales ; le pauvre était bien placé pour en parler (dans sa jeunesse, après avoir lu « si ta main droite est une occasion de péché, coupe là et jette là loin de toi » , Saint Matthieu, il s’était châtré). Il développera sa propre idée des différents sens de l’Ecriture.

- 2) La théorie du Big Bang n’entre pas en conflit avec la Genèse car elle ne parle pas de l’origine du monde. Cela est plus difficile à comprendre que le point précédent. Et pourtant je vous l’assure, la théorie du Big Bang ne décrit pas l’origine du monde, ni même de l’espace-temps. D’ailleurs elle ne décrit pas non plus une explosion. S’il fallait la résumer en une phrase, voilà ce qu’elle dirait : à mesure que nous explorons le passé, nous observons un Univers plus petit, plus chaud et plus dense ; Ce n’est pas une théorie de l’explosion, mais de l’expansion. Et l’idée que l’univers ait été ponctuel (réduit à un point) n’est même pas un avis majoritaire chez les théoriciens du Big Bang. Leurs efforts se concentrent sur la compatibilité des lois quantiques et relativistes, c’est-à-dire sur cet instant appelé mur de Planck, qui est arrivé après que l’espace-temps est commencé son expansion. Avant le mur de Planck, c’est le flou ; on ne sait rien et on ne conjecture pas beaucoup.

- 3) La théorie du Big Bang ne parle pas de l’origine du monde tout simplement parce que la Science ne découvrira JAMAIS que le monde à une origine.
C’est ici que ça devient intéressant. Un esprit ouvert n’aura eu aucun mal, j’espère à me suivre jusqu’ici. Mais là, vous sursautez. Que dit-il ? Comment peut-il prédire l’avenir ? Et pourtant je le répète : la Science ne découvrira JAMAIS l’origine du monde. Elle est contenue par un de ses principes les plus intrinsèques, le principe de causalité. Tout a une cause. Pourquoi respirez-vous ? Parce que vous avez besoin d’oxygéner vos cellules. Pourquoi ? Parce que vos cellules sont vivantes et donc établissent un cycle nutritionnel fait de chaînes de molécules et de réactions chimiques. D’où viennent ces molécules ? Elles se sont rassemblées à partir de matière inerte et leurs mouvements ont fini par créer un cycle de vie, et pourquoi ? pourquoi ? Le scientifique ne se démonte pas, il remonte dans le temps ou affine son échelle, pour trouver toujours une cause antérieure. Cela est tout à fait brillant et c’est en poursuivant cette intuition qu’il deviendra un grand scientifique. Mais c’est aussi sa faiblesse ; il ne peut se débarrasser son principe de causalité. Or, la création du monde à partir du chaos, voilà qui ne respecte pas le principe de causalité. C’est la vieille question du philosophe et mathématicien Leibniz : pourquoi « quelque chose » plutôt que « rien » ? Il serait plus simple, et le lien de causalité plus évident, que du néant, rien ne pût naître. Ce n’est pas un sophisme : il vient juste d’expliquer pourquoi, dans l’hypothèse où les théoriciens du Big Bang déterminent l’instant où l’expansion de l’espace-temps a commencé, ils en chercheront… la cause. Qui sera antérieure dans le temps (dans le respect des cônes de causalité, pour parler comme les scientifiques relativistes).
Dès lors, comment serait-il possible que les scientifiques déterminassent l’origine du monde ? Eh bien voilà : ils ne le peuvent pas. Ils autant de chance de découvrir l’origine du monde qu’un juriste de prouver les équations de l’électromagnétisme de Maxwell, ou qu’un botaniste de démontrer l’existence des nombres complexes. Or on en arrive à une conclusion bizarre : Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est supposer que le monde a toujours existé.

- 4) Il est faux de penser que la physique quantique a aboli le principe de causalité. J’ai entendu cet argument de la part d’un scientifique qui essayait de montrer que les questions religieuses étaient inutiles pour un cerveau scientifique sérieux depuis la physique quantique. La physique quantique est un secteur réellement ahurissant de la physique et elle a aboli beaucoup de choses. Mais pas la causalité. En gros, le physicien quantique estime que dans deux situations initiales rigoureusement identiques (position et vitesse des particules, température, énergie présente, etc.), il peut avoir deux situations finales différentes, dont le choix se fera selon des probabilités. Ce que l’Univers va décider de réaliser, il le décide selon… le hasard pur. Elle admet le hasard quant à l’issue d’une situation physique, sous réserve de probabilités dûment calculées. C’est une révolution (fin du déterminisme), mais ne prétendons pas n’importe quoi : la causalité est toujours là, elle est juste « cassée », morcelée, réduite à des probabilités. Cela n’enlève en rien le problème de la cause première expliquée plus haut, puisque dans ce contexte, par cause, on entend une cause qui serait assez forte pour expliquer non pas un événement, survenu en un certain lieu à un moment donné, mais une essence : le fait que toutes les choses existent et que nous ne vivons pas dans le néant qui aurait été mathématiquement… plus simple.

