Le cantique des quantiques de Sven Ortoli, Jean-Pierre Pharabod, Charles Gregory (Dessin)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Scientifiques , Sciences humaines et exactes => Divers

Critiqué par Eric Eliès, le 10 février 2017 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 657ème position).
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Un ouvrage d'initiation à la théorie quantique mâtiné de considérations métaphysiques un peu confuses

Ce petit livre commence par une brève présentation historique en trois étapes de la genèse de la physique quantique (hypothèse du quantum formulée par Planck pour décrire le rayonnement thermique d’un corps porté à de hautes températures ; hypothèse d’Einstein sur la nature corpusculaire de la lumière pour, en reprenant le quantum de Planck, expliquer l’effet photo-électrique ; hypothèse de Bohr sur les orbites atomiques suite aux incohérences du modèle de Rutherford) puis en expose les principaux concepts théoriques. Les auteurs illustrent leurs propos d’analogies pertinentes et amusantes entre notre monde quotidien et la théorie quantique, qui parait soudain intuitive malgré son étrangeté. Au-delà de la beauté de son titre particulièrement bien trouvé (d'autant que les auteurs assument une position philosophique où la physique quantique pourrait être le socle d'une métaphysique nouvelle), le livre frappe par son écriture alerte et par sa capacité d’imagination pour proposer au lecteur des images ou des apologues aux résonances poétiques (tel l’étang aux poissons solubles symbolisant la non-localisation des particules quantiques, les martiens changeurs de forme, etc.).

Les auteurs consacrent ensuite un long développement au problème de la mesure, qui a suscité de vives discussions et des clivages au sein de la communauté scientifique. Selon la théorie classique (dite de Copenhague), les particules sont décrites de manière probabiliste et c’est la mesure effectuée par l’observateur qui provoque la réduction de la fonction d’onde et, par conséquent, le passage d’un état potentiel à un état réalisé. Les auteurs détaillent les deux plus célèbres expériences de pensée proposées par les physiciens opposés à cette interprétation : le chat de Schrödinger, pouvant être à la fois vivant et mort parce qu’en état de superposition quantique, et le paradoxe EPR (Einstein – Podolsky – Rosen), pointant l'impossibilité d'une « communication instantanée » entre deux particules en état d’intrication. Hélas, la présentation de l’interprétation de Copenhague est laconique (les auteurs se contentent de dire que, pour Bohr et Heisenberg, les questions sur la réalité de la description sont vaines car la physique ne porte pas sur le monde mais sur la connaissance que nous en avons) et le développement des hypothèses est biaisé par le soin apporté à la présentation de l’approche spiritualiste (notamment celle de Wigner, prix Nobel de physique) qui stipule que c’est la conscience de l’observateur et non la mesure elle-même qui provoque la réduction de la fonction d’onde. En fait, tout le débat sur les implications philosophiques de la théorie quantique m’a semblé un peu cafouilleux car les auteurs essayent de se dépêtrer d’une classification arbitraire de concepts antagonistes « matérialisme » vs « spiritualisme », « réalisme » vs « idéalisme » et « monisme » vs « dualisme » en simplifiant à l’excès les positions adoptées par les intervenants et en mélangeant philosophie classique (Lao-Tzeu, Spinoza, Kant, Berkeley, Hume, etc.) et théorie scientifique. Au final, on sent que les auteurs cherchent à convaincre le lecteur que la théorie quantique révolutionne notre rapport au monde (et même qu’elle constitue une rupture dont l’impact est supérieur à toutes les révolutions religieuses, politiques, philosophiques, etc.) et que, en mettant fin au déterminisme classique, elle ouvre la conscience à une réalité plus vaste englobant la matière et l’esprit, qui ne sont peut-être que les émanations d’un principe ou d’un ordre caché : une sorte de nouvelle religion, que nous avons appelée « syncrétisme quantique », est en train de naître, qui rapport tout – matière et esprit – à un Absolu inconnaissable mais dont l’existence pourrait être déduite des aspects extraordinaires de la nouvelle physique.. Les auteurs passent en revue toutes les théories remettant en cause notre conception traditionnelle du temps et de l’espace et soulignent avec insistance la ressemblance des principes de la physique avec ceux des philosophies orientales. Ils mentionnent également que certains scientifiques (comme Costa de Beauregard) considèrent que la mécanique quantique réhabilite l’étude des phénomènes paranormaux ou permet de supposer que le monde est en réalité un hologramme, dont chaque partie (parce qu’elle est liée par sa fonction d’onde à la fonction d’onde de l’univers) contient une image de la totalité. Je n’ai pas été convaincu par cette partie de l’ouvrage, dont les arguments sont beaucoup moins clairs que ceux développés par Arthur Koestler dans « Les racines du hasard » portant sur le même sujet…