- 5) La Théologie n’est pas de la Science. C’est ce que croyaient les créationnistes, qui ont cru bon de mélanger les deux disciplines, et ils avaient tort. Je ne m’étendrai pas sur eux, on les a suffisamment moqués. D’un autre côté, la Théologie est méprisée par notre siècle si accoutumé aux raisonnements scientifiques. J’ai conscience que ce texte sera peut-être lu par des gens qui la considèrent comme un domaine inutile dont on devrait amputer l’éducation supérieure. Mais qui connaît un peu la théologie ne sera pas dupe ; la richesse intellectuelle que l’on trouvera chez les Pères de l’Eglise n’est pas seulement surprenante et enrichissante : elle est extraordinairement constructive pour notre esprit, MÊME SI LES AXIOMES QUI LUI SERVENT DE DEPART ETAIENT FAUX. Le lecteur pourra considérer la Théologie comme une branche un peu exotique de la Philosophie, mais j’avoue qu’en me penchant sur elle j’ai appris à la considérer comme une discipline propre, avec ses codes, ses langages, et ses ébauches de branches réellement démonstratives partant de certains axiomes. On ne démontre pas que la Bible est d’inspiration divine ; on le pose comme acquis et on regarde où cela nous mène. De la même manière, on ne démontre pas l’équation de champ d’Einstein ou la loi de Newton : on les écrit et on regarde si elles correspondent à la réalité. Penser que la lumière a une vitesse invariante par rapport au référentiel est une idée révolutionnaire et franchement improbable. Il est aussi improbable d’imaginer qu’un Dieu puisse guider la main des auteurs de la Bible. La comparaison s’arrête là mais il est capital de comprendre que la théologie fait, après l’étonnement de ses axiomes initiaux, un large usage de la raison et que si ce n’est pas une Science, car elle n’a pas les mêmes critères d’appréciation, c’est bien une discipline.


- 6) La Théologie et la Physique sont des disciplines fermées. La Physique et la Théologie ont un point commun : elles sont des disciplines fermées. Cela signifie 1) qu’elles ne peuvent résoudre qu’un certain type de questions 2) qu’elles sont les seules disciplines à se poser ces questions ! La question « Est-ce que le monde a une origine ? » n’est pas une question scientifique. Elle déborde sur un autre sujet, qui est celui du pourquoi le monde existe ; la Science explique comment il existe, et cela est déjà une tâche colossale. Seule la théologie pourrait prétendre avoir des éléments de réponse. Et en l’occurrence, puisque c’est l’exemple que j’ai choisi, la réponse que la Théologie apportait était : oui. Le monde a une origine. C’est historiquement la voie qu’elle a choisi. Sa preuve ? La Bible. Est-ce que cela est vrai ? Je n’en sais rien. Honnêtement, les arguments théologiques ne sauraient toucher un esprit non chrétien ; et même pour un chrétien, l’argument seul paraît faible. C’est quand on regarde la Bible dans sa totalité qu’on y trouvera l’autorité suffisante pour la faire parler sur une petite question comme celle de l’origine du monde.

Conclusion.
La Science et la Théologie ont donc cru à un conflit de compétence, mais c’est faux ; la Théologie ne peut répondre à une question scientifique, ni la Science à une question théologique : c’est le propre de la discipline fermée.
Je ne sais pas si toutes les disciplines sont fermées. Parfois il m’arrive de penser que l’Histoire en est une, au contraire, ouverte, mais je n’y ai pas encore réfléchi en profondeur. J’ai aussi pris le temps de découvrir l’Economie, le Droit, la Philosophie, la Biologie et les Mathématiques, et même si l’immersion était succincte, toutes m’ont paru être des disciplines fermées, avec leurs codes, leur vocabulaire propre, leurs cycles et leurs ruptures de cycle, leurs lois, leurs exceptions et leurs cas remarquables, etc. Leur rigidité ou leur capacité de prédiction varie, mais aucune d’entre elles ne prétend être une description complète du monde ; ainsi je préfère qu’il en soit de même pour les disciplines dont j’ai parlé.

Pjb33
avatar 31/01/2018 @ 16:12:54
Il y a belle lurette que les esprits véritablement libres n'opposent pas systématiquement religion et science. Je me souviens d'une conférence de Jean Rostand, déjà âgé, dans les années 60, à Mont de Marsan, où lui, le grand agnostique, se faisait le chantre d'un rapprochement possible entre les deux.
Aujourd'hui, en ce temps massif de déchristianisation (neuf enfants sur dix ne savent pas l'origine des fêtes de Noël et de Pâques) et de spiritualité en berne (j'ai parfois l'impression que nous sommes la dernière génération de "lecteurs"), je ne suis pas sûr que la science (au sens très large, avec ses avancées magnifiques, mais aussi funestes : le nucléaire, par exemple) règlera tous nos problèmes et donnera du sens à la vie...

Saint Jean-Baptiste 01/02/2018 @ 12:41:09
@Martin
Je n’y connais pas grand-chose mais d’abord, j’admire tes connaissances : on dirait que tu nous soumets une thèse de fin d’études. Très impressionnant, très intéressant.

Je crois qu’un scientifique doit « oublier » sa religion quand il étudie la science. L’étude scientifique ne peut pas être influencée par une religion.
Comme tu le dis très bien, quand Pie XII a appris la théorie du Big-Bang, il a voulu y voir une confirmation scientifique du « fiat lux » de la Genèse. L’inventeur du Big-Bang, le jésuite belge Georges Lemaître, s’est alors précipité à Rome pour lui dire d’arrêter de dire des bêtises : « aucun mystère religieux ne sera jamais expliqué par la science ». Et pour cause, la foi deviendrait une question de connaissance. Il n’y a aucune vérité scientifique dans la Bible (ce n’est pas comme dans le Coran où, selon certains musulmans, se trouverait toute la science du monde).
Et pourtant, les scientifiques arrivés au point ultime du Big-Bang, doivent se poser des questions métaphasiques, c’est impossible autrement.

En science comme en religion, on pose des postulats et, à partir de là, on échafaude un système cohérent. Tu l’expliques très bien.
Les postulats de la science peuvent changer : Einstein nous a démontré que la géométrie d’Euclide était fausse. Il n’empêche que cette géométrie nous a permis de mesurer l’espace et de construire un monde.
Les postulats de la religion doivent évoluer avec les découvertes scientifiques. Sinon elle se ridiculise : voir le procès de Galilée, et saint Paul qui disait qu’il était impossible que la terre soit ronde : « comment les gens qui seraient en dessous monteraient au ciel ? » (sic).

Dans le livre « Une brève Histoire du Temps », Stéphen Hawking, qui se dit athée, explique ceci : La croyance en un dieu créateur est aussi plausible que la croyance en un monde incréé. Dans ce cas, on pourrait penser que ce dieu aurait donné la faculté à l’homme d’accéder à la connaissance ultime de l’univers pour lui permettre de dialoguer avec lui.

Eric Eliès
avatar 01/05/2019 @ 12:16:44
Dès lors, comment serait-il possible que les scientifiques déterminassent l’origine du monde ? Eh bien voilà : ils ne le peuvent pas. Ils autant de chance de découvrir l’origine du monde qu’un juriste de prouver les équations de l’électromagnétisme de Maxwell, ou qu’un botaniste de démontrer l’existence des nombres complexes. Or on en arrive à une conclusion bizarre : Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est supposer que le monde a toujours existé.

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Je viens de découvrir ton très long "essai" sur les rapports entre science et religion. C'est un sujet passionnant et polémique, dont on pourrait discuter longtemps sans jamais l'épuiser mais je me permets deux remarques :
* il me semble que tu poses de manière biaisée le problème de l'origine du monde. En fait, dès l'Antiquité, Aristote déduisait, par un simple raisonnement logique, que l'univers n'avait ni origine dans l'espace ni commencement dans le temps. Puisque tout mouvement est cause et conséquence d'un autre mouvement, il ne peut y avoir eu de premier mouvement. Donc puisque l'univers existe, il doit exister depuis toute éternité. Et ce sont ensuite les théologiens qui ont cherché (avec succès) à réfuter ce raisonnement afin d'introduire la possibilité d'une création compatible avec le dogme d'un Dieu créateur. Le désaccord que tu pointes entre physique et théologie sur le problème de l'origine est bien antérieur à la science : il remonte aux balbutiements de la philosophie. Le désaccord fondamental n'est pas entre la science et la religion mais entre la raison et la foi.
* le bigbang n'est pas une théorie scientifique contestée (trop de preuves accumulées en sa faveur) mais elle est discutée, au sein de la communauté scientifique, notamment via la théorie du multi-univers qui décrit de multiples "bigbang" provoqués par des fluctuations d'énergie au sein du vide quantique (qui est un champ et n'est pas donc du "néant" or c'est une confusion qui est souvent faite). Cette théorie répond ainsi à la question " Pourquoi notre univers existe ? " : il existe parce qu'il est possible et que tout ce qui est possible finit par s'actualiser. C'est un pourquoi sans finalité... Le "pourquoi ?" est une question scientifique. Il me semble que le malentendu vient de ce que la question théologique n'est pas "pourquoi l'univers existe ?" mais "pour quoi l'univers existe ?" = "pour quelle finalité ?" Cette question n'est, effectivement, pas une question scientifique.

Saule

avatar 01/05/2019 @ 14:30:46
J'ai été très étonné en lisant le petit livre "Le Cantique des quantiques. Le monde existe-t-il ?" (www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/50022), découvert grâce à Eric Eliès, que la plupart des scientifiques s'étaient écarté du matérialisme pur et dur, celui qui ne reconnait que l'existence de la matière et pas de l'esprit. En fait avec la physique quantique on s'est rendu compte que c'est l'observation d'un atome qui fixe sa position et donc en gros il est possible que la matière n'existe pas indépendamment de la conscience. C'est stupéfiant car ça remet en cause nos notions de temps et d'espace.