Le principal apport de l’ouvrage, par rapport aux autres livres de vulgarisation que j’ai lu jusqu’à présent, consiste en une description détaillée de l’expérience d’Alain Aspect qui a prouvé, en 1982, la résilience de la théorie quantique vis-à-vis du paradoxe EPR, via des expériences de mesure portant sur la polarisation des quantons (terme employé par les auteurs à la place de celui de particule). Le texte tente d’utiliser quelques métaphores et un formalisme mathématique basique pour expliquer que certaines inégalités (dites de Bell) sont respectées en mécanique déterministe (i.e. si la valeur de la polarisation est déterminée avant la mesure) et violées en mécanique quantique probabiliste (i.e. si la polarisation est floue avant la mesure et qu’elle n’est déterminée qu’au moment de la mesure). Le dispositif expérimental est clairement présenté ; en revanche, la démonstration mathématique conduisant au constat que les inégalités de Bell ne sont pas respectées lors des expériences est tellement simplifiée qu’elle devient incompréhensible. Les auteurs détaillent également la théorie des variables cachées (locales ou non locales), qui a été proposée par Bohm pour tenter de concilier les résultats de l’expérience d’Aspect avec la position déterministe d’Einstein…

Ce point est intéressant car les auteurs présentent les thèses de physiciens souvent peu cités dans les ouvrages de vulgarisation (Bohm, Wigner, d'Espagnat, de Beauregard). Par ailleurs, ils soulignent la fausseté de l’approche usuelle qui considère que les phénomènes quantiques à l’échelle atomique disparaissent nécessairement, par effet statistique, à l'échelle macroscopique où les phénomènes physiques sont régis par un déterminisme apparent. En effet, la supraconductivité et l'état superfluide de l’hélium liquide résultent directement des propriétés quantiques or ils peuvent exister à l’échelle macroscopique.

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Une autre réalité des choses

9 étoiles

Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 25 mai 2019

Ce petit bouquin de 150 pages, en petits caractères et dans une typographie très serrée, est incroyable. Il explique des choses généralement incompréhensibles et pourtant, le lecteur primaire comprend tout. Enfin presque tout.

Qu’est-ce que la matière ? Pas celle de la physique classique, qu’on voit, qu’on peut toucher, mais celle de la physique quantique, celle qui va chercher jusqu’au plus petits éléments à l’intérieur même des plus petites particules de la matière.
Le constat est angoissant : la matière n’existerait pas. Enfin, ce ne serait pas vraiment de la matière mais un condensé d’ondes, des ondes qui seraient immatérielles et qui n’existeraient que parce qu’on les observe et qu’on croit qu’elles existent. Pourtant cette physique quantique est à prendre au sérieux, ce n’est pas une élucubration de savants en mal de découvertes, on lui doit, entre autres, le rayon laser et la bombe atomique.

Dans ce bouquin les auteurs expliquent très bien le processus des découvertes : il y a d’abord quelqu’un qui réfléchit. Celui qui réfléchit émet une hypothèse et les scientifiques le traitent de farceur. Et puis, lors d’une observation, on remarque quelque chose d’anormal et alors, on revient à cette hypothèse pour constater qu’elle pourrait être juste. Ensuite on fait des recherches expérimentales et on obtient la preuve que celui qui avait réfléchi avait vu juste. Le plus extraordinaire, du moins pour moi, c’est qu’on arrive à mettre cette découverte en formule mathématique, ce qui donne la preuve définitive de son exactitude.