Bref, comme dit Pjb33, je crois que dans le monde "averti" (les scientifiques) on n'oppose plus la science et la religion. On sait que la science peut résoudre des problèmes pratiques (ordinateurs par exemple) mais qu'elle ne peut pas répondre à la question du sens.

Eric Eliès
avatar 01/05/2019 @ 15:51:46

En fait avec la physique quantique on s'est rendu compte que c'est l'observation d'un atome qui fixe sa position et donc en gros il est possible que la matière n'existe pas indépendamment de la conscience.


Le paradoxe apparent de la physique quantique (qui a provoqué la controverse entre Einstein et Bohr) est celui la mesure qui réduit la fonction d'onde. En fait, tant que la mesure n'est pas faite, on résonne en terme de probabilités et la mesure semble provoquer l'actualisation d'un possible parmi d'autres. Est-ce que la mesure et l'actualisation qui en résulte sont liées à la conscience de celui qui mesure ? C'est une conception ultra-minoritaire parmi les physiciens et, dans ma présentation du "cantique des quantiques", j'avais fait le reproche aux auteurs de l'avoir trop mis en exergue. En fait, ça fait déjà longtemps que la science s'est écartée du matérialisme pur et dur qui ne considère que la matière car on sait depuis plusieurs décennies que l'univers est avant tout fait d'énergie et que la matière n'est que l'écume de l'énergie. Le problème, c'est le raccourci qui oppose l'esprit à la matière. Tout ce qui n'est pas matière n'est pas forcément esprit : ce peut être de l'énergie "pure" sous forme de champ...
Après, comme tout (y compris le bigbang) semble dériver du champ d'énergie fondamentale qu'on appelle l'énergie du vide (sans trop d'ailleurs qu'on puisse se représenter ce qui se cache derrière ces mots), rien n'empêche de l'appeler Dieu mais on est très loin de l'esprit des religions... :D Car, concernant la question du sens, il est tout à fait possible que l'univers n'ait pas de sens. Il existerait, tout simplement, mais n'aurait pas de finalité et ne serait qu'un parmi d'autres au sein du multi-univers.

Saule

avatar 02/05/2019 @ 18:28:35
Je lis un autre livre de vulgarisation sur le sujet, de John Gribbin, et lui il croit dans le phénomène des mondes multiples. Ce livre est un peu daté (1984, mais ma bibliothèque n'est pas super fournie !) et il dit que son avis est minoritaire parmi les scientifiques. Mais si je comprends bien, en gros, chaque fois qu'il y a effondrement des fonctions ondulatoires il y a un nouvel univers. Par exemple le chat de Shrodinger sera mort (ou vivant) dans notre monde, mais il y a un autre monde dans lequel il peut aussi être mort ou vivant. C'est au moment de l'observation que le nouvel univers se crèe.

Je reconnais que ça me laisse pantois. De quelque manière qu'on le prenne, le principe de base de la mécanique quantique est stupéfiant. Mais bon le sujet dépasse mes capacités, même si c'est vulgarisé certains points m'échappent dans les explications de Gribbin.

Saule

avatar 02/05/2019 @ 18:53:41

Car, concernant la question du sens, il est tout à fait possible que l'univers n'ait pas de sens. Il existerait, tout simplement, mais n'aurait pas de finalité et ne serait qu'un parmi d'autres au sein du multi-univers.

Je ne sais pas si le sens de l'univers existe en tant que tel, indépendamment de nous. Par contre l'homme cherche à donner un sens à sa vie et du coup donne un sens à l'univers, ce qui s'exprime de différente manière mais en général via le language des religions.

Martin1

avatar 05/05/2019 @ 00:26:18
@ Eric Eliès :
Tout d'abord je te remercie d'avoir fait remonter mon fil, à propos duquel je n'avais pas pu débattre, faute de temps à cette époque! Ensuite je dois dire que ma position a un peu évolué depuis janvier 2018. J'ai écrit certaines choses qui me gênent : dire que la théologie n'est pas de la science relevait alors de ma mauvaise compréhension de l'histoire des idées et de ce qu'était la métaphysique (autre discipline qui m'a permis d'y voir mille fois plus clair dans la physique et la théologie).

Je vais donc répondre à tes remarques de façon positive :
- Tu as raison dans ta première remarque, et je m'en suis rendu compte il y a deux mois en lisant Jacques Maritain. Aristote ne concevait pas d'origine du monde, la Genèse en proposait une. Le conflit se pose entre une métaphysique (celle d'Aristote) et une théologie (la Genèse). En résumant, on pourrait dire que c'est un conflit entre foi et raison comme tu le fais, mais c'est un raccourci : car l'acte de"foi" ne tient que dans une autorité qui est la Bible, et une fois ce pas douloureux franchi (un Dieu se révélerait dans un texte), force est de constater que les théologiens se réarment de la raison : leur objectif est de donner un prolongement théologique à un Dieu qui existait déjà dans la métaphysique, et ils souffriraient d'y voir la moindre contradiction. Le problème de l'origine du monde ne leur paraissait pas une contradiction insurmontable avec la métaphysique d'Aristote : en effet, origine ou pas, Bible fausse ou vraie, la preuve cosmologique de l'existence d'un Dieu créateur était toujours valable. Passer d'une création de toute éternité du monde, à une création ponctuelle, ça restait gérable et les théologiens avaient tout intérêt à provoquer ce changement.

- Je pense aussi que la théorie du Big Bang, sous sa forme moderne, n'est pas vraiment contestable. D'ailleurs je ne la contestais pas : je contestais qu'on puisse la résumer à un univers ponctuel en l'instant 0, ce qui semble faux car on ferait alors abstraction de la physique quantique. Tu l'as dit toi-même, on n'est pas en désaccord là-dessus.

Je rappelle que tout ce texte ci-dessus tendait à démontrer le postulat (que je reformule aujourd'hui) :
"La question de l'origine du monde ne relève pas de la physique." Le passage du néant à "quelque chose" est tout simplement considéré comme inenvisageable. Lorsque tu dis : 'l'univers existe parce qu'il est possible", tu dois admettre que tu fais précéder son actualisation de "quelque chose" qui le contiendrait en puissance. Or dans quoi sont contenues ces virtualités (j'entends le mot "virtuel" dans son sens originel) ? Dans cette énergie du vide comme tu dis, ou dans autre chose, qu'importe : ces virtualités ne saurait être assimilée à un néant, tu l'as dit toi-même. On ferait procéder ladite origine, de choses qui en seraient à l'origine... Et donc la chaîne infinie recommence. Conclusion : on en revient à ce que je dis, la physique ne peut traiter de la question de l'origine du monde ; elle atteint ici une limite et est donc forcée à des tautologies du style "le monde existe parce qu'il existe" ou bien à un refus en bloc de traiter le problème, ce qui, je pense, est ta propre position sur le sujet : "le monde existe sans finalité et sans origine, ces concepts lui sont étrangers" (dis-moi si je me trompe).

Enfin, je suis entièrement d'accord avec toi pour dire que le matérialisme à l'ancienne, issu de la matière-étendue de Descartes et de Francis Bacon, a été éjecté de l'interprétation de la science moderne, qui lui préfère une "matière-énergie", une énergie qui serait matière en puissance : elle s'aligne à peu près sur la philosophie de Bachelard (le "matérialisme radical", selon son expression qui ne doit pas nous tromper).

Personnellement, je rejette tout à la fois l'explication du monde "sans finalité" comme le matérialisme radical qui en découle, et je pourrai donner quelques arguments succincts si ça intéresse quelqu'un.

Eric Eliès
avatar 05/05/2019 @ 10:36:37
@Martin1 : tu as parfaitement compris mes remarques, qui épousent en effet la thèse du matérialisme radical comme une sorte de "monisme" de la matière mais une matière dont on n'aurait pas encore pleinement compris les mystères et les potentialités. Et tu as parfaitement raison de dire que c'est une thèse qui n'explique pas l'origine, qui même ne peut pas l'expliquer et, d'ailleurs, se contente d'évacuer la question par des tautologies ou des arguments de contournement... Personnellement, je me considère "matérialiste" (dans le sens de Bachelard) mais, si j'ai tendance à croire que l'univers existe sans finalité, je ne suis sûr de rien. D'abord, parce qu'à notre échelle, il n'est pas possible d'être sûr de quoi que ce soit. Ensuite, j'avoue que la thèse de Teilhard de Chardin, présentant l'histoire du cosmos comme celle d'une spiritualisation croissante de la matière, est quelque chose qui m'ébranle tant l'univers semble effectivement ordonné dans cette direction. Il est tout à fait possible que la matière-énergie (dans sa globalité et dans ses potentialités dont on ne connaît pas grand chose aujourd'hui) contienne les principes de sa spiritualisation. Nous sommes de la matière qui vit et qui pense : où sont les limites de ces processus d'émergence ?

Juste une petite remarque : quand j'oppose la foi et la raison, je ne voulais absolument pas dire que les théologiens ne font pas usage de la raison. Au contraire, ils en ont fait et en font un usage redoutablement aiguisé ! Mais les postulats de la Révélation sont antirationnels. Cela dit, le postulat fondamental ne me semble pas être celui de l'origine et de la genèse. Je ne sais pas si tu as lu Miguel de Unamuno (un penseur catholique espagnol du début du 20ème siècle) mais, pour lui, la question fondamentale est clairement celle de l'âme et de son immortalité. Tout, pour lui, est secondaire par rapport à cette question. Si ça t'intéresse, j'ai fait un résumé sur CL du "sentiment tragique de l'existence" où il assume totalement la dichotomie entre la foi et la raison, qui illustre pour lui celle entre la sagesse et le savoir, et reproche aux protestants d'avoir trahi le message originel en cherchant à réconcilier la foi et la raison par des discours sur la grâce et le péché.