L’auteur nous cite tous les noms de tous ceux qui sont intervenus dans les découvertes et ce n’est pas le plus intéressant, sauf pour ceux qui seraient de la partie. Mais il nous détaille les querelles d’école, entre les « matérialistes » qui veulent croire à tout prix que la matière existe et les « idéalistes » partisans d’une non-matière qui serait comme l’esprit ou la conscience, quelque chose qui dépendrait de la volonté, et ceux-là y voient une explication aux phénomènes paranormaux.

L’auteur ne prend parti ni pour l’un ni pour l’autre. Mais une chose m’a particulièrement frappé : si lors d’une observation expérimentale, l’observateur intervient, il peut changer le cours de l’observation qui s’était faite avant son intervention ; et donc le temps peut aller en arrière aussi bien qu’en avant. L’espace aussi serait une vue de l’esprit qui pourrait changer en fonction de l’observateur.

Les explications des phénomènes sont remarquablement claires, avec des comparaisons tout à fait compréhensibles et une écriture simple et parfaitement adaptée au contenu. Si parfois le lecteur ne comprend pas, il ne doit pas en faire un complexe parce que les physiciens eux-mêmes doivent reconnaître qu’ils sont encore loin, très loin, d’avoir tout compris.
Ce livre ouvre des perspectives vraiment étranges sur ce que sont l’esprit, l’intelligence, la conscience, le temps, l’espace, la matière elle-même… et le lecteur finit par se demander : et si tout ce qui existe n’était qu’illusion ? Troublant ! Vraiment, très, très troublant !

La révolution quantique

8 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 17 avril 2019

Les auteurs expliquent dans la préface qu'une révolution inimaginable a eu lieu mais que hors des milieux spécialisés - le milieu des chercheurs en physique - cette révolution est passée un peu inaperçue du grand public. Leur but dans cet ouvrage est de porter le sujet à la hauteur du commun des mortels, d'expliquer les concepts de la physique quantique de manière simple, sans mathématiques, en utilisant des analogies et en expliquant les expériences.

Le livre aborde d'abord en quelques court chapitres la genèse de la physique quantique, au début du vingtième siècle. L'observation du comportement des atomes a chamboulé la physique classique, en remettant en question les lois physiques acquises : ainsi dans le monde des atomes un électron peu se trouver en plusieurs endroits à la fois, c'est au moment de l'observation que toutes les positions possibles se réduisent à une seule ! Pour expliquer ce comportement on a dû introduire des probabilités dans la physique, d’où la phrase célèbre de Einstein "Dieu ne joue pas aux dés" et le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger. Un autre principe stupéfiant de la théorie c'est le principe d’indétermination : dans le monde quantique on ne peut pas mesurer à la fois la position et la vitesse d'un atome, si on fixe l'un par l'observation, l'autre est indéterminable. D'où une remise en question de la notion d'espace et de temps. Pour faire simple, la physique quantique c'est au départ la physique qui s'applique au domaine microscopique mais c'est devenu ensuite la théorie générale dont la physique classique n'est qu'un cas particulier. On parcourt donc l'histoire de ces découvertes et des grands noms qui y sont associés.

Dans une seconde partie, très surprenante celle-là, les auteurs expliquent les implications philosophiques et métaphysiques possibles qui s'ouvrent. Ainsi les auteurs expliquent que le matérialisme (au sens classique, qui est de croire que tout est matière et de nier l'esprit) n'a plus vraiment de fondement scientifique depuis les découvertes du siècle passé. On peut même aller plus loin et remettre en question l'existence de la matière (le monde existe-t-il indépendamment de son observation ?). Ces découvertes ont d'ailleurs remis à la mode des théories limite ésotériques du style orientalisme, spiritualisme,...

Bref ce petit ouvrage est abordable (pas de mathématiques, c'est de la vulgarisation) quoique il est souhaitable d'accompagner la lecture par wikipédia et des vidéos sur youtube qui permettront de s'imprégner un peu de cette théorie souvent tout à fait contre-intuitive. Par sa taille limitée (c'est un petit livre) et son écriture agréable, c'est un point d'entrée accessible vers ce monde absolument fascinant.

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