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/51031

Saint Jean-Baptiste 05/05/2019 @ 11:47:36

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/51031
@Eric Eliès
Ta critique me donne vraiment envie de lire ce livre – ou au moins de l’ajouter sur ma pile de LAL – mais je me demande si je serai à la hauteur, autrement dit, si j’y comprendrais quelque chose…

Eric Eliès
avatar 05/05/2019 @ 12:19:53

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/51031

@Eric Eliès
Ta critique me donne vraiment envie de lire ce livre – ou au moins de l’ajouter sur ma pile de LAL – mais je me demande si je serai à la hauteur, autrement dit, si j’y comprendrais quelque chose…


Vraiment, ne t'inquiète pas pour ça ! Je n'ai pas une très grande culture philosophique (même si j'ai quelques notions) mais j'ai réussi à suivre... :D Le style et les propos sont d'une grande clarté et le livre est accessible, même si certains passages peuvent être un peu obscurs, notamment ceux qui sont datés et/ou très spécifiques au contexte espagnol. Mais, ayant lu certaines de tes interventions sur les forums, je pense que c'est une lecture qui peut t'intéresser ! Après, de Unamuno a une conception de la foi assez radicale et originale, qui lui a valu des inimitiés au sein même de l'Eglise. Mais c'est le genre d'esprit indépendant et libre qui assume pleinement d'être en désaccord avec tout le monde...

Martin1

avatar 05/05/2019 @ 15:05:29
@ Eric Elies, j'ai lu attentivement ta critique de Unamuno, très intéressante !
Du point de vue des rapports entre foi et raison, l'Eglise se situe dans une double tradition :
- elle est hostile aux modernistes (condamnation de 1907) qui croient que la raison seule mène à l'agnosticisme, et que la foi n'est qu'un bouche-trou qui comblerait les blancs que la science ne peut pas ou pas encore expliquer. Dire cela reviendrait à balancer par la fenêtre la science métaphysique : or le païen Aristote avait déduit l'existence de Dieu sans avoir jamais eu besoin de la foi en la Révélation. Sa démonstration de l'existence de Dieu - la preuve cosmologique - est correcte, rationnelle et scientifique, à tout point de vue.
- elle est hostile aux fidéistes (condamnation de 1838) qui croient que puisque la raison et la foi sont en conflit (ce en quoi ils sont dupés), il faut carrément disqualifier le rôle de la raison. Cela est évidemment insupportable aux théologiens qui ont passé quinze siècles à en faire usage. Bergson et Kierkegaard sont ici dans le collimateur. Ces philosophes sont cependant traités avec plus de modération car une fois leur philosophie expurgée de tout anti-intellectualisme, elle n'en est pas pour autant anéantie.

Je ne sais pas trop si on peut considérer que Unamuno se situe dans le second courant ou pas, n'ayant pas lu le livre. Je disais cela pour donner un éclairage sur les raisons d'une éventuelle prudence de l'Eglise sur ses thèses. En tout cas je suis d'accord avec lui s'il s'agit de considérer le problème de l'âme comme absolument crucial.

Pour répondre à cette question du matérialisme : La thèse de Teilhard de Chardin part d'un monde matériel pour arriver un monde exclusivement spirituel, et semble considérer que l'un procéderait de l'autre. En passant il semble vouloir nous dire que de Dieu procède la matière inerte, de la matière inerte émane un principe vital, du principe vital émane l'intellect, et de l'intellect émane Dieu : retour à la case départ. C'est décidément une thèse curieuse qui en affectant de se plier au Dieu des chrétiens revient bien à une espèce de matérialisme radical à la Bachelard : il est logique que tu y es été sensible.
Voilà les commentaires que ce modèle m'inspire :
1) ce qui peut paraître "esthétique" dans cette image d'un départ du monde et d'un retour de ce monde à Dieu (exitus residus) n'est vraiment pas nouveau : c'est déjà contenu dans les théologies de Scot Erigène et de Thomas d'Aquin. 2) le fait qu'elle tente de s'accorder avec Darwin est une bonne chose : la théorie de l'évolution, on ne le dira jamais assez, n'est pas incompatible au fond avec les dogmes chrétiens. 3) l'aspect "moniste" de la théorie, là où elle a posé problème et qui a entraîné sa condamnation en 1955, est celle qui me dérange le plus et on en revient directement à la question du matérialisme radical :

Pour moi l'esprit ne procède pas de la matière.
On peut s'en rendre compte de différentes manières :
- Visiblement nous ne faisons pas que recevoir des informations sensitives en provenance d'un monde qui est matériel. Notre intellect produit des essences, c'est-à-dire, pour simplifier, des concepts.
Lorsqu'EricElies dit que les pissenlits sont jaunes, , il a fait quelque chose que la matière ne peut pas faire : il a associé un nom "pissenlit" à un concept général qui ne correspond à aucun pissenlit matériel dans le monde. Il ne parle pas de tel ou tel autre pissenlit, il parle DU pissenlit. Comment est-il parvenu à le faire ? Il a regardé un pissenlit, puis un autre, et au bout du troisième, en disant "sacrebleu !" il vient de comprendre qu'il existe quelque chose, non dans le monde matériel, mais dans un autre monde, qui existe en tant qu'essence, quelque chose qui est jaune et qui s'appelle un pissenlit. Il y a eu création.
Le comble est qu'il ne se contente pas d'utiliser ces essences : elles ont suffisamment de réalité pour prendre corps dans un raisonnement, pour contracter des rapports logiques avec d'autres essences, et créer de la connaissance. Ainsi à chaque fois qu'un scientifique matérialiste dit que les protons sont de charge opposée aux électrons, il devrait être pris d'un malaise : si tout n'est que matière, alors tout est individuel, LE proton n'existe pas, et donc la connaissance du proton serait aussi impossible que celle de la charge ou que celle de l'électron. Comment donc aurait-il pu donner cet enseignement ?
C'est pour cette raison que les thèses de Guillaume d'Ockham ont été vigoureusement rabrouées par la scolastique : en disant que l'on pouvait connaître que ce qui est individuel, et que les essences ne sont que des noms, il ne faisait rien de moins qu'abolir la connaissance. La connaissance ne faisait plus partie de la réalité : elle devenait une espèce de mythe.

- La deuxième raison est liée à la volonté, elle lui est à peu près symétrique. on en revient à Spinoza : pour lui la liberté n'est qu'une compréhension humaine de la nécessité. Nous voulons faire chauffer du thé, et par un espèce de miracle, voilà que la matière nous obéit ? Bon, je crois qu'on abolit pas la liberté si facilement. D'ailleurs je ne reviens pas sur le mal que la physique quantique a fait au système de Spinoza. il faudrait préciser tout ça mais j'ai été bien assez long...

Martin1

avatar 05/05/2019 @ 15:30:54
En passant il semble vouloir nous dire que de Dieu procède la matière inerte

que Dieu crée (pas procède)

Eric Eliès
avatar 05/05/2019 @ 19:21:25
@Martin1 : merci de cette réponse, effectivement très longue ! Je ferai un peu plus court que toi... car je suis d'accord sur bien des points ! :D Néanmoins, je ne déduis pas tout à la fait même chose que toi de ton exemple du "pissenlit", même s'il est très juste. Je ne sais pas si tu le sais mais tu reprends quasiment les considérations de Stéphane Mallarmé sur le langage, évoquant dans le mot "fleur" celle qui est "absente de tout bouquet". Le décalage entre la chose et le mot qui la représente est au cœur de l'écriture poétique, qui avoue notre impossibilité à dire la présence du monde via les mots, qui ne sont que des concepts et des catégories commodes de représentation. Pour moi, le mot "pissenlit" n'est que ça, un "signifié" porté par un "signifiant" : il n'est pas le reflet d'une essence dans un autre monde. Tu ne cites pas nommément Platon mais il me semble que tes réflexions s'inscrivent dans le droit fil de sa conception des Idées !!! Bon, ce sont des sujets un peu arides et compliqués à discuter sur un forum... mais passionnants ! :D

Comme tu as l'air de beaucoup t'intéresser à la philosophie médiévale et à la théologie, je me permets de te relayer un lien vers un livre (L'infini au miroir des cultures) dont j'ai fait la présentation sur CL, qui traitait de la manière dont les philosophes antiques puis les théologiens (juifs, chrétiens et musulmans) ont considéré l'infini et se sont confrontés au problème de la création. Pour éviter tout malentendu, je ne prétends pas du tout maîtriser le sujet : je n'ai que des connaissances de seconde main et je n'ai jamais tenté de lecture directe des textes religieux (sauf un peu la Bible) ou de scolastique.

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/51909

Martin1

avatar 05/05/2019 @ 23:49:02
Non, j'ignorais que Mallarmé avait déjà pris cette image ;-) Je comprends ce que tu dis sur l'essence. Je pense que ton avis pourra changer (ou se confirmer, qui sait) à la lecture de Jacques Maritain (par exemple, le court et percutant livre "Théonas"), qui a fait une sublime argumentation en faveur de la scolastique et m'a largement convaincu de la vanité de la position matérialiste.

Oui tu as vu juste. Cette distinction entre un monde des Idées et un monde matériel est effectivement tirée de Platon. Je pense que Platon a tort de faire un dualisme radical entre ces deux mondes, et qu'Aristote était dans le vrai avec son dualisme "hylémorphique" (c'est le mot exact, quoiqu'il paraisse un peu barbare) où matière et esprit sont deux parties complémentaires et indissociables d'un tout. Pour résumer l'hylémorphisme : à chaque mouvement de ton esprit, tes neurones bougent ; à chaque stimulation des sens, ton esprit bouge, esprit et matière semblent liés l'un à l'autre comme deux parties complémentaires d'un même tout.

Je te remercie de ce lien que tu m'envoies où je lis que le Moyen-Âge fut une époque d'une grande activité intellectuelle. Le lire me fait chaud au coeur, tant le dénigrement général du Moyen-Âge dans l'histoire des idées me choque. Je m'excuse de cette partialité mais la lecture des doctrines de Jean Duns Scot, de Thomas d'Aquin, de Bonaventure m'ont réellement bouleversé ; plus contemporains, mais dans leur continuité, Maritain et Blondel (l'incroyable auteur de l'Action).

Arundhati
avatar 14/05/2019 @ 11:47:47
J'ai toujours eu du mal à me faire à la simple idée de "comparaison" entre science et religion?, comme si les deux avaient étaient construits de la même façon, dans une sorte de linéarité parallèle.
De la même façon que j'ai toujours douté de l'interprétation du fameux "pari de Pascal" au premier degré qui semble être communément admise. J'ai même envie de croire ( ;) ) qu'il voulait dire l'inverse, se moquant de la prétention de l'église de l'époque de vouloir régir tout l'espace publique.
La vision purement intellectuelle est un peu vaine à mon sens, tant la construction des textes religieux en général s'inscrit dans un contexte politique, voire de pouvoir, beaucoup plus signifiant que la "véracité" qu'ils peuvent contenir (ou pas).
Je renvoie souvent au Pendule de Foucault d'Umberto Ecco, pour ce qui est de ce que tout texte quel qui soit comporte d'arbitraire.
Après tout, seule la critique compte, surtout pour ce qui concerne nos propres croyances.

Saule

avatar 14/05/2019 @ 15:34:55
De la même façon que j'ai toujours douté de l'interprétation du fameux "pari de Pascal" au premier degré qui semble être communément admise. J'ai même envie de croire ( ;) ) qu'il voulait dire l'inverse, se moquant de la prétention de l'église de l'époque de vouloir régir tout l'espace publique.

Dans un film de Rohmer, "Ma nuit chez maud", le pari de Pascal est mis dans la bouche d' un militant communiste. Celui-ci explique qu'il croit que le communisme va apporter le bonheur sur terre, et en misant sa vie la-dessus il est gagnant : même si ça n'arrive pas de son vivant, cette croyance aura donné un sens à sa vie et que donc aura rendu sa vie meilleure. Il y a un autre film de Rohmer dans lequel le pari de Pascal prend une place centrale, c'est "Conte d'hiver" : la jeune femme est persuadée qu'elle va retrouver l'amour de sa vie et pour cette raison elle l'attend sans s'engager dans d'autres relations (elle a perdu la trace de l'homme de sa vie suite à un malentendu). C'est sa foi (et le fait qu'elle soit restée disponible) dans le fait qu'elle va le retrouver qui fait qu'elle le retrouve (par hasard, dans un bus, l'homme qui est assi en face d'elle). Dans "Augustin ou le maitre est là" (le roman de malègue) il est aussi question du pari de Pascal au moment crucial du roman, mais je ne me souviens plus.

J'avais critiqué un petit essai passionnant sur ce sujet, "Eric Rohmer, Graham Greene et le pari de Pascal" (https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/49254). Je pense que la compréhension du pari de pascal chez ces auteurs, c'est que on peut faire le pari de baser sa vie sur une croyance, car la foi en elle-même est une récompense suffisante, en donnant un sens à sa vie. En allant plus loin, chez Rohmer, la foi en quelque chose peut devenir la cause que cette chose arrive.

Fanou03
avatar 14/05/2019 @ 17:08:13
De la même façon que j'ai toujours douté de l'interprétation du fameux "pari de Pascal" au premier degré qui semble être communément admise. J'ai même envie de croire ( ;) ) qu'il voulait dire l'inverse, se moquant de la prétention de l'église de l'époque de vouloir régir tout l'espace publique.


Petit clin d'oeil: vous connaissez le court mais féroce poème de Prévert, "les paris stupides" ?:

Les paris stupides

Un certain Blaise Pascal
etc… etc…

Martin1

avatar 14/05/2019 @ 23:01:18
J'ai toujours eu du mal à me faire à la simple idée de "comparaison" entre science et religion?, comme si les deux avaient étaient construits de la même façon, dans une sorte de linéarité parallèle.


Science et religion n'ont rien à voir : la religion n'est pas une discipline, c'est un élément de la vie.
Ce qui peut choquer pour l'oeil moderne, c'est plutôt que la théologie ait prétendu être une science. Pour qui n'est pas entré dedans, je crois que c'est une idée inadmissible. Pour qui a osé faire le pas, tout s'éclaire ; et ça été mon cas en février dernier.

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